L'infatigable Peter Tägtgren est de retour avec le douzième album de la horde Hypocrisy, après que quatre années (consacrées à Pain et au 'live') se soient tout de même écoulées depuis la sortie d'un A Taste of Extreme Divinity largement plébiscité. Pour cette nouvelle offrande baptisée End of Disclosure, qui est sorti ce 22 mars chez Nuclear Blast, le leader Suédois avait récemment évoqué une sorte de retour aux sources, à un son et un esprit qu'ils avaient de son propre aveu quelque peu perdus sur les derniers albums du groupe, en dépit de l'accueil démentiel des critiques et des fans, et de leur réussite artistique et commerciale indéniables.
Il est vrai que cette fois le morceau-titre, récemment dévoilé et que vous aviez pu découvrir dans nos pages, fleurait bon ... pas Osculum Obscenum, ne rêvons pas non plus, mais disons les productions plus atmosphériques et moins radicales de l'ère The Fourth Dimension / Abducted / The Final Chapter, voire du plus récent The Arrival. Pourtant, il faudrait voir à ne pas en tirer de conclusions à l'emporte-pièce, tant ce nouvel album ne se résume pas à ça, même si Tägtgren n'a pas tout à fait menti non plus...
En fait, ce premier titre qui donne son nom à l'album est quelque peu trompeur, surtout ainsi placé en tête de liste. Même avec ce côté death melo mid-tempo caractéristique à ambiances majestueuses (avec de petites touches de 'black' sympho), façon «à l'ancienne» donc, son aspect un peu traînant et mollasson, ainsi que cette reprise du refrain à la toute dernière minute après une coupure tout aussi abrupte, pourront carrément aller jusqu'à en rebuter certains qui auraient espéré que ça décolle et rebondisse davantage. C'est davantage au fil des écoutes que ce titre se révèle, pas seulement du Hypocrisy mélodique pur-jus mais carrément un futur classique du groupe, même si pas le meilleur titre de cette offrande pour autant, loin s'en faut...
De toute façon, dès le deuxième morceau, le maître d'oeuvre Tägtgren fait taire toutes les craintes qui, à ce stade, auraient pu légitimement se faire entendre, en embrayant directement de la première à la cinquième! Non, tous les titres n'allaient pas être de la même teneur, et cet album s'inscrit de fait dans la continuité de la diversité qui a toujours été de mise et une constante dans l'écriture d'Hypocrisy. Et ce "Tales of thy Spineless" qui déboule alors (pas si éloigné des morceaux les plus vindicatifs de l'avant-dernier opus, les angles moins arrondis disons...) ne pouvait guère mieux tomber pour nous le rappeler : entame sur-blastée digne d'un bon vieux 'brutal-black' Suédois (et qui démontre si besoin en était le pur monstre en la matière qu'est Horgh - également batteur itinérant chez les voisins d'Immortal, faut-il le rappeler...), avant de partir dans des attaques 'thrash/black' des plus incisives et surtout d'atteindre à mi-parcours une gravité insoupçonnée et inattendue, passant d'un break sur-heavy qui n'aurait pas dépareillé chez un Mercyful Fate, Destruction ou même Control Denied, à un pont d'outre-tombe qui prend littéralement à la gorge (une guitare à la fois étouffée et étouffante et qui se pare d'une dimension « atmosphérique » ... on irait jusqu'à faire un parallèle avec le superbe crescendo central du "Seventh Son of a Seventh Son" de Maiden, c'est vous dire!...), jusqu'à en coller quelques sueurs froides, tant il monte en vigueur et en intensité avant de s'achever sur un déluge de blasts et de solos!
Le tout se déroule à un rythme haletant, sans même laisser à l'auditeur le temps de reprendre son souffle, et avec une hargne revancharde qui en devient carrément palpable! Il faut dire que cette chanson d'après Tägtgren traite des « banquiers de la haute-finance et des sociétés secrètes illuminati, et de comment ces derniers se repaissent sur le dos des chalands du quotidien, brisant des rêves, faisant de chacun d'eux un virus à leurs yeux » ... En ce moment ce n'est pas à Chypre qu'on irait lui donner tort, ni ailleurs du reste !! [chro datant du 20/03]... L'on comprend en tout cas - quel que soit le regard que l'on puisse porter à la fonction et aux exactions fantasmées ou non de ces 'lobbies de l'ombre' - que ce n'est pas parce que la figure de l'alien a refait aujourd'hui son apparition sur la pochette de l'album que notre légendaire bourreau de travail allait se laisser à la facilité de ressasser de simples histoires de "petits hommes verts"... Ainsi, comme pour le précédent opus, des thèmes plus profonds, personnels et empreint de gravité refont surface, et les simples 'dissimulations' quant à d'éventuelles preuves d'une activité extra-terrestre font place à la dénonciation de l'existence d'un complot plus global de la part des élites dirigeantes (vu sur le titre éponyme à travers les yeux d'un être 'Lunaire', tout un programme!...). Ne cherchez donc plus les paroles anti-chrétiennes d'antan, notre homme a bien compris que nul besoin de tirer davantage encore sur une ambulance (surtout lorsqu'on s'aperçoit que ce qui était hier une subversion est devenu quasi-"institutionnalisé" aujourd'hui...), et que comme il le chante aujourd'hui de manière toute explicite : "Hell is where I stay" !!!...
Reste qu'en dehors de ces moments plus emportés (et y compris sur ce même "Tales of thy Spineless" dévastateur!), Hypocrisy sait toujours retomber sur les pieds d'une formule qui a fait son succès, et l'on reconnaîtra toujours entre mille ces «aérations» qui arrivent à point nommé pour permettre aux titres de respirer -et aux spectateurs des 'live' de donner de la voix, on ne se relâche pas!-, avec ce son toujours si caractéristique, une discrète nappe de claviers venant alors suivre les lignes de guitares mélodiques, pour un effet tout aussi 'planant' que digne d'un bon vieux jeu Amiga je dirais ! (ça, on dira que c'est pour les 'vieilles branches' parmi nos lecteurs, ils se reconnaîtront...)
Ce savoir-faire, le groupe le prouve encore joliment avec ce splendide "The Eye" (qui avec son petit motif mélodique d'intro aurait, lui, fait une parfaite entame de disque, en revanche!...), et ses couplets purement 'thrash' qui viennent parfois projeter au mur du son l'ombre d'un Testament... Encore une fois le refrain, lui, s'en retourne avec son balluchon à des contrées plus distinctement "death mélo" et 'catchy', ce qui pourra sembler dépareiller avec le reste de la tonalité du morceau d'ailleurs, mais reste diablement efficace! Tout aussi redoutable et même davantage car plus cohérent de bout en bout, "United We Fall" est un morceau typiquement taillé pour le 'live' (peut-être fut-ce d'ailleurs voulu, en témoigne une poignée de passages à l'approche plus «moderne/actuelle»...), de même qu'un "44 Double Zero" tout aussi classique mais au refrain imparable et au cours duquel Tägtgren s'essaie à un phrasé chanté plus 'heavy' - toujours de sa plus belle voix éraillée on vous rassure!... L'on penserait alors vocalement et niveau pilonnage à du Accept et à toute l'école allemande que notre bougre doit régulièrement côtoyer en festival.
A ce stade et à mesure de l'écoute, on saisit clairement pourquoi Hypocrisy se place au-dessus de la masse des malheureux candidats à sa succession... C'est que le père Tägtgren est avant tout, désolé de faire mon Renaud DeMaio, un digne et irréductible « fils du métal » à qui on ne la fait pas, un de ceux, voyez-vous, qui ont la "fibre", inscrite au plus profond de ses tripes et jusqu'au bout de ses phalanges aguerries. Et que ce n'est pas à ces vieux singes-là que la nouvelle garde des jeunes bonobos arrivistes n'ayant connu que la musique écrite sur ordinateur et juste à même de délivrer leur "melodeath" de tendance ... de plus en plus 'mélo' et de moins en moins 'death' je dirais, va venir apprendre à faire du métal ! Nos Suédois ont le bon goût, eux, de rendre fréquemment hommage aux différentes écoles qui ont constitué les origines du genre (p'têt pas pour rien qu' E.T. fait la 'mano cornuta' sur la cover, tiens!), car ils ne savent que trop bien d'où ils viennent... Et on saluera particulièrement la chaleur et le côté «chargé» de ce son de guitare rythmique (notamment lors des parties les plus 'thrashisantes'!), même s'il déstabilisera probablement dans un premier temps ceux qui avaient au contraire apprécié l'impact et le rendu sonore plus large et foncièrement 'rentre-dedans' du précédent opus (au moins la batterie retrouve ici une place moins envahissante et un rendu moins 'triggé' et synthétique...).
Mais le meilleur reste encore à venir, sous la forme de cette triade finale au dernier quart d'heure de ce End of Disclosure, et aux noms d'ailleurs plutôt évocateurs : "Soldier of Fortune", "When Death Calls" et "The Return"... Perdu, il ne s'agit pas des reprises respectives de Deep Purple, Black Sabbath et Bathory, même si ce sont là des références qu'un vétéran comme Tägtgren ne peut délibérément ignorer... On peut même soupçonner que sur le dernier du lot il y fait des clins d'oeil non dissimulés en brouillant tout de même bien habilement les pistes, avec cette lourdeur épique et ces choeurs qu'on croirait sortis du Valhalla qui évoqueraient plutôt la période 'viking' de l'oeuvre de Quorthon que le Bathory primitif des débuts ! Une longue et majestueuse pièce de 6 minutes qui achève de nous ensorceler.
Quant aux deux premiers de la série, ils laissent apparaître dans une formule Hypocrisienne maintenant bien rôdée, et toujours hyper-mélodique (pour le grand plaisir des fans comme des détracteurs qui auront au moins matière à crier à l'arnaque!), des moments de pur 'death métal' radical renvoyant cette fois, ni plus ni moins, aux influences originelles d'un Morbid Angel ! En témoigne notamment ce "When Death Calls" (qui, blague à part, ferait fuir un Tony Martin en Sibérie ou au Vatican!...), où les passages les plus véhéments et triturés (je ne parle même pas là de certains 'blasts' ultra-speedés qui iraient jusqu'à évoquer les implacables Hate Eternal et autres Immolation) nous laissent carrément entrevoir ce qu'aurait pu enfanter la bande à T. Azagthoth en matière de death "moderne" teinté de froideur 'indus" (ce « SETI ! » assené par Tägtgren viendra vous hanter durablement...), en lieu et place d'un Illud Divinum Insanus sentant plus l'expérimentation récréative qu'autre chose. Mais étrangement, on lui aurait bien trouvé une petite place sur le Domination aussi...
Il convient enfin de souligner un point qui n'est que trop rarement abordé concernant les oeuvres d'Hypocrisy : la performance vocale sans faille de Mister Tägtgren. Comme si cela allait de soi ... Pourtant, à contre-courant dirais-je d'A Taste of Extreme Divinity où il semblait viser avant tout une diction à dessein percutante et bien dans l'air du temps, sa prestation ici se pare d'une dimension presque « dramatique » bien en phase avec les textes, elle sonne davantage 'incarnée' et authentique, et ce toujours avec la même polyvalence. Parole, rien que les "urgh!" Celtic Frostiens qui parsèment les moments les plus virils de ce disque sont tellement convaincants qu'ils pourraient servir à eux seuls de sujet d'étude à toute la bleusaille en herbe! Cette fois, on sent donc bien que notre homme a laissé de côté ici tout calcul et toute rercherche de résultat optimal pour laisser simplement parler ses instincts naturels : que ce soit dans son phrasé 'death' hérité des pionniers du genre, que ce soit dans la conviction de son chant 'black' qui n'aurait rien à envier dans un autre registre à celle jadis d'un Jon Nödtveidt dans Dissection, ou que ce soit enfin dans ces cris stridents et exaltés qui iraient en dégoûter à jamais un Dani Filth aux fraises, à tout moment le frontman nous donne l'impression de vivre et incarner pleinement ses textes, ces derniers ne servant pas juste à meubler et faire joli !
Et dans le domaine, difficile de ne pas citer de nouveau le très explicite "Hell Is Where I Stay"... Sorte de réponse des 20 ans plus tard au "God of Emptiness" de Morbid Angel, ce mid-tempo écrasant et sans aucun refrain allant taper tout autant dans le thrash, le death que le doom est littéralement porté par le chant guttural "habité" du leader Suédois ! Une litanie des Enfers...
Bilan des courses : à l'inverse d'un A Taste of Extreme Divinity, excellent lui aussi mais qui donnait la primeur à l'accroche et à l'efficacité de l'écriture (voire du moindre petit arrangement) avant tout, c'est donc un album plus sombre, avec moins de fioritures et plus personnel que nous délivre là le(s) Suédois, sans pour autant en oublier les «recettes du Chef», qui se retrouvent simplement appliquées ici plus sporadiquement et aux endroits les plus stratégiques. En cela, Tägtgren renoue effectivement avec l'esprit du passé (et même de la tradition au sens large), sans en oublier toutefois l'essentiel des leçons apprises depuis. Un album qui s'avère donc plus authentique même s'il pourra paraître moins travaillé que le précédent, et qu'il pourra ainsi rebuter tous ceux qui s'étaient fait à une musique plus accessible, policée et destinée au plus grand nombre (même si on sent que notre baroudeur n'a pas encore tout à fait franchi le pas, si l'intention était de couper le cordon plus radicalement avec ses fans de la dernière heure...).
Bref, si tout n'est peut-être pas si rose, well, pour notre part, Peter, et ce malgré la longévité aujourd'hui établie d'Hypocrisy (et le « recyclage » inévitable au bout d'un moment...), cette formule dont tu nous ressers là une variante - souvent ressassée mais à jamais inégalée - hé bien on en redemande encore, c'est te dire à quel point après autant d'années, bah nous on les trouve toujours aussi "extras", tes restes!... Alors, vivement la rencontre du treizième chapitre, nom de Zeus!!
LeBoucherSlave
8/10