Qu'elle était longue cette attente ! Avenged Sevenfold nous avait habitués à un bon petit rythme d'un album tous les trois ans (voire même deux au début de sa carrière) et puis le covid est passé par là et nous avons dû patienter sept ans avant de pouvoir écouter les nouvelles compos de M. Shadows et sa bande. Cette pause était d'autant plus atroce que le groupe nous avait quittés avec The Stage, un opus de qualité qui allait encore plus loin dans leur expérimentation et qui prouvait que leur passé de metalcoreux était bien derrière eux. Soyez prévenus : avec Life is but a Dream, Avenged Sevenfold va plus vite, plus haut, plus fort. Et ce n'est pas pour nous déplaire.
Les membres du groupe comme Synyster Gates n'ont jamais caché leur amour pour le jazz, le prog, la musique classique et autres expérimentations en tout genre et ce n'est pas The Stage et notamment les reprises incluses dans la version deluxe, qui vont dire le contraire. On s'en doutait mais l'Avenged Sevenfold metalcore des débuts est bel et bien enterré. Il faut faire le deuil de cette époque au risque d'avoir vraiment du mal à digérer ce nouvel opus. Pour les fans qui ont suivi l'évolution du groupe et qui apprécient cette volonté de toujours se remettre en question, Life is but a Dream représente la quintessence de l'éclectisme même si on peut résumer cet album en une phrase "Mr Bungle qui fait une orgie sous LSD avec System of a Down, Daft Punk et Rammstein, pendant qu'un orchestre joue et que Frank Sinatra regarde par le trou de la serrure".
Parfait exemple de cette diversité des genres, l'album s'ouvre sur "Game Over" avec une intro à la guitare acoustique et au Mellotron rappelant les ballades des années 60, 70 de David Bowie ou des Beatles. Puis, histoire de ne pas faire fuire les metalleux obtus, le morceau part dans un style complètement barré à la System of a Down en passant par des accords majeurs et un gros shred de malade pour se diriger vers un pont très "Stairway to Heaven" pour terminer par une reprise du thème du début. Tout ça en moins de quatre minutes !
Pour ceux qui seraient perdus et pour qui le mot "prog" donnerait des boutons : le groupe a très bien su gérer les expérimentations en s'appuyant notamment sur des refrain hyper catchy. Au bout de quelques écoutes, on arrive facilement à mémoriser les morceaux grâce à leur identité assez marquée. Mentionnons directement la trilogie GOD composée de "G", "(O)rdinary" et "(D)eath". Au programme : un premier titre jazz fusion très prog avec des touches de pop des années 90 amenées par Taura Stinson et Brianna Mazzola, un second qui est très clairement du Daft Punk autant dans le rythme funky, la voix au vocoder ou les paroles concernant un robot et pour finir en guise de dessert, un dernier morceau très jazzy avec un M. Shadows qui maîtrise l'art du crooner. On est loin du metalcore, ou même du simple metal dans beaucoup de passages mais le tout est maîtrisé à la perfection. On pourrait peut-être chipoter sur l'absence d'originalité de "(O)rdinary" qui tourne quasiment au plagiat. D'autant plus qu'Avenged Sevenfold sait clairement intégrer les influences Daft Punk à son metal : ils le prouvent avec "Easier" qui mixe à la fois des voix vocodées mais aussi un son typé Rage Against the Machine hyper groovy appuyé par les rythmiques funky de Zacky Vengeance.
Le guitariste est d'ailleurs fondamental en arrière plan avec des riffs d'une diversité déconcertante. Il arrive à instiller une ambiance particulière pour chaque morceau. Et il a fort à faire sur un titre comme "Nobody" qui passe de l'indus proche de Rammstein à une ambience beaucoup plus électro à la Muse ou Perturbator. Cette composition, la première a avoir été dévoilée fourmille d'idées de génie et de détails : après plusieurs écoutes, on se surprend à découvrir une partie orchestrale hyper travaillées ou des sons puissants qui rappellent les bandes originales de Hans Zimmer. Même si ce titre a pu en dérouter plus d'un, il reste l'un des morceaux phares du groupe. Quand on sait qu'il a été composé à l'aide d'une intelligence artificielle, cela fait encore plus peur.
Le groupe a toujours clâmé son intérêt pour les robots et l'intelligence artificielle et à travers cette démarche, on sent qu'Avenged Sevenfold est allé plus loin. Plus loin aussi dans la réflexion dans les paroles. On retrouve des thèmes chers au groupe comme la mort et notamment le suicide dans "Game Over" mais le thème est développé de façon plus surprenante dans le magistral "Cosmic" puisqu'ici, le mourant explique à sa famille qu'ils vont se retrouver et qu'il ne faut pas perdre espoir. Ce titre est d'ailleurs LE morceau de l'album : mêlant harmonies à la Iron Maiden, influences classiques, parties empruntées à Muse (lorsqu'ils faisaient encore du rock digne d'intérêt) et une fin épique très émouvante.
Le groupe n'a pas voulu faire de concept album mais on retrouve quand même un fil rouge au niveau des paroles : le rêve. Qu'il devienne cauchemar (qui a dit Nightmare ?) tout en étant un moyen de se souvenir de sa vie dans "Game Over", qu'il soit "vendu" par la société de consommation dans "We Love You", que ce soit un moyen de s'échapper de la réalité dans "Easier" ou qu'il soit exprimé par un robot très proche de ceux imaginés par Philip K Dick. Le rêve s'exprime également dans l'approche musicale puisque M. Shadows a rêvélé que les drogues psychédéliques avaient joué un rôle important dans la composition de l'album.
L'album se permet donc de partir du côté des années 60, 70 avec un titre comme "Beautiful Morning" qui démarre de façon classique pour ensuite introduire un orgue typé The Doors et des effets flanger sur la guitare. Même M. Shadows semble tout droit sorti d'un groupe de cette époque.
Le chanteur porte complètement chaque chanson et montre la diversité de sa voix. On sait qu'il ne désire plus trop pousser sa voix dans les extrêmes mais il se permet quelques growls sur "We Love You". Passant du naturel le plus doux dans le refrain de "Mattel" au plus trafiqué sur "'(O)rdinary", il étonne réellement en Frank Sinatra sur "(D)eath". Un gros travail a également été effectué sur les harmonies comme sur "Nobody" où le groupe chante un passage a cappella.
L'autre grand gagnant de l'album est sans aucun doute Synyster Gates. Son talent à la guitare n'est plus à démontrer et il a toujours le don de poser un solo au bon moment sans pour autant ennuyer l'auditeur. Mais là où il brille réellement, c'est dans son utilisation des claviers et notamment du piano : oeuvre complètement singulière "Life is but a Dream" est plus qu'un morceau de fin, c'est une composition influencée par Chopin ou Rachmaninov avec une structure complexe et une réelle difficulté. Un ovni dans la discographie du groupe.
D'ailleurs cet album comporte pas mal de titres à part et on se demande bien comment Avenged Sevenfold va pouvoir construire une setlist articulée autour de cet opus ou même reproduire les morceaux en live. Nul doute qu'ils auront recours à des bandes sons ou samples mais on se surprend à rêver d'une interprétation de l'album en entier avec orchestre et musiciens invités pour en recréer l'intégralité.
Vous l'aurez compris, Avenged Sevenfold a certes mis sept ans pour pondre ce nouvel album mais s'il faut attendre autant de temps pour avoir ce genre d'oeuvre, on est largement prêt à refaire l'expérience. Riche, dense, complexe mais assez identifiable, le groupe a repoussé les limites de sa création pour nous offrir cet opus qui divisera certes les fans mais montre à quel point Avenged Sevenfold est un grand groupe. Reste à voir comment tout cela passera la barrière du live, mais on a hâte et on a aucun doute dans les capacités du groupe à nous pondre un spectacle de qualité.
L'album Life is but a Dream est sorti depuis le 2 juin sur le label Warner
Tracklist