Entretien avec Jonathan de Spheres au Hellfest 2022

Lors du Hellfest 2022, Jonathan Lino de Spheres s'est entretenu avec La Grosse Radio, dimanche 19 juin. C'était l'occasion de revenir sur les années récentes, leurs (non) évènements et la promotion difficile de Iono. Mais aussi de présenter le deuxième album, Helios, qui sort fin septembre, et les projets du groupe.

Salut Jonathan. Vous voilà une nouvelle fois invités au Hellfest, même sans y jouer. Ca reste un but pour vous ?

Effectivement. J'avais échangé par mail avec Yoann, le bras droit de Benjamin [Barbaud, ndlr]. Il aurait pu potentiellement nous proposer un set sur la Hellstage [petite scène en dehors de l'espace concert à proprement parler, ndlr]. Normal pour un premier album, on restait un groupe en développement. Le problème pour nous, c'est que sur la Hellstage faut quelque chose d'assez efficace. Jouer du metal progressif c'est un peu plus délicat.

On vise plus un slot sur les scènes ici, peut-être la Valley ou la Altar, ne serait-ce qu'à 10h ou 11h le matin. Je pense vraiment qu'avec ce nouvel album on va pouvoir y prétendre. C'est beaucoup mieux produit que le premier, plus pro, et on est aussi mieux entourés ! On a un label, on est chez M&O et on a un attaché de presse, le meilleur de France, Roger ! Voilà, on est prêts.

On a aussi beaucoup bossé en live. On a un mode de travail un peu différent d'avant. J'exporte toutes les pistes à tout le monde et chacun bosse chez lui, avec les backing track au clic. Quand on se voit, c'est pour filer droit. On travaille le jeu de scène parce qu'on a déjà travaillé les morceaux en termes d'écriture, à l'enregistrement, à la composition. On n'a pas honte de le dire, on a un ordi avec un clic dans les oreilles, et clairement ça marche. C'est ma vision, mais je pense que tous les groupes devraient le faire, parce que tu joues beaucoup plus droit. T'as un compagnon, un musicien qui ne se trompe jamais. Une horloge. A l'intérieur de ça, rien ne t'empêche de groover, de travailler l'expression, mais tu suis une autoroute. Depuis qu'on fait ça, tout le monde joue beaucoup mieux. Il y a moins de pains ...

Ce nouvel album c'est votre second, Helios. Le premier single est déjà sorti !

Oui. "Spiritual Journey" est sorti le 10 juin, vous pouvez le retrouver sur la page Youtube, ou en allant directement sur notre page Facebook. On a aussi un linktree, avec les liens pour écouter le single sur toutes les plateformes de streaming. 

La vidéo est très sympa, tu peux nous en dire plus ?

On a travaillé avec Lucas Bachelet. Il fait ce qu'on appelle des images fractales. Il m'a fait découvrir et j'ai vraiment eu un kiff là-dessus, cette sorte de construction complètement psychédélique mais en 3D. Je trouvais que ça collait totalement à cet univers onirique.

La thématique principale de l'album, c'est la dystopie. Ce n'est pas un album concept dans le sens où chaque titre raconte sa propre histoire mais tous ont ce thème en commun.  Et "Spiritual Journey" aborde un monde où les gens se sont ou peuvent volontairement se réfugier dans des paradis artificiels connectés, et en deviennent complètement addicts. D'où le titre, "voyage spirituel".

Cette thématique de dystopie est déjà un peu présente dans Iono, par exemple sur un morceau comme "Television Nation".

Complètement, et on a continué dans cette direction. Je ne sais pas si tu as lu le bouquin de Stephen King, Running Man, où il n'y a plus que deux classes : la classe populaire qui n'a vraiment plus de thunes et la classe dominante. Le capitalisme est arrivé à sa quintessence et seules quelque rares personnes détiennent l'ensemble des richesses de la planète, les classes populaires se tournent souvent vers des chaînes de télévision pour vendre leurs corps pour des shows de télé-réalité à la limite du snuff movie, où ils se font bousiller devant les caméras. J'ai adoré ce livre et ça m'a inspiré le morceau "Running Man".... qui est un peu dans la continuité de "Television Nation", tu as raison.

"Social Credit System", comme son nom l'indique est directement inspiré du système de crédit social en Chine, donc un monde où l'Etat tout puissant peut te bloquer et où tu peux finir en prison si tu n'es pas bien vu par le parti, par le chef suprême. Tu vis à crédit pour tout dans la vie. Le plus long morceau de l'album avec une ouverture à la Meshuggah vraiment bien brutale c'est "Pandemia". Évidemment ces deux ans de lockdown m'ont inspiré le titre, mais au-delà, on y parle plus de collapsologie [courant de pensée qui s'intéresse aux risques d'effondrement de la civilisation, ndlr] que de pandémie. C'est ça le vrai sujet de fond de ce morceau...

Un second single est prévu ?

Oui, celui qui va ouvrir l'album, "Algorithmic Sentience", composé par Olivier, le guitariste. Je suis le compositeur principal. Mais quand Camille, notre ancien guitariste, a du déménager en Russie, on n'avait plus la possibilité de tourner ni même de travailler ensemble. On a dû le remplacer et Olivier a repris le flambeau. Il m'a fait écouter ses compositions, j'ai adoré, j'ai tout de suite accroché. J'ai trouvé quelqu'un de très compatible avec ce que j'écrivais moi-même. On devrait le sortir un peu après la sortie de l'album.

Vous aviez lancé une campagne de crowdfunding pour cet album. Ça s'était bien passé, même si c'était un peu tendu sur la fin ?

En cours de route, j'ai un peu flippé mais beaucoup de gens qui ont fait des campagnes de crowndfunding pour des tas de choses totalement différentes m'ont dit que c'est normal. La plupart des donateurs participent à la fin, en général. On remercie encore tous ceux qui nous ont soutenus ! C'est ce qu'il fallait, à minima pour que le projet soit viable. Grâce à eux, on a pu envisager de faire tout ce qu'on avait besoin de faire. Bien entendu, 4000 euros ça ne suffisait pas pour payer toutes les factures, on y va de notre poche à grands coups de 5000 euros, mais suite à la pandémie on n'a pas pu faire rentrer d'argent, on n'a pas vendu de merch, très peu de dates, donc on avait vraiment besoin du soutien des fans, des followers et des proches. Aujourd'hui on peut envisager l'avenir de cet album sereinement, tous les voyants sont au vert. On a pu envoyer le vinyle au pressage, on va bientôt le recevoir, les CD, je les ai déjà reçus, on a pu embaucher Roger et je suis content parce que c'est quelqu'un avec qui j'avais envie de travailler depuis longtemps.

A l'avenir est-ce que vous le referiez ? Cela apporte aussi un contact avec le public.

C'est effectivement un bon outil de communication. Et ça a permis un premier essor, parce qu'avant même de terminer l'album, on a fait des playthrough, on donnait de la matière. On voulait prouver qu'on avait vraiment un projet sérieux et pro à défendre. Tout comme Clémence et Olivier, j'ai fait des captations live, j'ai chanté les morceaux, je voyais que ça prenait bien et ça permettait aussi de montrer qu'on ne faisait pas que demander de la thune, qu'il y avait bien un projet derrière. Après, dans ma pudeur et mon ressenti personnel, j'aurais quand-même un peu de mal à l'idée de faire ça à chaque album. J'aimerais bien que pour le prochain les rentrées de dates et de merch soient suffisantes pour qu'on puisse être autonomes.

On sait bien qu'il faudra toujours en mettre sur la table, ne serait-ce que pour pouvoir espérer un label. On aurait peut-être aussi d'autres options comme des demandes de subventions ou de sponsoring. Je vais privilégier ça plutôt que de solliciter encore une fois les fans et les proches. Mais on pourra peut-être le refaire à l'avenir ou pour autre chose.

Revenons sur le live. D'ici à une potentielle future date au Hellfest, il vous faut aussi plus d'expérience en salle. Qu'avez-vous prévu ?

On s'occupe beaucoup du booking par nous-mêmes. On a déjà Caen, Le Havre, Liège, Paris, Montpellier, bientôt une date à Bordeaux. Il y a des choses sur la table, mais ce n'est pas facile d'avoir les gens au téléphone ou par mail. La reprise n'est pas si simple. Beaucoup de salles ou d'orgas sont sur des reports de 2020 ou 2021, donc les créneaux sont pris. Certaines assos ont du mal à redémarrer parce que pas de fonds, d'autres l'ont fait mais il n'y a pas beaucoup de préventes donc elles ont peur, voire annulent.

Tout cet environnement n'aide pas un groupe à se développer à hauteur de toute sa valeur. Mais on commence à avoir des gens qui nous demandent, sans qu'on ait eu besoin de les contacter. Et ça, c'est plutôt gratifiant. C'est là que tu te dis que la mayonnaise commence à prendre. 

Liège, ça veut dire que vous faites déjà une date à l'étranger ?

Il faut. Avec le premier album on était déjà allés jouer du côté de Maastricht, en Hollande, parce que le batteur Jesse est originaire de là-bas. Ce qui change maintenant, c'est surtout qu'avec notre label on va être distribués partout. En digital évidemment, mais aussi en physique : en Angleterre, en Allemagne, au Benelux, même aux États-Unis. Evidemment, on ne va pas y tourner tout de suite ! [rires]. Maintenant il faut qu'on aille dans ces pays-là.

Le projet ultime, c'est d'arriver à choper un groupe un peu plus connu pour faire sa première partie. Mais, c'est assez désagréable dans le metal,  beaucoup te demandent de payer pour ça. Je trouve que c'est un peu abusé.

Du coup c'est compliqué de se faire une place quand tu n'es pas déjà suffisamment gros...

Surtout que nous on est en autoproduction, donc on a déjà beaucoup déboursé pour la production de l'album... Je demanderais bien aux groupes qui sont dans la même situation que nous : tu as déjà mis sur la table de quoi produire physiquement l'album, c'est à dire l'enregistrer, le mixer, le masteriser puis prendre un attaché de presse, bref, régler toutes les factures, faire presser des vinyles, des CD... Comment fais-tu pour ajouter encore sur la table peut être 1500, 2000 balles pour avoir l'opportunité de tourner en première partie d'un groupe plus connu ?

La pandémie n'est pas du tout tombée au bon moment pour la promotion de Iono. Vous vous êtes retrouvés arrêtés dans votre élan, non ?

Oui. On avait pas mal d'opportunités et évidemment comme tout le monde on a eu beaucoup de dates annulées. Iono c'était notre premier album, c'était un peu plus compliqué avant pour trouver des dates. A partir du moment où on a eu le background de l'album, qui avait plutôt correctement fonctionné même si on restait un groupe en développement, on avait fini par trouver pas mal de dates, surtout en 2020. On s'est pris toute une salve dans la face, et on s'est retrouvé avec une quinzaine de dates annulées.

On a pu en reporter certaines à l'intérieur de la tournée, dans le court laps de temps où les salles avaient été rouvertes en octobre, mais ça n'a pas duré longtemps. Et puis les gens étaient un peu timides à l'idée de venir. Le reste a été annulé, donc on s'est dit "tant pis, ce sera pour le prochain". On a même eu des festivals qui nous programmaient et qui finalement ont jeté l'éponge.

Comment as-tu vécu la pandémie ?

La pandémie n'a pas nécessairement été pour moi une grande période de créativité, au début en tous cas. Sur le premier confinement, j'ai énormément déprimé, j'ai eu beaucoup de mal à écrire, à composer. Il me manquait une fenêtre ouverte sur le monde pour avoir des choses à raconter. Je l'ai très très mal vécu.

Tu l'as vécue où ?

Tout seul dans mon appart en région parisienne. J'adore la vie que j'ai là-bas, mais la vie normale, où tout est ouvert, où il y a des squats, des bars, des concerts... Et le premier confinement a été assez strict et pas du tout productif pour moi. A l'automne on se reprend cette grosse branlée dans la gueule. Et ce qui était marrant la deuxième fois, c'est que là où je vis à Montreuil, il y a énormément d'artistes, de techniciens, de gens "non essentiels".

On s'est un petit peu organisés et là je me suis senti en vie et j'avais beaucoup plus de choses à raconter. C'est vraiment à ce moment-là que Helios a pris son envol. J'ai pu bénéficier de ce temps à la maison pour enregistrer dans mon studio.

Ca te fait gagner beaucoup de temps ?

Oui, mais même si je suis à la genèse de beaucoup de morceaux, j'ai besoin de toutes les compétences et la qualité d'arrangement du reste du groupe. De Jesse qui est un bon batteur, de Clémence, bassiste très ingénieuse dans son jeu et dans ses idées, et Olivier pareil. Donc il fallait qu'on puisse se voir.

Sur les prochaines dates que vous allez faire, est-ce que vous allez aussi jouer des morceaux d'Iono ?

On s'adapte parce que les programmateurs peuvent demander de jouer de vingt minutes à deux heures. Si on nous demande de jouer deux heures, on fera les deux albums. Mais dans des sets un peu plus classiques, genre une heure, on joue quasiment tout le nouvel album. Peut-être à part "Running Man", qu'on a monté en dernier, qui est un peu plus complexe. On a déjà commencé à le jouer en live, pour le moment on ne le place pas sur toutes les dates.

À côté, on joue très souvent "Television Nation", qui marche toujours très bien, "Stellar" avec toute sa partie planante à la Pink Floyd au milieu, ça plaît toujours. On avait déjà fait une captation live de ce morceau. Après, c'est variable, parfois on rajoute un petit petit "Silk Road" ou un petit "Break Loose".

Donc votre regard sur Iono n'a pas changé ?

Non. Enfin, ce qui a changé, mais je trouve que ça fait du bien en live, c'est que pour des choix artistiques au niveau de la hauteur et pour la voix, j'ai apprécié de descendre toutes les guitares d'un ton, ainsi que la basse, pour la production d'Helios. On est passé en drop do, avant on était en drop ré. Du coup, on s'est dit avec les gars et les filles que pour le live on allait garder le nouvel accordage et jouer les anciens morceaux un ton en dessous. Ça donne de la lourdeur, et "Television" tabasse maintenant ! On pourrait même faire une nouvelle version live de ces titres.

C'est sûrement trop tôt pour parler d'un prochain album, mais est-ce que Spheres a d'autres projets dans les cartons ?

Dans la créativité artistique il y a bien sûr le nouveau clip ! On travaille avec une équipe différente cette fois : des étudiants d'EICAR, une école d'audiovisuel à Paris.

Ca fait un bon projet étudiant !

Complètement, et c'est moins cher. En plus de ce clip, on s'est dit avec Olivier qu'on profiterait bien de ce petit creux avant la sortie de l'album pour se voir et composer un peu... Pas forcément pour un album ceci dit. On pourrait peut-être envisager un EP pour 2023. J'aimerais pouvoir amener quelque chose de nouveau dans les deux ans, maximum.

 Quel groupe es-tu allé voir ou vas-tu aller voir sur ce premier week-end du Hellfest ? Qu'est-ce qui est incontournable pour toi ?

Je trouve que je suis assez bien servi sur ce premier week-end. Je suis un gros fan de Devin Townsend, et ça transpire énormément dans mes inspirations. J'aime beaucoup le personnage aussi. Il est à la fois très smart, très intelligent et en même temps complètement burlesque et très drôle. Et c'est un peu mon état d'esprit. J'aime le prog, j'aime les choses intelligentes et en même temps je peux pas m'empêcher d'aimer aussi cet humour improbable. Et Gojira bien sûr ce soir. Pareil, ça fait partie de mes inspirations, tout comme Soen. Et Leprous bien sûr, j'ai d'ailleurs pu rencontrer Tor et Robin en backstage. On aimerait beaucoup ouvrir pour eux.

Est-ce qu'il y a d'autres groupes de l'édition pour qui Spheres aimerait ouvrir ?

On en a déjà cité plusieurs : Soen, Leprous, Gojira... Mais là ça va être compliqué. [rires] Plus modestement, Car Bomb aussi. Il y avait un son, incroyable ! Leur set était mortel et je suis désolé pour eux : ils ont eu un problème, leur chanteur n'a pas pu prendre l'avion et ils ont fait un set instrumental sans lui. Mais du coup, j'avais sorti ma calculette, j'étais bien : "Ouah, il y a plein de polyrythmies" [rires].

En attendant, pour tous ceux qui sont à Paris, grosse release party au Dr. Feelgood le jour de la sortie de l'album, le 23 septembre, avec séance de dédicaces, diffusion des clips, showcase. On y jouera une version réduite de notre set en live.



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