Vendredi 19 août 2022, Saint Nolff
Deuxième journée du festival, et première typiquement metal. Cette fois, le festival est à l'heure, et l'organisation a mis à profit la toute nouvelle scène, la Bruce Dickinscène, pour des artistes globalement d'obédience folk sous toutes ses formes. Sur les autres scènes, de nombreux genres sont représentés, du prog au black sans oublier le power ou le bon thrash metal des familles.
À 13h35 c’est la formation britannique de hardcore Svalbard qui attire notre attention sous la Massey, la seconde tente du Motocultor. Violence et rage émanent du set rythmé et passionné du combo. Le chant crié et quelques passages mélodiques clairs sont assurés par la frontwoman Serena Cherry soutenue aux chœurs par l’autre guitariste Liam Phelan. Un groupe énergique et engagé, les morceaux traitant de thèmes tels que les agressions sexuelles, la dépression ou le harcèlement.
Acyl
Bruce Dickinscène, 14h20
Il pleut relativement fort sur le Motocultor, mais cela ne fait pas reculer les fans d’Acyl, alors que le groupe franco-algérien est programmé sur la Bruce Dickinsène, l’un des deux plateaux en extérieur. Après une introduction orientale enregistrée, le groupe lance son premier morceau, « Kassaman », un titre énervé qui débute à la batterie et offre un son assez massif, avec un refrain growlé et des chœurs clairs, auxquels le chanteur Amine finit par répondre également en voix claire.
Le groupe a pour ambition de mélanger metal et musique traditionnelle du Maghreb, aussi bien arabe que berbère. Si les Scandinaves et les Celtes ont prouvé depuis longtemps que cet alliage fonctionnait parfaitement, le folk metal méridional reste encore relativement peu répandu. Pourtant, la fusion est tout aussi efficace, et au fil des années, Acyl a su développer un son identifiable, original et croisant avec brio les influences. Son metal agressif lorgne plutôt du côté du groove, parfois du prog. Les instrumentations sont lourdes – la basse de Samy vrombit d’ailleurs un peu trop sur le début du set –, le chanteur fait abondamment usage de différents types de chant saturé, les deux guitaristes Abderrahmane et Reda offrent des murs de son massifs.
Tout cela s’équilibre parfaitement avec les sonorités orientales. On les retrouve souvent dans les chœurs, mais également dans le chant principal. Quelques instruments traditionnels sont également présents sur scène, notamment des percussions : bendirs (tambours sur cadre), darboukas (qui ressemble au djembé), karkabous (grandes castagnettes métalliques) mais aussi oud. Tantôt les percussions accompagnent une guitare et un oud, tantôt elles sont jouées simultanément par les quatre musiciens sur le devant de la scène, le batteur Aghilas les accompagnant de son instrument.
A cinq sur une petite scène, les musiciens occupent déjà bien l’espace, et les quatre qui sont mobiles se lancent régulièrement dans des mini chorégraphies synchronisées, quand ils ne s’amusent pas à faire tournoyer leurs percussions en rythme.
Le public semble apprécier, et le frontman le félicite plusieurs fois : « Motocultor, ça c’est des courageux », s’exclame-t-il ainsi alors que la pluie continue de tomber. Il interagit beaucoup avec la foule, lui fait faire divers mouvements et communique souvent, que ce soit pour présenter les nouvelles chansons - « On ne l’a pas encore nommé donc on va l’appeler nouveau titre » ou pour avouer qu’il est censé meubler durant le changement de guitares mais n'a comme d’habitude rien préparé. Il insiste surtout sur la raison d’être d’Acyl, qui veut plus que tout construire des ponts entre les cultures. «C’est cool de voir des Vikings sur de la musique du Sud. C’est ça qu’on veut voir ! » clame-t-il vers la fin. La formule est assurément aussi percutante que le show qu’a offert le groupe aujourd’hui.
Setlist
Intro
Kassaman
Mercurial
Finga
The Battle of Constantine
Kabyle
Drop
Drum Intro
Obduracy
Gibraltar
Head on Crash
Ungratefulness
Creation Chapter 3 : Autonomy
Klone
Massey Ferguscène, 15h10
L’arrivée des cinq musiciens est saluée chaleureusement par le public venu nombreux. Habitué des festivals et réputé pour la qualité de ses performances, Klone s’impose sans mal dès les premières notes de l’épique "Yonder", morceau issu de son sublime dernier album studio Le Grand Voyage, sorti en 2019. Les sept morceaux de la setlist de cet après-midi vont mettre en avant ce dernier opus ainsi que les deux précédents (The Dreamer’s Hideaway - 2012 et Here Comes the Sun - 2015).
Navigant entre des lignes de guitare délicates et des déferlements de puissance, le groupe impose un son unique, entre metal progressif et rock atmosphérique, le chant inspiré et varié de Yann Ligner tenant lieu de pierre angulaire. La lourdeur du son de basse de Enzo Alfano et la rythmique tantôt feutrée, tantôt punitive posée par Morgan Berthet (Myrath) à la batterie (pleine de reverb elle aussi) accompagnent au mieux la dureté des riffs explosifs dont Guillaume Bernard et Aldrick Guadagnino ont le secret. À noter, ce dernier a assuré le remplacement de Christian Andreu, absent pour paternité, sur une grande partie de la récente tournée US de Gojira. Ses lignes de guitare semblent moins denses au début du set, mais le mix se règle rapidement.
Les headbangs des musiciens s’accordent avec ceux du public, sur les morceaux les plus rugueux ("Immersion") ou les outro très lourdes ("Keystone", "Nebulous"). Que ce soit sur ces morceaux puissants ou sur des titres plus planants ("Silver Gate"), le groupe trouve la beauté dans la lenteur et de la force dans la contemplation, et les yeux fermés dans le public montrent que le Motocultor adhère complètement. Sur la reprise de Björk "Army of Me", le bassiste descend à la barrière partager un moment de proximité avec le public enthousiaste. L’arrangement et l’intensité du chant force l’admiration et c’est sur ce final énorme que le quintette quitte la scène sous les applaudissements, après une prestation impeccable, marquante – mais trop courte (et sûrement un peu trop tôt dans l’après-midi).
Setlist Klone :
- Yonder
- Rocket Smoke
- Immersion
- Keystone
- Nebulous
- Silver Gate
- Army of Me (reprise de Björk)
Garmarna
Bruce Dickinscène, 15h55
La plus récente des scènes du Motocultor prend des accents folk tout au long de cette deuxième journée. C’est ici le quintette suédois de néofolk Garmarna qui investit la scène, alors que la pluie s’est à peu près arrêtée. Le groupe propose un son beaucoup plus tranquille que les formations qui l’entourent. La chanteuse Emma Härdelin débute a capella, avec une fort jolie voix, avant que ne viennent s’ajouter des sons de basse extrêmement forts – alors qu’aucune basse n’est alors visible sur scène. Puis c’est au tour du violon de faire son apparition, reprenant le motif du chant. Outre le chanteuse et le violoniste Stefan Brisland-Ferner, on trouve sur scène un guitariste électrique, qui s’emparera parfois d’une basse (Rickard Westman), un guitariste acoustique (Gotte Ringqvist, qui joue aussi du luth et du violon) et un batteur (Jens Höglin). C’est très doux et calme, presque apaisant, appréciable entre deux décharges d’énergie beaucoup plus brutales.
Le morceau suivant a des airs médiévaux, et s’il est très agréable, on sent que quelque chose ne tourne pas rond. Le guitariste, qui a pris la basse sur ce titre, semble mécontent, et au milieu du morceau, il traverse la scène en courant pour manifestement se plaindre à un technicien sur le bord.
Pourtant, le son devient de plus en plus massif, et sur le pont, la chanteuse se saisit d’un second violon, ce qu’elle fera à plusieurs autres reprises. Elle annonce que le groupe va jouer deux ballades médiévales suédoises, et si la première chanson est très agréable, l’aspect médiéval et ballade s’entend un peu dans la mélodie, mais la rythmique très marquée et les arrangements l’en éloignent.
Le second morceau commence a capella, avec plusieurs voix, de nouveau se font entendre des basses puissantes, et soudain un gros cafouillage sonore oblige le groupe à interrompre le morceau. « Que se passe-t-il ? Notre sixième membre est un ordinateur, avoue la chanteuse, et je ne sais pas s’il se sent bien ». Le groupe joue alors quelques morceaux pour lesquels l’ordinateur n’est selon lui pas indispensable. Si l’usage du numérique pour certaines sonorités est de plus en plus répandu dans la musique actuelle, on peut regretter un usage pas toujours pertinent. Jouer de la musique électronique, c’est une chose, mais quand cela ressemble plus au remplacement d’un instrument, l’usage est plus discutable – encore plus comme dans le cas de Garmarna, où cela n’apporte au final pas grand-chose à la prestation.
La formation poursuit néanmoins son set, les morceaux sont tous très plaisants, qu’ils soient doux et lents ou plus joyeux, et les reprises de morceaux traditionnels côtoient avec succès les compositions du combo d’inspiration médiévales. Le dernier titre est particulièrement prenant, la chanteuse finissant sur une note aigüe stridente mais saisissante. En dépit de quelques complications, la prestation de Garmarna était tout à fait charmante.
16h45 - Pogo Car Crash Control est un groupe qui monte depuis quelques années, et avec son dernier album, il a encore pris du galon. Il est assez logique alors qu’en milieu d’après-midi, la Massey Ferguscène où il se produit soit pleine à craquer. Le déluge sonore de la formation française, à mi-chemin entre punk, grunge et metal, semble électriser le public du Motocultor, et il faut dire que « Cristaux Liquides », l’un des derniers singles, passe très bien l’épreuve du live.
Seth
Supositor Stage, 16h45
La Supositor Stage est parée pour un rituel sombre en cette après-midi : au fond de la scène est déployé l’artwork de La Morsure du Christ, dernier opus du groupe bordelais, représentant la cathédrale Notre-Dame en flammes. Ce disque sera largement représenté lors de ce set avec cinq titre joués (sur sept ! Promis, on ne le fera plus). Des bougies sont allumées – avec difficulté, le vent du Morbihan jouant des tours – et sur un autel au centre de la scène trônent une statue de la vierge, un crâne, un calice et des épées. Les musiciens déjà grimés procèdent aux balances, le décor est planté, la cérémonie peut commencer.
Les riffs acérés et la rythmique implacable de l’intro du morceau-titre de l’album retentissent avant l’arrivée théâtrale de l’énergique vocaliste Saint Vincent, maître de l’étrange cérémonie se déroulant devant le public du Motocultor. Son chant guttural expressif est impressionnant, même si le mix approximatif empêche de bien saisir les alexandrins composant les paroles en français qu’il déclame tout en arpentant la scène avec des chaînes aux poignets.
L’ambiance noire et malsaine se poursuit avec les morceaux suivants, issus du même disque, dont le rapide "Métal Noir" aux paroles largement reprises par le public, en communion avec les musiciens qui headbanguent et lèvent régulièrement les mains en direction de la fosse. Le black metal est là, menaçant, sombre et malsain au possible, mais revisité avec modernité, par des passages mélodiques plus calmes signés Pierre Le Pape au clavier ("La Morsure du Christ", "Les Océans du Vide") ou des moments plus lents assez groovy ("Hymne au Vampire Acte III"). Deux morceaux sont issus de l’album des débuts Les Blessures de l'Âme (1998) : "À la Mémoire de Nos Frères" et "Hymne au Vampire Acte I", sur laquelle une prêtresse voilée de blanc, Melainya, fait sa première entrée sur scène.
Les titres à la puissance ravageuse s’enchaînent, portés par les impeccables Heimoth et Saroth (à la guitare aujourd’hui) pour les riffs meurtriers et le tempo dément imposé par le batteur Alsvid. Le charismatique Saint Vincent se fait menaçant par moments, volubile et communicatif entre les titres sans se défaire de son cri caractéristique. Avec les poignards puis le calice il met en scène un rituel démoniaque tout au long du set qui atteint son paroxysme avec l’ultime piste "Le Triomphe de Lucifer", théâtre d’un indescriptible cérémonial aussi burlesque que sanglant (et dérangeant) mettant en scène la danseuse Melainya, point d’orgue de ce rituel intense et fascinant jusqu’aux dernières notes.
Setlist Seth :
La Morsure du Christ
Métal Noir
Les Océans du Vide
Hymne au Vampire (Acte I)
Hymne au Vampire (Acte III)
À la Mémoire de Nos Frères
Le Triomphe de Lucifer
Naheulband
Bruce Dickinscène, 17h35
Dans la catégorie « Ce n’est pas du metal mais ça plait souvent aux metalleux », le Naheulband figure en bonne place. Groupe créé à la suite du Donjon de Naheulbeuk, série audio de fantasy héroï-comiques culte pour nombre d’ados des années 2000, cela fait quinze ans qu’il a une vie propre indépendante de la série et se produit épisodiquement en France.
Comme d’autres groupes, le Naheulband est contraint de faire ses balances juste avant le concert, devant la foule massive qui patiente déjà devant la scène. Le combo en profite pour attaquer les blagues, parfois interactives avec le public, puisque le frontman finit par lancer « Vous êtes très nombreux : comptez-vous ! ». Et l’auditoire de s’exécuter dans un brouhaha assez drôle.
Alors que les autres groupes ont tendance à sortir après les balances pour entrer de nouveau sur scène et marquer le début officiel du concert, le frontman annonce « On ne va même pas faire semblant de sortir de scène pour faire croire qu’on n’était pas là pendant tout ce temps ».
Et le groupe d’attaquer aussi sec avec « La vie d’aventurier ». Un des nombreux classiques du groupe, même si le terme peut sembler excessif. En effet, le Naheulband officie vraiment dans un créneau de niche, et la majorité des gens ignore son existence, mais il possède un public vraiment fidèle parmi les fans du Donjon de Naheulbeuk, et nombre de ses morceaux sont véritablement cultes chez celui-ci.
Les chansons narrent donc les aventures de plusieurs personnages en Terre de Fangh, le lieu imaginaire où se situe le Donjon de Naheulbeuk et où évoluent ces personnages en mode jeu de rôle, qui doivent accomplir des quêtes pour gagner des niveaux. Barbares, elfes, nains, trolls se croisent donc au fil des morceaux : « Marches barbares », « A l’aventure compagnons »…
Musicalement, cela ressemble à du folk aux influences médiévales et celtiques, avec morceaux plus musclés aux accents rock. Ce n’est pas excessivement élaboré et là n’est pas le but, mais cela se tient complètement et reste bien exécuté par les six musiciens sur scène. Outre John Lang, le créateur de Naheulbeuk et du Naheulband, souvent au chant principal et à la guitare acoustique, le chant repose aussi sur Lady Fae et Julien Escalas (Le Mago, aussi guitariste et leader de MagoYond). Le groupe recourt aussi à une guitare électrique et un banjo (Tony Beaufils), un violon (Clémence, prêtresse de Dlul, dieu du sommeil), des flûtes et des percussions telles que bodhran et cuillères (Ghislain Morel).
L’ensemble est extrêmement réjouissant pour les adeptes des aventuriers rôlistes losers et charme même des néophytes arrivés là par hasard. Beaucoup de spectateurs retombent en adolescence. Entre les chansons – efficaces mais nettement plus intéressantes quand on connait déjà les paroles – les intermèdes de fausses publicités du Donjon, les références à la série et les blagues des musiciens, le set est vraiment euphorisant.
Il se conclut comme à l’habitude du groupe sur « Mon ancêtre Gurdil », qui narre l’épopée épique d’un nain parti chercher un métal précieux, qui subira nombre de déconvenues. La chanson est reprise en chœur par le public, à qui l’un des musiciens demande de s’assoir durant le morceau, au grand désarroi d’un autre (« mais non, il y a de la boue, ils vont se tacher ! »). Mais la fosse s’exécute avec enthousiasme, certains tentant même de complexifier la chose en se relevant pour les refrains mais en se rasseyant pour les couplets suivants – ce qui est suivi inégalement. Aussi improbable qu’il soit, le groupe aura montré qu’il avait parfaitement sa place dans un festival comme le Motocultor.
Setlist Naheulband :
La vie d’aventurier
A l’aventure compagnons
Pub Chiantos
Nanana de l’Elfe
Le grand pot-au-feu
Bourriner
Crom
Marche barbare
Massascrons-nous dans la taverne
Mon ancêtre Gurdil
18h30 - Sur la Massey Ferguscène, Pallbearer fait entendre un son lourd, planant et vibrant, avec des influences stoner. La formation américaine de doom offre un set homogène mais captivant, qui retient l’attention tout au long du concert.
19h25 - Sur la Bruce Dickinscène, Skàld continue la journée folk. La formation française a désormais une notoriété bien établie, puisque la fosse est extrêmement remplie. Le néo-folk du groupe manque d’originalité comparée à des formations plus établies, Wardruna et Heilung en tête, mais il reste agréable et on s’y laisse prendre assez facilement. Certaines attitudes et discours peuvent sembler un peu ridicules, mais le groupe exécute très correctement ses morceaux et permet de passer un moment sympathique.
The Ocean
Massey Ferguscène, 20h25
L’arrivée des six musiciens est saluée par les applaudissements de la tente bien remplie ce soir. Le groupe allemand a le vent en poupe depuis quelques années et les excellents albums Phanerozoic I (2018) puis II (2020), multipliant les performances live remarquées et se plaçant de plus en plus haut sur les affiches. Le groupe entame son set avec le récent "Triassic", alternant temps délicats où le chant clair, retenu et presque incantatoire, est partagé entre le vocaliste français Loïc Rossetti et le guitariste et fondateur du groupe Robin Staps, et des explosions de puissance et de fracas.
Le groupe signe un set impeccable, tout en puissance et en retenue, les compositions progressives étant mises en valeur par un son équilibré ce soir malgré quelques craquements constatés sous la tente aux moments les plus lourds. L’alchimie sur scène semble reposer sur un équilibre parfait entre d’un côté la force tranquille émanant des musiciens, impressionnants de précision, de la rythmique intriquée aux lignes circulaires de guitare, et de l’autre le dynamisme du chanteur posant son timbre écorché sur les passages ou morceaux lourds et intenses ("Bathyalpelagic II"). Le public, sensible à ce moment de qualité, semble captivé et respecte même la complexité de certains titres en chantant sur les moments plus doux (comme le lancinant "Miocene | Pliocene") et en lançant quelques crowdsurfers sur les passages plus énervés et puissants.
Sur la gauche de la scène, Robin Staps reste très discret, laissant Loïc Rossetti assurer l’essentiel des échanges avec le public dans la langue de Molière. Il faut signaler que le chanteur se remet à peine de fractures aux deux jambes (subies en mars dernier pendant la tournée américaine du groupe). On pourrait donc s’attendre à le voir se ménager sagement, à l’instar du reste du groupe plutôt impassible et posé … mais ce serait mal connaître la fougue et la spontanéité du personnage.
Si sur les passages aériens et calmes de "Silurian", il s’assoit et semble récupérer tranquillement, dès le troisième morceau "Bathyalpelagic I" il s’élance sans précaution dans le pit, courant et sautant un peu partout à la barrière, donnant quelques frayeurs aux agents de sécurité. On espère que son kiné n’était pas présent ce jour-là car sur "Permian : The Great Dying", l’intrépide vocaliste repart à la barrière, armé d’une caméra GoPro d’abord, décidant soudainement de se jeter dans la fosse pour y chanter soutenu par les bras vigoureux des festivaliers. Quelques mots d’amour échangés avec le public puis The Ocean conclut son set par le monumental "Jurassic | Cretaceous", issu de son dernier album, pour un ultime moment fort en intensité.
Setlist The Ocean :
- Triassic
- Silurian : Age of Sea Scorpions
- Bathyalpelagic I : Impasses
- Bathyalpelagic II : The Wish in Dreams
- Miocene | Pliocene
- Permian : The Great Dying
- Jurassic | Cretaceous
Kreator
Dave Mustage, 21h20
Le légendaire groupe allemand de thrash entame son set sous les clameurs de la foule très compacte peuplant la Dave Mustage, donnant vraiment à ce show des allures de tête d’affiche malgré l’horaire. Le rouge est à l’honneur avec les éclairages, des rideaux couvrant le pied de l’estrade qui s’étend sur toute la largeur de la scène, et les capes des mannequins trépassés en guise de décor de scène (pendus ou empalés, au choix). Le quatuor va proposer une setlist variée balayant sa longue discographie, en donnant la part belle aux favoris des fans qui donnent sérieusement de la voix ce soir. L’enchaînement d’ouverture "The Patriarch" et "Violent Revolution" (issus de l’album du même nom sorti en 2001) laisse place à l’accélération redoutable du morceau-titre du dernier opus, "Hate Über Alles".
Les pogos s’enchaînent, et les crowdsurfers défilent vers la scène à un rythme presque aussi soutenu que celui des musiciens à l’exécution rapide, précise, et impitoyable. La prestation à la batterie de Ventor Reil est hallucinante de précision, sur des rythmes galopants ("Phantom Antichrist") Le frontman Mille Petrozza a toujours une énergie communicative et les refrains tubesques sont repris sans peine par le public ce soir ("Satan is Real", "Enemy of God"). Il arpente la scène de concert avec notre Fred Leclercq national, dernier arrivé dans le groupe mais doté d’un dynamisme et d’une virtuosité indéniables et apparemment très à l’aise dans le jeu et les chœurs. Ce dernier prendra la parole vers la fin du set pour remercier chaleureusement le public et l’inciter à faire encore mieux que lors de son premier concert sur le sol français avec Kreator (au Hellfest en juin dernier). Le guitariste Sami Yli-Sirniö est quant à lui tout sourire et enchaîne des soli pendant que ses deux camarades mobiles grimpent sur l’estrade pour prendre la pose face l’un à l’autre avec leurs instruments.
L’ambiance, déjà festive et fiévreuse, monte encore d’un cran avec les effets certes attendus mais toujours efficaces, comme les jets de fumée pour "Satan is Real", "Strongest of the Strongest", ou sur le nombre de la bête dans "666 – World Divided". Mille entame un décompte en allemand pour lancer un wall of death sur "Awakening of the Gods", et la poussière remplit définitivement la tente. "Enemy of God" est le théâtre d’un climax mémorable, les serpentins rouges projetés vers le haut peinent en effet à redescendre, coincés sur un câble caméra tendu sous le haut de la Dave Mustage, mais qu’importe : la fête est réussie, le public ravi, en témoigne le second wall of death encore plus massif sur le très rythmé "Pleasure to Kill", dernier titre joué ce soir – un morceau qui n’a d’ailleurs pas pris une ride en 36 ans. Une dernière salve de confettis rouges sur la fosse vient conclure ce set impeccable des légendes du thrash, toujours au sommet.
Setlist Kreator :
- The Patriarch
- Violent Revolution
- Hate Über Alles
- Satan is Real
- 666 – World Divided
- Awakening of the Gods
- Enemy of God
- Phantom Antichrist
- Strongest of the Strongest
- Pleasure to Kill
Tarja
Bruce Dickinscène, 21h20
Alors que presque toute la programmation de la petite scène est dédiée ce jour aux musiques d’inspirations folk, la vocaliste finlandaise fait exception, puisque c’est plutôt du metal symphonique que l’on se tourne avec elle. La première chanteuse de Nightwish poursuit depuis son départ du groupe en 2005 une carrière solo prolifique.
Tarja Turunen, connue pour sa technique vocale lyrique, est pour cette tournée accompagnée de cinq musiciens, dont un claviériste et un violoncelliste. Avec seulement cinquante minutes de set et des chansons relativement longues, difficile de revisiter sa douzaine d’albums solo. Moins de la moitié seront donc représentés ce soir, souvent avec un seul titre. Deux exceptions : The Shadow Self, antépénultième album datant de 2016, qui a droit à trois titres. Et In The Raw, dernier album en date, assez inégal, comme on vous le disait lors de sa sortie, dont deux (bons) morceaux sont tirés, « Dead Promises » et « Goodbye Strangers », initialement en duo avec Björn Strid et Cristina Scabbia, respectivement vocalistes de Soilwork et Lacuna Coil.
Mais même sans ces invités de marque, la chanteuse est très bien entourée. On sent ses musiciens investis et ils prennent toute leur place sur scène. Ce n’est pas un simple backing band, mais l’impression qui se dégage est celle d’un groupe à part entière évoluant sur scène – un groupe d’ailleurs très bon. Le guitariste et le bassiste interagissent beaucoup entre eux et occupent l’espace. La vocaliste elle-même semble être en harmonie avec sa formation, et si c’est évidemment elle qui a la vedette, elle laisse de l’espace à chacun de ses musiciens, et interagit très fréquemment avec chacun d’eux. Le guitariste est d’ailleurs très présent au chant, que ce soit du chant clair ou plus éraillé, seul ou en duo avec sa chanteuse.
Celle-ci a d’ailleurs aussi manifestement très envie d’interagir avec son public. Elle s’approche beaucoup des rebords de la scène et court vers le public quand elle ne chante pas, et danse plusieurs fois sur scène. Son enthousiasme est palpable quand elle s’écrie en français dans le texte « Bonsoiiiiiiir » après le premier morceau, avant d’enchainer en anglais pour expliquer à quel point tout cela lui avait manqué.
Les compositions sont intéressantes et très bien interprétées par les musiciens, avec souvent un son très massif, et des morceaux qui se font tour à tour lourds, entrainants, extrêmement groovy, ou se rapprochent du symphonique quand le violoncelle est plus mis en avant. Le guitariste et le bassiste offrent même quelques passages un peu jazz d’inspiration.
Le son est assez brouillon au départ – les scènes de festival, en extérieur, c’est décidément toujours compliqué – mais nos oreilles finissent par s’habituer. En revanche, la chanteuse n’offre pas une prestation exceptionnelle. Cela reste bien dans l’absolu, et au-dessus de nombre de vocalistes contemporains, mais elle a habitué à mieux, et sa réputation la précède. Sans que cela soit faux, cela pourrait être plus puissant par moments, et elle donne l’impression de recourir à des techniques plus faciles que d’habitude sur nombre de morceaux. D’ailleurs, le guitariste la soutient sur plusieurs passages en doublant ses lignes de chant.
Elle offre tout de même quelques très beaux passages, et le concert reste collectivement très réussi. Les influences symphoniques et classiques sont réelles (« Victim of Ritual » est même une version très malmenée du Boléro de Ravel) mais ce n’est qu’une des composantes, presque mineure, des chansons. Le public semble en tous cas apprécier. Après toutes ces années, il est bien là pour la chanteuse elle-même et non pour son affiliation à son ancien groupe. Pourtant, quand commence « Over the Hills and far away », reprise de Gary Moore, mais surtout titre du premier EP de Nightwish, sur lequel figure ce morceau, le public explose de joie. La chanteuse se retire après avoir serré tous ses musiciens dans ses bras, ce qui renforce l’image d’une chanteuse solo avec un vrai sens du collectif.
Setlist
Dead Promises
Demons in You
Goodbye Stranger
Diva
Victim of Ritual
Innocence
I Walk Alone
Over the Hills and Far Away (reprise de Gary Moore)
Until My Last Breath
Leprous
Massey Ferguscène, 22h20
Les fosses des concerts de Tarja et Kreator se vident à peine, et déjà sur la Massey les lumières s’éteignent, au programme : du prog à la norvégienne avec le groupe Leprous, de retour en France cet été après une tournée couronnée de succès en 2019-2020. Ce soir le set se fera sans le violoncelliste Raphael Weinroth-Browne, contrairement à la date du Hellfest deux mois plus tôt.
Dans de très beaux jeux de lumières, les cinq musiciens vont entamer un set envoûtant et captivant en cheminant dans des méandres de puissance subtile et de poésie aérienne. Les quatre derniers opus du groupe sont visités dans la setlist de ce soir, courte mais intense. Imposant de la force dans le calme ("Out of Here"), par des rythmiques hallucinantes signées Baard Kolstad ("From the Flame"), Leprous émeut et embarque le public, qui rejoint volontiers les lignes vocales angéliques de Einar Solberg sur les splendides "Below", "The Price" ou "Slave", véritable démonstration de contraste et de puissance explosive délivrée par les excellents Tor Oddmund Suhrke et Robin Ognedal (guitares) et Simen Børven (basse). Ces derniers œuvrent d’ailleurs également, davantage dans l’ombre, pour de belles harmonies vocales avec Einar, toujours très inspiré et expressif.
Le frontman en impose, sur ses envolées vocales démentes, se muant parfois en cri comme sur "Slave" ou le complexe "Nighttime Disguise", morceau composé pendant la pandémie en respectant une liste de contraintes imposées par les fans – chose qu’Einar admet ne plus jamais vouloir faire tellement l’exercice fut difficile. Le groupe semble ravi de partager ce moment d’exception avec le public du Motocultor : Baard se lève plusieurs fois pour donner un tempo afin que la tente remplie à ras bord puisse taper des mains, et le chanteur prend la parole volontiers entre les titres, agréablement surpris de la présence de slammeurs même entre les titres, "même s’il s’agit du crowdsurfing le plus lent [qu’il ait] jamais vu".
Le set s’achève avec les syncopes démentes du très progressif "The Sky is Red", les éclairages rouges et la poussière accumulée donnant à ces dernières minutes de show une atmosphère décidément particulière. Les Norvégiens signent à nouveau un show de qualité, qu’on aurait bien sûr aimé plus long. Il n’y aura pas longtemps à attendre pour que ce vœu soit exaucé, puisque Leprous sera de passage en France pour six dates en février 2023 !
Setlist Leprous :
- Out of Here
- From the Flame
- Below
- The Price
- Nighttime Disguise
- Slave
- The Sky is Red
Powerwolf
Dave Mustage, 23h15
La scène principale sous chapiteau se remplit massivement tandis que les techniciens installent la scénographie de la tête d’affiche, sans que rien ne soit visible, puisqu’un épais rideau abrite l’ensemble. Le logo du groupe allemand apparait cependant sur le rideau, et de grandes lanières rouges pendent de la coursive supérieure.
Soudain, le noir se fait et un chant sépulcral s’élève de derrière le rideau. Puis la draperie tombe enfin, révélant la scène des loups-garous, faite de ruines et d’arbres morts. C’est d’ailleurs l’un des points positifs à mettre au crédit de la tête d’affiche de ce vendredi : c’est l’un des rares groupes à avoir une véritable scénographie, en l’occurrence des décors qui occupent tout l’espace et permettent d’immerger complètement dans l’univers du groupe. Les musiciens sont d’ailleurs eux-mêmes immergés dans le décor, puisque le clavier de Falk Maria Schlegel est soutenu par un arbre mort, tandis que la batterie de Roel Van Helden se tient au-dessus d’une ruine.
C’est « Faster than the Flame », un morceau tiré du dernier album en date, Call Of The Wild, paru en 2021, qui ouvre le bal. Difficile d’ailleurs de deviner qu’il s’agit d’un morceau récent pour qui ne maîtrise pas la discographie des Allemands, tant il comporte tous les éléments constitutifs de leur musique depuis leur début : claviers très en avant, lignes de chant ultra entrainantes, voix expressive qui prend parfois des accents presque liturgiques. Les riffs et la batterie particulièrement rapides et agressifs ne sont pas constitutifs de toute la discographie du groupe mais se retrouvent néanmoins sur un certain nombre d’autres morceaux.
Le décalage entre le style musical du groupe, du power metal aux accents heavy, et son imagerie ainsi que ses thématiques, très basées sur la religion et les éléments occultes, peut désarçonner les néophytes mais ce mélange iconoclaste fonctionne bien. Avec leurs tenues en cuir et leurs corpse paints, les musiciens emmenés par le vocaliste Attila Dorn, dont le pied de micro est surmonté d’une croix, sont reconnaissables.
Le son et bon, et le public acclame Powerwolf dès les premières notes. Le groupe le lui rend bien, et comme à son habitude, le vocaliste s’exprime presque intégralement en français – avec un accent à couper au couteau, mais de façon parfaitement distincte. « Bienvenue à la seule messe heavy metal » lance-t-il après le premier morceau, expliquant « avant la prochaine chanson, je vais bénir cette place sacrée. Pour ça j’ai besoin d’encens et de feu ». Introduction logique à « Incense & Iron », qui montre à quel point le quintette exploite sa thématique metalo-liturgique.
« Connaissez-vous les paroles de Powerwolf ? demande-t-il ensuite. Essayons ! », avant de lancer « Amen & Attack », l’un des succès du groupe, en agitant un drapeau à l’effigie de son groupe. Manifestement, le public connait bien, et se déchaine joyeusement. Les slams partent d’ailleurs bientôt de la régie, située en milieu de chapiteau.
Pour les gens ayant déjà vu Powerwolf sur scène, il n’y a pas de nouveautés révolutionnaires par rapport aux précédentes tournées. Mais le groupe respire pourtant une certaine sincérité, paradoxale au vu de tout le décorum déployé sur scène, qui fait que le spectacle – car c’en est véritablement un – ne sent pas le réchauffé ou le pilote automatique.
Cela tient beaucoup au frontman, généreux, expressif, volubile. Mais ses comparses font aussi partie intégrante du show, notamment Falk Maria Schlegel qui quitte régulièrement son clavier pour venir s’amuser avec son comparse et haranguer la fosse. Les deux guitaristes Matthew et Charles Greywolf (aussi responsable de la basse sur les albums studio, mais en sur scène, il quitte rarement son instrument fétiche) sont aussi très dynamiques et enchainent les poses de duel en haut de l’escalier qui mène de l’avant-scène aux instruments fixes.
Alors, certes, ce n’est pas la musique la plus évoluée et innovante du metal – après tout, cela reste du power. Mais le groupe l’exécute très bien et son plaisir à la jouer est très communicatif. De plus, les éléments liturgiques (les sons d’orgue, les brefs passages en latin, le chant souvent grandiloquent d’Attila) donnent un son très caractéristique au groupe – même s’il évolue peu d’album en album. Le combo sait aussi ajouter à sa musique très mélodique des passages beaucoup plus agressifs sur la batterie et sur certaines parties de guitare, ce qui lui donne un relief bienvenu.
Et entre le public et les musiciens, les habitudes semblent désormais bien ancrées. Depuis plusieurs années, le frontman faisait répéter à l’auditoire la ligne mélodique d’ « Armata Strigoi », en plusieurs parties, avant de la lui faire exécuter durant le morceau. Cette fois, Attila se contente de demander de chanter, et le public la réalise parfaitement sans aide.
Les nouveaux morceaux restant très homogènes avec le reste de la discographie, ils s’intègrent parfaitement, et « Bête du Gévaudan » est particulièrement appréciée, puisque le morceau, qui raconte une célèbre légende française, était d’abord sorti en anglais avant d’être enregistré en français. C’est évidemment cette version qui est chantée, montrant une fois de plus que le chanteur se débrouille vraiment bien dans la langue de Molière. Quant à « Blood for Blood (Faoladh) », jouée plus tard, elle a des airs de Sabaton.
Par ailleurs, les classiques du groupe font toujours mouche. Et le chanteur de solliciter de nouveau une partie du public – « Les femmes, êtes-vous ici ? » avant de lancer le titre qui a probablement le mieux cerné la psychologie féminine de toute l’histoire de la musique : « Demons Are a Girl’s Best Friend ».
« Sanctified with Dynamite » et son refrain presque solennel marche lui aussi toujours aussi bien, mais annonce bientôt la fin. « J’ai une mauvaise nouvelle. C’était la Sainte-Messe du heavy metal de Powerwolf. There is one song left. Vous êtes prêts ? ». Le public et le groupe communient une dernière fois sur « We Drink Your Blood » avant de clore la cérémonie. Les messes de Powerwolf suscitent toujours autant de ferveur, et celle de ce soir aura probablement converti de nouveaux fidèles.
Setlist
Faster Than the Flame
Incense & Iron
Amen & Attack
Dancing With the Dead
Armata Strigoi
Bête du Gévaudan
Demons Are a Girl's Best Friend
Fire and Forgive
Blood for Blood (Faoladh)
Werewolves of Armenia
Sanctified With Dynamite
We Drink Your Blood
La grosse machine Powerwolf fait résonner la Dave Mustage et le festival en cette heure tardive. Tout le festival ? Non ! Car une scène peuplée d'irréductibles bretons résiste encore et toujours ... il s'agit de la Bruce Dickinscène où se produit Plantec, groupe de musique traditionnelle bretonne revisitée à la sauce métissée et électro, qui fait danser les noctambules dans une ambiance on ne peut plus festive. Le genre de surprise de programmation qu'on ne peut trouver qu'au Motocultor ...
Textes : Aude D, Julie L
Photos : Lil'Goth Live Picture. Reproduction interdite sans autorisation de la photographe.