Rien qu'en découvrant le look des polonais de Victorians, j'ai cru à une énorme blague. Ou à un énième groupe de musique j-pop / rock. En clair, c'était carrément mal parti. Enfin, ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas leur reprocher une quelconque négligence quant à l'apparence. Mais ça ne fait pas tout, surtout dans le « metal à chanteuse ». Car sous ces vêtements se cache du metal symphonique, genre Ô combien surchargé. Et si ce jeune quatuor pense se démarquer uniquement par ses tenues vestimentaires, c'est qu'il a de l'audace. Ou peut-être du talent à revendre. Ne vendons pas la peau de l'ours …
Et ce serait une grave erreur. Car dans une scène où il est difficile de sortir du lot, mes chers lecteurs, il existe deux solutions pour qu'on vous considère digne d'intérêt : faire preuve d'originalité (ce qui n'arrive presque jamais), ou démontrer par a + b et quelques riffs que t'as assez de potentiel pour faire concurrence aux gros noms et atteindre, du moins qualitativement, la première division. Là non plus, en comparaison avec la masse, le nombre de formations réussissant cet exploit sont rares. Pourtant, Revival est totalement digne d'intérêt.
Car ouais, miracle, Victorians est largement capable de tenir la dragée haute à moult concurrents. Pourtant, ce qui est étonnant au premier abord, c'est l'aspect très classique de la galette. Carrément qu'on se dirait déjà que ça ne va rien révolutionner et donc qu'on s'en fout, ça n'a aucun intérêt …
« Alors autant ne pas l'écouter si ça n'est pas original » :
Là, c'est non. Ce qui aide nos jeunes polonais à se démarquer, c'est d'abord un professionnalisme à tout épreuve. Pourtant, ce premier disque est une auto-production, mais qui a la décence d'éviter le son brouillon, le mixage foireux et les sons des guitares comme des Ferrari au démarrage. Une qualité sonore comme celle-ci, surtout pour du sympho, est une joie. Pas d'une perfection absolue, certes, mais c'est limpide, précis, et chaque instrument trouve sa petite place. Même la batterie, bien qu'elle ne dispose pas d'un jeu spécialement élaboré.
« T'as beau avoir un gros son, faut des compos qui tiennent la route » :
C'est juste. Et ce sera le cas pour Victorians. Pas fondamentalement exceptionnelles, ces dernières jouent énormément sur des refrains assez accrocheurs et sur la voix de la belle chanteuse. « In the End », à titre d'exemple, se veut un peu racoleuse et simpliste, mais fonctionne très bien. Le point d'orgue est suffisamment élaboré pour captiver, et la section rythmique ne prend pas une place démesurée par rapport à deux points très importants pour ces jeunes polonais : les orchestrations et le chant. Dire que ce morceau est représentatif de l'album, en revanche, est faux. Pour parfaire encore la qualité d'ensemble, nos bons victoriens ont le bon goût de savoir verser entre les tempos et les intonations pour ne pas lasser sur sa durée.
« Ouais, mais encore faut-il une chanteuse qui tienne la route … on en connaît, des casseroles ! » :
Tout à fait. Et dans ces voix de supermarché, Eydis n'y sera pas rangée. Elle est, étonnamment, la principale qualité du disque. Pourquoi cela ? Parce qu'elle dispose d'un organe tout simplement sublime, bien que particulier. Il est évident que son timbre ne plaira pas à tous, officiant dans un registre beaucoup plus grave qu'une pelleté de demoiselles. Lorsqu'elle passe dans un chant clair, on rapprochera la belle d'une Cristina Scabbia, peut-être en un peu plus nasale, mais pas à prendre dans le mauvais sens du terme. La jeune frontwoman allie à la fois coffre et personnalité, lui permettant de jouer sur la puissance sans sonner fausse ou forcée. Le côté naturel se dissipera légèrement lors de ses interventions dans un registre lyrique. Mais là aussi, la belle reste dans le haut du panier. « Who Never Loved » et « Siren » bénéficient de cette interprétation à la fois technique et touchante. Et si les imitatrices de Tarja sont légion, notre polonaise a trouvé les armes pour surclasser ces pâles cantatrices.
"Je m'ennuie, seule, dans mon château. Viens me rejoindre, Ô grand fou ..."
« Qui dit symphonique, dit pompeux ».
Ce n'est pas faux. Victorians met les pieds en plein dedans. Mais ça rend (très) bien, et l'orchestre joue un grand rôle dans la réussite globale. Dès « Descent of Your Destiny », le violon se fait entendre. Et ces instruments accompagneront l'auditeur tout au long du périple. Les claviers de « Prince of Night » peuvent paraître kitsch, mais ils donnent un petit cachet, une ambiance épique à ce titre de power metal à la Oceanborn. Évidemment, l'influence de Nightwish est palpable de temps en temps, notamment lors des passages où les cavalcades instrumentales se font entendre. Mais ces inspirations sont très bien digérées et ne tournent pas à la copie conforme. « Don't Let Them Cut My Wings », à titre d'exemple, souhaite mélanger (non sans brio) plusieurs facettes dont la musique des polonais fait preuve : un côté dramatique sur les couplets, des atmosphères posées grâce à ces chœurs et orchestrations grandiloquents, et, bien sûr, leur visage le plus énervé au moment du refrain, où les guitares gagnent en rapidité et en mordant, enracinant Victorians dans un power metal symphonique, où ce mot prend tout son sens grâce à la surenchère de l'orchestre.
Dans cette masse de dix titres, on y retrouve quelques uns qui sortent clairement du lot. « Who Never Loved » surprend par sa maturité et la qualité de son écriture, que ce soit sur le plan instrumental, ou dans les lignes de chant d'Eydis. Mais la plus grande surprise vient peut-être de « Juliet's Tale », intrigante et riche. La prestation de la chanteuse est de haute volée, et ses diverses tonalités forment une parfaite symbiose avec une musique réellement prenante. Et la recette est pourtant toute simple : Victorians se veut théâtral, le tout sans surjouer. Et ils réunissent tous les facteurs de la réussite, à savoir la qualité des arrangements symphoniques, la présence des guitares sur le premier plan, mais surtout l'ambiance qui se dégage (l'intervention du chant masculin et l'omniprésence du violon sont des atouts non négligeables). Voilà une piste comme on aimerait en entendre plus souvent dans le genre, et ça fait un grand bien !
A contrario, le début du disque est plus décevant si on le compare à ces titres. « Descent of Your Destiny » n'est pas mauvaise, notamment sur sa fin, mais reste un peu trop répétitive. Même constat pour « In the End » et le morceau final « Creed ». Conclure sur l'excellente « Juliet's Tale » aurait peut-être été de meilleur goût.
Mais ces quelques défauts ont du mal à entacher un bilan fortement positif pour les polonais de Victorians. Le combo surprend par la qualité de ses pistes, sa chanteuse qui se hisse parmi les meilleures surprises du milieu, et son côté pro. Revival mérite vraiment qu'on y pose une oreille, surtout si le genre ne vous rebute pas. En attendant, le quatuor place la barre haute dès le départ, et promet d'être une sacré révélation si les qualités s'affirment encore davantage au prochain essai.