C'est à la clôture du Cernunnos Pagan Fest 2013 et après leur concert de ce soir que je parviens à retrouver Heiko Gerull, l'un des fondateurs de Menhir. Aussitôt, il me propose de partager une bière allemande et nous nous installons sur un escalier au calme relatif d'un backstage.
Je sais qu'il s'agit là d'une occasion très rare, car c'est la première fois que ce groupe de pagan metal quasi-légendaire se produit en France...
Heiko : La dernier interview que j’ai donnée remonte à il y a huit ans.
Thomas : Oui, j’ai appris cela. En plus, vous n’êtes pas souvent en tournée. Je vous connais depuis l’époque de « Die Ewige Steine » et depuis, je me suis toujours dis qu’un jour je vous verrais en concert. Et c’était aujourd’hui !
(Rires)
Heiko : En fait, le problème, c’est qu’on fait trop de trucs. Par exemple, cette année, je serai à nouveau à Marle (NDLR: Le musée des Temps Barbares y organise de nombreux événements). On va y faire une bataille reconstituée. J’ai chez moi également un village historique, et tout cela ça fait beaucoup de choses à faire !
Thomas : C’était justement ma première question. Tu pratiques de la reconstitution historique ?
Heiko : Oui, de la reconstitution historique. Je reconstruis des objets retrouvés dans des tombes d’après des radiographies d’épées, je forge et je fais des plaquages en or et argent, comme les originaux.
Thomas : De quelle époque exactement ?
Heiko : De l’époque des migrations des peuples, des temps mérovingiens des 3ème au 5ème siècle en particulier.
Thomas : C’est pour cela que tu n’as pas beaucoup de temps !
Heiko : Oui, pas beaucoup de temps ! J’ai trois enfants, des chevaux et tout un tas de choses ! Je fais tout ceci sans stress et sans démarche commerciale. C’est pour cela que je fais tout cela depuis si longtemps : pas de pression. Et le dernier album « Hildebrandslied » date déjà de six ans, mais le mois prochain, on entre en studio et nous enregistrerons quelque chose.
Mais c’est vrai que c’est drôle, aucun autre groupe a le droit de faire cela, ne pas produire de CD pendant cinq ans. Mais pour nous, c’est OK ! On fait nos six ou sept concerts par an, qu’il y ait un nouveau CD ou non, on les fait par plaisir.
Thomas : En passant, c’est amusant que tu m’aies dis que tu faisais de la reconstitution historique, car quand on regarde vos tenues de scène de près, on remarque que les tissus et les accessoires sont authentiques, historiques et faits à la main.
Pour en revenir à votre futur, vous entrez à nouveau en studio. Allez-vous vous orienter vers quelque chose de plutôt acoustique ou plutôt… ?
Heiko : Non, comme d’habitude. Rien ne changera !
Thomas : Je demande, car c’est vrai qu’au bout de si longtemps, on peut changer…
Heiko : Non, on a plutôt évolué vers quelque chose de plus heavy, mais fondamentalement notre objectif est de ne rien changer. On a d’ailleurs joué un nouveau titre pendant le sound check.
Thomas (rires) : Oui, pendant les réglages, mais pourquoi pas sur scène pendant votre concert ? J’y étais, et je pense que beaucoup de gens dans la salle connaissent Menhir, bien que vous n’ayez jamais joué en France et que vous n’êtes pas très commercial. Est-ce que vous avez déjà envisagé de jouer davantage à l’étranger, en France, en Italie, en Espagne... ? Après tout, vous êtes connus dans ce style. Ca ne vous dit rien, vous n’en avez pas envie ?
Heiko : Le problème, c’est que nous n’avons pas de manager ou de merde dans ce genre. Quand on nous écrit en nous disant qu’on veut nous avoir, on y va. Quand on ne nous écrit pas, on n'y va pas !
Thomas : C’est aussi simple que ça !
Heiko : Et oui…
Thomas : Quand on écrit, comme vous, depuis si longtemps sur un thème, on a sûrement le besoin d’exprimer des pensées profondes, des pensées presque philosophiques.
Heiko : La musique, ce n’est pas un loisir, c’est une part de notre vie. On fait aussi plein d’autres choses, et la musique en est une partie qui doit être accomplie. On doit faire de la musique, sinon on se ramollit. On n’a pas forcément besoin de voyager à travers le monde, j’ai chez moi tout ce dont j’ai besoin. On peut choisir où on va et puis, on le fait. Ca n’a pas besoin d’être une tournée. On n’a de toute façon pas le temps pour ça.
Thomas : Il y a aussi des festivals, pas basés sur la musique, mais sur l’Histoire. Tu l’as dis avant, tu vas à Marle, à titre privé si j’ai bien compris.
Heiko : Non, avec le groupe.
Thomas : C’est donc un sujet qui t’intéresse. Tout ce qui est histoire, pas seulement ce qui est germanique ou celtique. Y-a-t’il d’autres sujets qui t’intéressent ? Des thèmes qui te touchent et sur lesquels tu aimerais un jour écrire une chanson ? Quelque chose de totalement différent, par exemple sur les Indiens ou n’importe quoi d’autre.
Heiko : Tout ce qui va du 6ème siècle, avec les germains, l’époque mérovingienne, époque où ils sont allés en Angleterre puis au nord. Puis jusqu’au 8ème au 10ème siècle avec les vikings. Tout cela a disparu, l’esprit germanique et tout ça. Un peu comme les samourais. Les castes guerrières germaniques. Cette recherche spirituelle. La vie spirituelle, nous ne la voyons plus. Pour moi, c’est de la culture générale, les autres appellent ça de la fantasy, et ne peuvent pas s’imaginer que cela ait pu exister, c’était la vraie vie.
Les archéologues voient des trésors archéologiques et disent que c’était comme ci ou comme ça et les copient, mais tout ce qui est derrière, ça ne les intéresse pas. Ce n’est pas leur travail. Ils se battent entre eux par livres interposés, mais la raison profonde de l’archéologie, ce n’est pas ça. Certes, il y a les objets retrouvés, mais ce qu’ils ont pensé, comment ils ont vécu, ce n’est pas facile. Les archéologues ne le voient pas.
Thomas : C’est une expérience personnelle en somme. Est-ce que tu lis beaucoup ?
Heiko : Oui, j’ai besoin de lunettes pour lire à force !
Thomas : Par exemple, quels sont tes dernières lectures ?
Heiko : Hermann Löns « Der Wehrwolf » (Le Loup-Garou). Il parle de la guerre de Trente ans et de la difficulté de la vie à l’époque. La forêt s’est régénérée complètement, mais les gens ont disparu. Dans mon village, pendant la guerre de Trente ans, il y avait 900 habitants, et il n’en est resté que six. C’était terrible. Que ce soit les mercenaires, des suédois, des danois, ils ont tué tout le monde. Le livre de Hermann Löns raconte ce que les gens ont vécu, comment ils se sont défendus.
Thomas : Encore une thématique historique.
Heiko : Oui.
Thomas : Pour changer de sujet et revenir au groupe, j’ai remarqué que vous n’aviez pas de bassiste ce soir ?
Heiko : Oui, notre bassiste est malade actuellement et manque à l’appel.
Thomas : Est-ce que tu peux définir, en ce qui te concerne, ce qu’est Menhir en 2013 ? En un seul mot, je sais c’est difficile !
Heiko : Recherche spirituelle, depuis toujours. J’ai aussi participé à construire un village historique, et je m’en occupe toujours. La musique, ce que je fais avec proches, tout va ensemble.
Thomas : Qu’est-ce que tu aimerais dire aux lecteurs de la Grosse Radio en France ?
Heiko : D’essayer de ne pas juste lire un livre, mais d’essayer de comprendre ce qui est marqué entre les lignes. C’est tout un art de savoir lire entre les lignes. C’est ce que plus personne ne sait faire. Tout ce qui est représenté de nos jours est faux. Toute la société est représentée d’une certaine manière, et tu ne dois pas chercher à comprendre. Ils ne le veulent pas. Ils ne veulent pas que la beauté du passé revienne. Nous sommes dans une impasse. Si on remonte par exemple vers -800 à -200, il n’y avait personne qui restait dans le caniveau comme au moyen-âge ou de nos jours. C’était ordonné. Il y avait des sippe (NDLR : famille étendue chez les germains), c’était important, comme la famille, sinon ça ne fonctionne pas. De nos jours, chacun court seul dans son coin. C’est faux. Tu tombes malade. Tu as besoin d'avoir tes gens autour de toi, et ça va mieux. Tu dois pouvoir trouver ces gens qui seront tes proches, et c’est difficile.
Thomas : Je te remercie pour cette très intéressante discussion !
Hors interview, nous avons continué à discuter longuement. Ce que j'ai retenu, c'est qu'Heiko est une personne simple, soucieuse du bien être des gens et qui a une véritable et profonde réflexion. Bref, "un type bien" comme on aimerait en connaître davantage.
Nous avons donc hâte de le revoir avec Menhir quelque part en France ou ailleurs, et bien sûr d'écouter leur prochain album actuellement en création !
Thomas Orlanth