Entretien avec Mirai, tête pensante de Sigh

En cette fin août 2022, le groupe culte Sigh sort son nouvel album, le douzième LP, Shiki. Vingt-neuf ans après le premier et avec une discographie pleine d'albums qui mélangent de nombreuses influences, souvent de façon très barrée, le combo de Tokyo s'est fondé une réputation en béton armé d'un groupe à part au sein de la mouvance black ou affiliée black metal. Et pourtant nombreux sont les groupes qui expérimentent, abordent le black par un côté avant-garde ou une fusion d'influences. À l'occasion de la sortie de Shiki, nous avons pu échanger avec Mirai sur Sigh, son passé et son futur.

Salut Mirai. On est ravi de te rencontrer, merci d'avoir accepté une interview avec nous. Comment vas-tu ?

Mirai : Bien, merci.

 

Alors, le 26 août sortira Shiki, le treizième album de Sigh (en comptant l'EP Ghastly Funeral Theatre), plus de trois décennies après la création du groupe. Comment te sens tu à propos de ça ? Dans le passé, est-ce que tu t'es déjà vu être toujours en train de créer de la musique, après tout ce temps ?

Eh bien pour être honnête, je ne sais pas. Quand j'ai commencé Sigh, j'avais environ 20 ans, et je n'aurais jamais pensé que je pourrais être dans le groupe quand j'en avais 30. Parce qu'au début des années 90, tout le monde, comme dans Venom, Slayer ou Exodus, tout le monde avait la vingtaine. Nous ne connaissions personne qui avait plus de trente ans et qui jouait dans un groupe de metal extrême. C'était très difficile d'imaginer jouer ce genre de musique extrême quand on a plus de trente ans. Donc, je n'aurais jamais pensé jouer dans ce groupe aussi longtemps. Maintenant, j'ai 52 ans, donc c'est de loin mon imagination qui parle quand je pense aux premiers jours, c'est sûr.

 

Sur ce nouveau disque, tu as inclus dans le groupe deux talentueux nouveaux membres, provenant de groupes de metal occidental. Il s'agit de Frédéric Leclerq et Mike Heller. Peux-tu nous dire comment cela s'est passé ?

Donc, quand j'ai commencé à écrire les chansons de l'album, c'était au début de 2020. C'était aussi le début de la pandémie. L'atmosphère à l'époque était très, très sombre. C'était comme la fin de ce monde. Je ne pensais pas que nous serions en mesure de nous réunir dans le studio de musique pour répéter ou enregistrer l'album, car le covid était quelque chose de très effrayant à l'époque. Et je savais que Mike Heller avait son propre studio et qu'il pouvait tout enregistrer là-bas. J'ai pensé que c'était la seule solution pour quand même enregistrer l'album, alors je lui ai demandé de jouer de la batterie pour nous et heureusement il a dit oui. C'est pourquoi Mike est à la batterie pour cet album. Après qu'il eût fini d'enregistrer la batterie, notre guitariste était censé faire ses parties, mais d'une manière ou d'une autre, il a commencé à agir de manière très étrange, probablement à cause de tous ces problèmes liés au confinement. Il était très étrange et il devenait également très lent à répondre aux e-mails. Parfois, il prenait 3 ou 4 jours juste pour répondre à mes e-mails, alors j'ai pensé pas que ça ne marcherait pas. J'ai déjà 52 ans, je ne sais pas combien d'albums je pourrai encore faire avant la fin de ma vie, donc je ne veux pas perdre mon temps à attendre. Ensuite, comme en fait Mike et Fred sont de très bons amis, Frédéric savait déjà que Mike jouait de la batterie pour nous, et comme c'est aussi un bon ami à moi (il adore le Japon, vient souvent au pays et dès qu'il est là on se voit ensemble), quand j'ai découvert que notre guitariste ne travaillait pas, Fred était le premier choix. C'est à la fois un grand ami et un grand guitariste, un grand bassiste aussi. C'était un choix facile. Alors je lui ai demandé de jouer de la basse et de la guitare pour nous et il a dit oui. Heureusement.

 

Avais-tu déjà eu l'opportunité de travailler avec eux avant Shiki ?

Fred a en fait joué un solo de guitare pour l'une des chansons d'un précédent album de Sigh. Je ne me souviens plus lequel, peut-être Scenes From Hell. Il a déjà fait une apparition en tant qu'invité auparavant.

 

Ah oui, c'est vrai (après vérification, c'est en fait sur l'album Graveward, sur le morceau "The Casketburner") ?

Et Fred a aussi un groupe de death metal qui s'appelle Sinsaenum, et j'ai déjà été invité au chant pour un de leurs albums. Ce n'est donc pas une première collaboration entre nous. Et il a également chanté pour un concert de Sigh en Belgique. Cela fait un moment que l'on travaille ensemble.

 

Ont-ils écrit leurs parties de batterie et de guitare pour le disque, ou étaient-elles déjà écrites avant qu'ils n'intègrent le groupe ?

Eh bien, la plupart des chansons avaient déjà été écrites avant que Fred et Mike ne rejoignent Sigh. Mais j'ai laissé Mike changer la structure des chansons s'il le voulait, et j'ai laissé Fred totalement libre pour les solos de guitare. Certaines des chansons ont également été adaptées par lui.

 

OK, et c'est définitivement quelque chose qu'on peut entendre sur Shiki. En se concentrant sur la batterie en particulier, il y a de très bonnes parties dans ce nouveau disque, par exemple sur le nerveux "Shoujahitsumetsu", ou encore les percussions variées que l'on peut entendre sur plusieurs chansons, et même tout au long de l'album. Je me demandais s'il y avait contribué, c'est logique.

Oui, c'est un batteur fou. Je voulais juste qu'il joue le plus fou, le plus flashy possible.

 

Revenons sur la pandémie. Tu as déjà abordé son impact sur Sigh. Qu'en est-il de ta vie personnelle, comment l'as-tu vécu ? C'était des moments bizarres

Oui, c'était très bizarre. Mais le plus gros problème, c'est qu'il n'y a pas eu de concerts de heavy metal pendant plus de 2 ans. C'était la première fois que je n'étais pas en mesure d'aller à un concert de metal pendant 2 ans. C'était très…. ennuyeux. Tu sais, d'habitude je vais à des concerts de metal toutes les semaines environ, alors vivre une vie sans aucun concert, c'est comme…

 

Je peux tout à fait comprendre. Mon rythme de concerts a également baissé comme un fou.

C'était fou. Mais hier (14 août), le festival Download Japan a eu lieu ! C'était le premier concert de metal auquel j'ai assisté après 2 ans. Enfin, les concerts reviennent ici au Japon aussi. J'espère donc qu'il y en aura de plus en plus à l'avenir.

Revenons à Shiki, parlons langue. Tous les noms et paroles des chansons sont en japonais cette fois, ce qui, sauf erreur, est une première pour le groupe (il y a déjà eu quelques titres nommés en japonais, et sur Heir To Despair certaines chansons étaient partiellement chantées en japonais). Cela fonctionne vraiment bien ! Avez-vous déjà pensé à faire ça par le passé ?

En fait non, parce que, tu sais, le heavy metal est une culture occidentale. C'est une culture qui vient d'Europe ou des États-Unis, et j'ai grandi en écoutant des disques de heavy metal en anglais. De plus, la musique rock ou heavy metal est strictement liée au rythme de l'anglais. Je n'ai jamais pensé à chanter en japonais parce que le japonais n'est pas une langue rythmique, mais plutôt mélodique, donc je pensais que ça n'irait pas avec le heavy metal. De plus, la plupart de nos fans viennent d'Europe et des États-Unis, donc je voulais qu'ils comprennent ce que je chantais.

Mais cette fois, pour Shiki, le thème de l'album est beaucoup plus intime, cela traite ma peur de la mort. Parce que maintenant, comme je l'ai dit, j'ai 52 ans, et la mort est devenue quelque chose de réel. Sigh a été confronté à la mort depuis le tout début, mais quand vous avez 20 ou 30 ans, c'est très différent, c'est toujours une fiction. C'est très difficile de le sentir réel quand on est jeune. Maintenant, j'ai 52 ans et certains de mes amis ont commencé à mourir, je viens moi-même de perdre mon père le mois dernier, donc la mort est quelque chose que je dois affronter en ce moment. Je voulais exprimer mes sentiments de peur de la mort, de peur de vieillir, le plus honnêtement possible. Alors j'ai pensé qu'utiliser ma propre langue, ma langue maternelle, était la seule façon de le faire. C'est pourquoi toutes les paroles que j'ai écrites sont en japonais cette fois.

Côté composition, il y a toujours eu beaucoup de variété dans les influences. La majorité des disques précédents, sinon tous, mélangent beaucoup d'influences de paysages sonores variés. Shiki ne fait pas exception, on y retrouve des parties jazzy, ainsi que des influences du Moyen Orient mélangées à des idées orchestrales, et évidemment des instruments traditionnels japonais. Après toutes ces années, c'est une seconde nature pour vous de finir avec des compositions aussi variées et parfois presque expérimentales, n'est-ce pas ?

Hmmm, je ne pense pas que nous expérimentons. J'ai juste beaucoup de couleurs sur ma palette musicale, et je choisis toujours la meilleure pour exprimer ce que je veux exprimer. Alors cette fois, comme tu l'as dit, j'ai utilisé beaucoup d'instruments japonais, et c'est parce que je voulais avoir une "sensation japonaise" vu que toutes les paroles sont en japonais. Par exemple, nous avons utilisé le shakuhachi, et d'autres instruments typiques. Mais généralement, parfois c'est l'orchestre qui fonctionne le mieux pour exprimer ce que je veux exprimer, comme parfois juste des guitares distordues suffisent et parfois c'est un instrument ethnique. Je choisis juste le meilleur de ce que j'ai à disposition, selon mon inspiration. Oui, c'est ce que je fais.

 

Sur Shiki, j'ai l'impression que "Touji No Asa" et "Kuroi Inori" (la dernière et la première chanson) se font écho et crée un cycle, avec la fin de "Touji No Asa" se prolongeant dans l'intro de "Kuroi Inori". Est-ce parce que Shiki est considéré comme un album concept, comme son nom l'indique (Shiki peut se traduire par les quatre saisons, d'où le concept de cycle) ?

Non, en fait Shiki n'est pas un album concept. La plupart des chansons parlent de la peur de la mort, mais pas toutes. Il y a quelques exceptions, comme "Mayonaka No Kaii", et aussi le deuxième single, "Satsui". Ces deux-là ne sont pas liés au thème donc on ne peut pas dire que c'est un album concept, mais comme tu l'as dit, l'intro et l'outro de l'album sont liées. Pour l'outro, je voulais exprimer la scène où ton âme monte au ciel, alors j'ai utilisé un instrument étrange appelé Iwabue. C'est juste une pierre avec un petit trou, et quand tu souffles dedans, ça fait ce son aigu. Ce son exprime l'âme qui monte au ciel. La première intro parle de la mort, "Touji No Asa", l'outro parle aussi de la mort, mais avec le salut à la fin. Tu es mort, mais ton âme est sauvée.

 

Ok, et donc la note de cet Iwabue (Iwa signifie rocher et bue sifflet, donc une traduction serait pierre-sifflet ou rocher-sifflet) termine en quelque sorte sur une note positive

Oui, c'est ça.

Parlons maintenant des cycles d'albums. Vous avez l'habitude de nommer vos disques par cycles, en alternant entre les 4 lettres de Sigh. Cela signifie donc que nous sommes au début d'un nouveau cycle. Est-ce que cela signifie toujours quelque chose de spécial pour le groupe, comme on a pu le voir par le passé, avec les derniers et premiers albums des cycles introduisant souvent plus de nouveautés que les albums à l'intérieur des cycles ?

C'est marrant parce qu'en fait, je n'ai jamais pensé aux cycles. Bien sûr, on dirait qu'il y a un cycle, mais je ne compte jamais les quatre albums dans la même catégorie ou quoi que ce soit. Donc, si vous le trouvez, ce n'est qu'une coïncidence. Bien sûr, c'est un gimmick, il n'y a aucun lien musical ou aucune notion de cycle musical derrière. Du tout.

 

De toute façon, même si on a pu trouver que certains albums de ces cycles sont plus différents que d'autres, il y a déjà pas mal de différences entre les albums d'un même cycle. Donc au final, c'est plus juste l'expression de l'évolution naturelle d'un groupe à travers le temps.

On peut dire ça.

 

L'année prochaine (2023) sera le 30e anniversaire de Scorn Defeat. Avez-vous prévu quelque chose de spécial pour fêter cela ?

Il y a des discussions pour faire une tournée avec des setlists spéciales Scorn Defeat. Alors ce n'est pas encore sûr, mais on pourrait probablement faire quelque chose, oui.

 

Mais vous pourriez aussi avoir envie de tourner avec des titres de Shiki, non ?

C'est vrai aussi. En fait la semaine dernière, nous avons joué en République tchèque (au Brutal Assault, le 10 août), et nous y avons déjà joué deux chansons de Shiki.

 

Ce devait être très bien ! Et maintenant que Fred est dans le groupe, vous pensez également revenir en France ? La dernière fois remonte à longtemps

Nous parlons d'organiser une tournée européenne, alors j'espère que nous pourrons y arriver ! Mais le problème maintenant, c'est que la situation est très instable. À cause du covid et de la guerre notamment, les tarifs aériens sont incroyablement élevés. Nous devons trouver un moyen d'y arriver.

 

Je pense qu'aujourd'hui c'est beaucoup mieux de planifier dès le départ une longue tournée plutôt qu'une ou deux dates un peu isolées.

Ouais, et cela devient de plus en plus vrai. Je n'ai jamais vu des tarifs aériens aussi élevés, comme ces derniers temps.

Cet album est très personnel, mais as-tu une chanson en particulier qui est très importante pour toi ? Dans les paroles que tu exprimes ou peut-être dans la musique de Sigh ?

Personnellement, mon préféré de Shiki est "Mayonaka No Kaii" (le single), parce qu'il a tout. Il a un excellent solo de guitare, un solo d'orgue hammond, le solo de shakuhachi, le solo de flûte, du vocodeur, du growl, du chant de gorge… tout. Et tout ça, condensé dans une chanson de 5 minutes, pas une qui s'étend sur 10 ou 11. Il y a de nombreux thèmes, et ils changent beaucoup.

 

"Mayonaka" a aussi de bonnes progressions

Ouais, je pense que oui. Alors oui, je préfère cette chanson. Et les paroles ne parlent pas de la peur de la mort, mais de mon expérience personnelle réelle. Il y a trois ou quatre ans, pour faire court, j'ai connu minuit deux fois en une nuit. C'était une expérience vraiment très étrange et effrayante, dont les détails sont disponibles sur la vidéo ou le livret de l'album. Je devais faire cette chanson et c'est probablement pour ça que je l'aime le plus.

Et la vidéo est super aussi ! Elle a été réalisée par Costin (Chioreanu). Il a fait un excellent travail pour beaucoup de groupes, et il a totalement compris mon état d'esprit pour cette histoire et a produit quelque chose de psychédélique et d'effrayant, comme je le voulais. C'est une super vidéo.

 

Il a déjà travaillé pour Sigh, n'est-ce pas ?

Oui. Il a fait l'illustration de Graveward, et probablement le clip de "Transfiguration Fear" sur In Somniphobia.

 

Comme tu l'as mentionné, l'orgue Hammond est bien présent. Ce n'est pas vraiment un retour non plus, il y a une sorte d'ambiance années 70 bien présente sur les albums récents de Sigh. Un peu comme les gars d'Enslaved qui mélangent pas mal d'influences 70's dans leur metal, je suppose que tu es aussi quelqu'un qui aime la musique des 70's ?

Oui. La musique des années 70 est une grande source d'inspiration pour moi. Et je suis aussi un collectionneur de claviers vintage, donc j'aime vraiment ce genre de choses. Cette fois, c'est l'inspiration d'Uriah Heep qui est assez énorme sur Shiki, en particulier ce son d'orgue hammond bien sale. Je voulais recréer ce genre d'ambiance.

 

Ce son est tellement génial !
Je suppose que vous avez vu qu'Uriah Heep prévoit une nouvelle tournée l'année prochaine. Je ne sais pas s'ils ont déjà prévu des dates au Japon, mais ça va être génial.

Oh ouais, clairement !

 

Eh bien, merci beaucoup pour cette interview. Arigatō gozaimashita

Domo arigatō

Tracklist :

Kuroi Inori
Kuroi Kage
Shoujahitsumetsu
Shikabane
Satsui : Geshi No Ato
Fuyu Ga Kuru
Shouku
Kuroi Kagami
Mayonaka No Kaii
Touji No Asa

Sortie le 26 août chez Peaceville Records.
Photographie promotionnelle : DR Sigh



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