C'est le retour des Gros Émergents ! Notre rédaction y met à l’honneur quelques formations émergentes qui lui ont tapé dans l’œil (ou plutôt dans les oreilles). Nous espérons que cette mise en lumière permettra à des groupes passionnés et de qualité d’obtenir l’exposition qu’ils méritent, car ils sont la preuve de la richesse et la diversité de notre scène musciale. Bonnes découvertes !
Brusque - Boîte Noire (doom / post)
Après un premier EP en 2020, What’s Hidden Devours, le duo français formé par Jefferson Grégoire (guitare, basse, chant) et Clément Duboscq (batterie) présente aujourd’hui son premier album studio, Boîte Noire. Véritable pépite post tout en puissance, cet opus décline sur sept titres des atmosphères pesantes, entre sentiment d’oppression et frustration face à l’évolution du monde. Tout y est bien noir, et l’auditeur ressent tout le désespoir de la distorsion et des guitares au plus bas de l’accordage, qui résonnent et vibrent d’une lourdeur sludge traînante. La lourdeur de l’ensemble et la densité des compositions nous embarquent, et on ne peut que se laisser porter dans ce voyage sombre dans des territoires amers.
Dans la lenteur, le doom s’installe, et les variations n’en sont que plus prenantes. De la montée en puissance finale redoutable du single-coup de poing "Laid To Waste" à l’énorme "Careless", plus rapide et impressionnant de rage et désespoir, Brusque décline ces paysages gris portés par le chant hurlé poignant de Jefferson. Les atmosphères se déclinent, des teintes des années 90 pointent le nez avec quelques passages au chant clair alterné avec les cris, sur des tons groovy ("On The Edge") ou une rythmique impitoyable ("Defiance").
Le duo expérimente avec quelques touches indus et la collaboration avec Paul Void aux machines dans "Death March" ou "Most Don't Break Free". Le chant de Jefferson se mêle à celui d’Arthur Wang, invité sur "My Own Vision", morceau lent, dense et viscéral. Le son massif de l’album est mis en valeur par la superbe production signée de l'excellent Francis Caste. Une expérience cathartique et intense que cette boîte noire qui séduira les amateurs de post au sens le plus large du terme… à retrouver en live d'urgence !
Chronique de Julie L
Witch Fever - Congregation (punk / doom)
Les quatre musiciennes composant le groupe Witch Fever n’y vont pas par quatre chemins pour leurs débuts. Le premier opus de la formation mancunienne évoque la fièvre d’un pit moite, la colère à peine contenue et la délicatesse d’un gros godillot balancé dans la face, et cela fait vraiment du bien ! Witch Fever décline sur treize pistes courtes et percutantes un punk vibrant et inspiré, qu’on imagine aisément joué en live. Mais l’effet coup de poing ne se révèle pas que sous une seule forme… plutôt balancée sur "Sour", hurlante et rageuse dans "12", lourde et intense dans "Bloodlust", la furie se déchaîne sur des riffs efficaces, du chant hurlé, scandé, déchirant, et d’énormes lignes de basse.
Lorgnant parfois du côté du grunge teinté année 90 ("Bloom"), le combo sait ralentir le tempo et plonger l’auditeur dans les affres d’un doom pesant. C’est le cas sur l’inquiétant morceau "I Saw You Dancing", marqué par une basse menaçante et un crescendo final imparable. Les quatre musiciennes savent aussi livrer des moments de subtilité en invoquant des atmosphères nuancées, lentes et intrigantes, par du chant clair et des riffs mesurés ("Slow Burn").
À l’intelligence des compositions, ajoutons la justesse et l’évidence du propos. Congregation regorge également d’affirmations d’émancipation portées par les cris bruts et expressifs de la magnétique vocaliste Amy Walpole. Certains morceaux se révèlent être des cris acerbes dirigés à l’encontre des institutions religieuses et de leur emprise sur les fidèles, comme sur "Congregation", l’excellent "Blessed Be Thy", ou encore sur le doom intense et la cadence appuyée de "Market".
Difficile de rester indifférent à la force brute de cet opus addictif, porteur à la fois d’une glorieuse attaque contre le patriarcat, et d’un élan punk ultra-énergique et salvateur !
Mal - Malbum (noise / jazzcore)
Mal, c'est un combo du Minnesota qui aime manifestement bien les mélanges. Pour son premier album sorti le 21 octobre, Malbum, il nous propose un mix de rock, de metal et surtout de noise, résolument progressif. Les riffs désordonnés et les rythmiques barrées servent de base à des lignes de chant gueulées d'une façon assez brute, qui évoque un peu le punk. Un saxophone quand à lui vient ajouter de l'expérimentation à tout ce mélange. De quoi rappeler la période blackjazz de Shining avec une tendance noise plutôt que black. Une autre référence évidente du combo est King Crimson, et certains passages se rapprochent effectivement d'une version sur-saturée des premiers albums de la bande à Robert Fripp.
Si de nombreux titres donnent dans l'expérimental et débordent de structures complexes où la musique se fait déconstruire, quelques-uns sont plus "accessibles" - relativement parlant. On pense notamment au single "Wrong Time", précédé d'un étrange interlude à la fois super mélodique et doté d'une ligne de chant tellement improbable qu'elle paraît complètement fausse. De quoi surprendre à chaque écoute ! "I Can't Reach" est également basé sur un thème fort, tandis que "It Feels Like The World Is Yours" se rapproche sûrement le plus des expérimentations de Shining mentionnées précédemment.
Cette variété dans les neuf titres qui composent Malbum rend l'expérience peu indigeste, couplée à la durée réduite de moins de 28 minutes.
Chronique de Félix Darricau
Holy Fallout - All Down and Deviant (rock/metal progressif)
Jouer des variations, multiplier les atmosphères, voilà le pari ambitieux que s’est lancé Holy Fallout, combo originaire de Franche-Comté, depuis sa création en 2018. Le groupe propose un son marqué avant tout par une teinte rock prog US, plutôt ancré dans les années 90, entre grunge à la Alice in Chains et hard rock type Alter Bridge. Tout y est, des mélodies accrocheuses aux solides lignes de chant clair, en passant par des riffs imparables. Mais le combo sait aussi jouer des nuances et emmener l’auditeur dans des ambiances plus douces, marquées par les harmonies au chant et des passages plus éthérés ("Organic Ocean", "Doubtful").
L’audacieux quintette ne s’arrête cependant pas là, et explore sans vergogne davantage d’agression voire de brutalité. Un passage à la vitesse supérieure qui s’exprime par des sonorités entre metal moderne et hardcore des familles (dans le crescendo de "Caged" ou le passage de cri survolté scandé en français sur "PopularBS"). Le vocaliste Paul Girardot est aussi à l’aise dans les moments feutrés, plus musclés, que les cris impitoyables, dressant souvent un tableau sombre et amer des relations humains à l’ère des technologies omniprésentes. Par son identité vocale et des lignes de guitares très solides, le groupe trouve une cohérence et sa « patte » musicale. Entre riffs incisifs et arpèges délicats, Holy Fallout a fait le choix, pour le meilleur, de ne pas choisir. On est séduit par cette association équilibrée de guitares acoustiques et de riffs plus lourds qui confère à certains morceaux une réelle intensité ("Scores of Tiles", "Let It Go" ou "Back in Time").
Tout l’éventail musical du combo est déployé sur l’ultime piste éminemment progressive "Stigmatas" : on y retrouve du chant clair et saturé, des montées en puissance, des paysages lumineux et des accélérations redoutables. De l’audace, de la créativité et surtout une énergie à toute épreuve caractérisent ce premier effort. Si la profusion des influences et des tonalités peut parfois sembler excessive et manquer de lisibilité, il faut tout de même reconnaître à Holy Fallout un réel talent pour explorer des chemins peu empruntés jusque là sur la scène française.