Séduire le paradis, voilà déjà tout un programme que nous propose ce jeune groupe grec nommé, comme dit précédemment, Seduce the Heaven. Enfin, si le paradis est une métaphore pour parler de nos cages à miel, alors force est de constater qu'ils ont intérêt à ne pas se louper avec un patronyme pareil. Qui plus est, en lisant la biographie de la joyeuse bande, on remarquera que ces derniers semblent avoir une satisfaction toute personnelle : celle de savoir astucieusement combiner des styles paraissant antinomiques. Du power metal au death en passant par le symphonique ou l'atmosphérique, rien ne semble leur échapper. En gros, en ne se référant qu'à leurs dires, on sent qu'ils en veulent. Et par conséquent, que le résultat se doit d'être à la hauteur. Les groupes qui alignent des arguments commerciaux qui puent la malhonnêteté et l'auto-satisfaction, on peut en croiser un paquet. Tout chaud tout beau, leur premier brûlot Field of Dreams part déjà sur un bon point : la pochette est jolie. L'habit ne fait pas le moine, cependant, elle le rend déjà plus agréable à regarder. Et à part cela, le contenu est-il aussi appétissant que le contenant ?
En fait, en se targuant de savoir développer une certaine symbiose entre les genres, on peut s'attendre à trouver des éléments provenant de ces registres opposés se côtoyant dans la musique délivrée. A notre grand bonheur, on constatera bien rapidement que le sextette grec ne ment pas sur la marchandise et a, il est vrai, une mixture qui semble assez improbable sur les bords. Et pourtant, ce qui frappe dès les premières minutes du disque, dès les premières secondes, c'est que la cohérence est là. Pour une œuvre de départ, Seduce The Heaven ne se fout pas de la gueule du monde et peut largement se vanter d'être irréprochable sur la production, qui n'a rien à envier aux gros noms actuels. Le son n'est pas trop lisse, et ne place pas le chant en avant au détriment des instruments. Le combo grec n'est pas simplement un « groupe à chanteuse » et cette volonté s'exprime tant dans l'instrumentale que dans la répartition vocale, où deux chanteurs (dont une demoiselle, certains suivent c'est bien) s'expriment. Jusque là, ça peut sembler quand même assez classique. Rien de très novateur ? Oui et non. On ne dira pas que cette formation révolutionne le monde du metal avec ce premier essai. Néanmoins, ils ont un mérite qu'il faut leur accorder : une envie de bien faire et de sortir des sentiers battus.
Pour cela, tous les moyens sont bons. Et la déferlante qu'est « Walls of Oblivion » est une composition qu'on imaginerait difficilement émaner d'un groupe où on colle un chant clair féminin. Le titre est bien plus inspiré par Soilwork que Within Temptation, quoique. Oui, aussi étrange que cela puisse paraître, des touches assez atypiques se retrouvent dans cette piste, qu'un groupe de death mélo lambda n'aurait jamais osé apposer à sa musique. Les petites touches ambiantes au clavier, les ralentissements de tempo, l'intervention régulière d'Elina, on penserait presque à Evanescence de temps en temps. Sauf que les américains ne se permettraient jamais d'avoir une guitare aussi musclée ou les interventions brutales d'un Marios Mizo qui pourrait passer pour un très bon vocaliste de death metal suédois. Vous voyez le topo ? Attendez-vous à entendre cette formule dans un bon paquet de titres. En gros, c'est comme si on assistait à du Scar Symmetry meets Delain, mais sans copier ni l'un, ni l'autre. Toujours dans le souci de trouver sa propre voie, Seduce The Heaven ne se contente pas d'être inspiré par les autres. Mais en plus d'avoir le droit à une parfaite cohérence et cohabitation entre un death mélo majoritaire et des parties sympho-goth-power assumées, le brûlot reste résolument accrocheur et bien torché sur toute sa longueur. Peu de temps morts acceptés, les six compères ont une ligne bien précise : s'ils veulent se démarquer de la masse des groupes à chanteuse / des groupes de death mélodique, il faut imposer ses idées vite fait, bien fait. En restant fidèle à son chemin, nul doute que ces grecs peuvent aller très loin.
Pas très paradisiaque, comme décor.
Bien évidemment, on ne peut qu'observer quelques imperfections et défauts de jeunesse. Ce qui n’entache pas de grand chose le bilan général. Le petit souci de Seduce The Heaven, c'est de ne pas savoir aller complètement à l'essentiel et de parfois traîner un peu en longueur. C'est le cas sur « Illusive Light », ou encore sur « Ignorance », qui gagneraient en force en retranchant quelques minutes à ces deux pistes. Car oui, mesdames et messieurs, vous ne trouverez aucun titre en-dessous de la barre des cinq minutes. Ce qui signifie que ces grecs comblent souvent le vide comme ils peuvent, meublent le temps. Et ça passe plutôt bien, généralement. Les solos sont loin d'être dégueulasses, les parties instrumentales fort bien exécutées, et les prestations respectives de Marios Mizo et d'Elina Laivera sont réellement réussies. Si le premier est un peu passe-partout au niveau du growl, le jeune homme a un bon niveau technique, capable de varier son chant et de doser sa puissance. Quant à la seconde, délivrant une performance très agréable, elle est l'une des attractions majeures du groupe. Son chant, lorgnant bien plus dans la veine de Lacuna Coil que d'Epica, est capable de suffisamment se moduler pour ne pas lasser, et cette dernière offre un souffle de fraîcheur bienvenu à la musique. Employée parfois dans un rôle d'adoucissant, d'autres dans du soutien, elle n'hésite pas non plus à se mesurer aux parties musicales les plus puissantes. Qui plus est, en solo dans « In Close Distance » (jolie ballade toute mignonne au demeurant) et « Falling », elle démontre l'étendue de son potentiel. Et quand on connaît le jeune âge de la belle (20 ans seulement), on se dit qu'elle a encore un beau parcours devant elle ! Dommage, cependant, que la formation ait fait appel à Vagelis Kolios en tant que guest sur « Illusive Light », dont la prestation médiocre suffit à littéralement ruiner ce titre, déjà le moins passionnant à la base.
Heureusement, ce faux-pas est rattrapé. Parce que déjà, la ballade « In Close Distance » a beau être assez banale sur les bords, Elina y chante avec une émotion palpable. La jeune femme est touchante, loin du simple étalage technique. Question potentiel émotionnel, elle rappelle une autre talentueuse consœur, la belle Mina G. (The Rain I Bleed). Quand on vous disait que la Grèce a quand même des groupes qui valent le coup. « Walls of Oblivion » et « Leave Me Alone » sont des rouleaux compresseurs, et leur effet et immédiat : mention spéciale à la seconde nommée, catchy à souhait. Et comme citer toutes les pistes ne sert pas à grand chose, il faut bien avouer que « Illusive Light » à part, toutes sont de bonne facture. Mais « Field of Dreams » est un parfait compromis entre le côté death mélo et les traits largement plus « à chanteuse » qu'on retrouve habituellement. Quant à « Falling », elle est un peu à part : plus sombre, la seule présence d'Elina lui donne un attrait particulier, cette dernière chantant dans un registre grave qui lui sied à merveille.
Seduce the Heaven ne vous arnaque nullement sur la marchandise, et se classe parmi les bonnes surprises de cette année. Sortant de nulle part, ces jeunes musiciens arrivent avec un Field of Dreams très travaillé, tant dans la forme que dans le fond, avec une volonté de percer et des arguments pour plaire. S'il reste donc quelques petits défauts de jeunesse, il ne faut pas non plus oublier que pour une formation encore toute récente, la maturité affichée est assez rare. Ce groupe a les moyens de faire parler de lui. Et il n'y a plus qu'à espérer que ce soit le cas. Pour une fois qu'un combo a l'audace de sortir des chemins balisés du « metal à chant féminin », ça fait assez de bien pour ne pas qu'on se penche dessus.