Gojira ne cesse de franchir avec brio des étapes cruciales du succès. Après avoir signé chez Roadrunner et ouvert pour Metallica au Stade de France, les landais se sont lancés dans une tournée monumentale entre Europe et Amérique du Nord. Et point d’orgue de ce parcours, Gojira se paient le luxe de remplir le Bataclan, deux jours de suite. Quand on voit la difficulté qu’ont certaines légendes pour péniblement remplir la salle (Kreator a du s’entourer de Nile et Morbid Angel, rien que ça), on ne peut que souligner l’audace de ces deux dates, surtout avec des formations émergentes en première partie. Mais voilà, le pari est réussi puisque la date du 9 avril est complète et que l’audience présente le lendemain semble tout aussi considérable. Il n’y avait plus qu’à espérer voir des groupes à la hauteur de l'évènement
KRUGER
Les suisses de Kruger sont les premiers à fouler les planches du Bataclan. Les helvètes proposent un post-hardcore post-apocalyptique dont la folie délivre un choc post-traumatique tempéré par un groove mettant à mal votre post-érieur. Plus sérieusement, Kruger offre une musique dérangeante, déstabilisante créant une atmosphère noire magnifiée par le jeu de scène du quintet. Prenez deux gratteux headbanguant sans répit, un batteur martelant ses futs comme si sa vie en dépendait, un bassiste coupé du monde à fond dans son trip et un chanteur juste dingue, vous obtenez un show intense et barré au possible.
Le son est assourdissant mais contribue à l’ambiance suffocante dégagée par les compos de Kruger. La basse est omniprésente et nous assomme de ses vibrations asphyxiantes tandis que les riffs lourds des gratteux nous immergent dans l’univers bruitiste atypique de Kruger. Cependant, il serait injuste d’occulter la qualité des riffs plus mélodiques et tranchants qui savent contrebalancer avec l’opacité sonore de la majorité des titres.
Mais celui qui captive évidemment l’audience, c’est le frontman Reno. Multipliant les sauts dans la fosse, gesticulant comme un cintré et allant même jusqu’à embrasser certains fans, c’est un véritable showman Iggy Popesque que nous avons eu la chance de voir. Cette énergie semble avoir convaincu le public parisien et c’est avec quelques fans en plus que nos amis suisses quittent la scène.
HYPNO5E
Après avoir débarrassé en vitesse la scène (voir carrément en urgence), les frenchies de Hypno5e investissent la place et revisitent la musique de Psychose. Le ton est donné, ambiance sombre, son massif, lights bien foutues, Hypno5e veut rapidement happer le Bataclan dans son univers noir. Les choses sérieuses commencent vraiment avec le superbe "Acid Mist Tomorrow" au riff ravageur. Extrait du dernier album éponyme, cette plage de plus de 10 minutes présente au public parisien les principales caractéristiques d’Hypno5e : cassures rythmiques multiples, alternance entre chant hurlé/riff pachydermique et chant clair/guitare clean. Tout cela n’aurait rien de bien intéressant si la formation n’était pas dotée d’un indéniable talent pour nous faire voyager dans son monde déstructuré unique.
Le son est écrasant de puissance et la schizophrénie du chant si savoureuse en studio est parfaitement retranscrite live. Le jeu de scène d’Emmanuel Jessua tranche radicalement avec celui de Reno. L’homme incarne totalement sa musique, statique sur les moments chargés en tension avant de se lâcher sur les passages de pure violence. Les autres membres sont eux aussi à fond dans ce qu’ils font, que ce soit le second guitariste Jonathan Maurois tout sourire, le batteur Thibault Lamy martelant ses futs comme il se doit ou l’atypique bassiste Gredin qui s’offrira même des slams dans la fosse.
La musique de Hypno5e peut paraitre trop cérébrale mais une fois que le spectateur se laisse embarquer par cette épopée musicale, le set bien fourni des montpelliérain passe comme une lettre à la poste. La mélancolie de Hypno5e atteint son paroxysme sur des titres comme "Gehenne Part 1" ou "Brume Unique Part 2", perle atmosphérique jouant notamment sur des samples d’instrument à vent de toute beauté. Parlant de samples, ceux qui connaissent un peu Hypno5e savent l’importance des extraits de film ou de livres. Ces derniers sont bien présents en live et les mots de Camus sont parfaits pour sublimer les compositions poignantes du groupe.
GOJIRA
Enfin ne nous voilons pas la face, si les parisiens se sont déplacés en masse au Bataclan, c’est pour se manger une claque de la part de Gojira. C’est sous les hurlements d’une fosse hystérique que les landais font leur entrée.
Comme sur l’album, ce sera "Explosia" qui entamera les hostilités. Son puissant au possible, riff rentre-dedans, il n’en faut pas plus pour que enflammer le pit et les pogo font rage dans la fosse du Bataclan. Le décor dans lequel évolue Gojira est simplement superbe tout en conservant la sobriété caractéristique des landais. Niveau son, l’ami Joe est quelque peu sous mixé, un problème qui sera plus ou moins corrigé au cours du set.
Pas le temps de se reposer puisque Gojira décide d’enchainer avec un des joyaux de leur discographie. Comme Metallica au Stade de France avec "Master Of Puppets", Gojira grille sa plus grosse cartouche rapidement avec le surpuissant "Flying Whales". Toujours la même folie à l’écoute de ce riff magique et il est rare de voir une compo déchainer autant les foules. Les musiciens sont bien en place et impeccable techniquement tout en conservant leur typique bonne humeur. Comment ne pas se laisser embarquer par les headbang de Christian ou la gestuelle désarticulée de Jean Baptiste ? Quant à Joe, la scène lui a permis de se forger un charisme certain et le public est à la merci de sieur Duplantier.
Le son souffre de quelques impairs notamment lorsque le chant se fait plus raffiné comme sur le magnifique « Liquid Fire » où les parties claires de Joe ont un peu de mal à se faire entendre. Niveau setlist, l’Enfant Sauvage est fièrement représenté par cinq morceaux dont les planant « The Axe » ou « The Gift Of Guilt ». Mais les amateurs de bourrinage en règle seront servis par « Wisdom Comes », « Backbone » ou le destructeur « Remembrance » qui a ravi les fans de la première heure. Seul Terra Incognita n’est pas représenté.
Pour les premiers rappels, Joe nous abandonne et nous laisse entre les mains de Gojiro. En effet, ce sont les roadies du groupe qui font leur entrée pour jouer le classique "Vacuity". Une initiative louable et le morceau sera interprété de fort belle manière. Mais le vrai groupe fera vite son retour avec "Toxic Garbage Island" et "The Guift Of Guilt" au tapping parfaitement retranscrit en live. Ainsi se clôture la fête de Gojira…
N’aurais-je pas oublié quelqu’un ? Pouvais-je décemment conclure ce report sans mentionner la machine de guerre derrière les futs des landais ? Non bien évidemment ! Mario Duplantier a simplement confirmé une fois de plus qu’il était au sommet de son art et clairement parmi les meilleurs mondiaux. Sa précision ravit les oreilles tandis que son dynamisme est un plaisir pour les yeux, un régal. Le batteur s’avère en plus être un frontman affirmé, prenant la guitare et le micro de son frère ou surfant littéralement sur la foule à la fin du show. Il en profitera d’ailleurs pour prendre des photos dans le pit avec ses fans.
Une bien belle soirée qui aurait peut-être pu durer plus longtemps (1h15 pour Gojira, c’est un peu court) mais qui aura su combler les attentes des spectateurs parisiens.
Photos : © 2013 Olivier GESTIN / INTO The PiT Photographe
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.
http://www.facebook.com/intozepit