C’est le troisième album des anglais. Sorti en juillet 71, Master of Reality jette les bases du Doom, du Stoner et du Sludge. L'album a été produit par Rodger Bain, qui avait aussi produit leurs deux précédents albums. Cependant, ce sera sa dernière collaboration avec le groupe.
Cet album est une nouvelle étape pour Black Sabbath qui à l’époque, fort de leur succès rapide, croulait sous les tournées, ainsi le groupe aura très peu de temps pour l’enregistrer.
D’ailleurs pendant leur tournée aux USA fin 70 avant d’enregistrer cet album, les musiciens encore jeunes, étaient des plus naïfs et cette nouvelle vie qu’ils menaient les étonnaient entre des groupies assoiffées de sexe et d’autre adorateurs de Satan. Ozzy dira plus tard : « Cette année-là, les groupies connaissaient mieux notre itinéraire que nous, elles savaient où se déroulaient nos concerts, où étaient les bars, les hôtels, les interviews pour les radios, elles connaissaient tout et étaient partout où nous pouvions aller. Nous avons rencontré des créatures extraordinaires aux USA : quelques-unes étaient vraiment terrifiantes, la plupart juste moyennement hideuses. On s’est bien évidemment tapé toutes les groupies et en avons récolté les fruits : morpions et toutes sortes de maladies exotiques… »
Ozzy se rappelle aussi d’un autre concert où une fois arrivé à son hôtel : « Devant ma porte d’hôtel, il y avait une quinzaine de barges avec leur visage peint en noir, en toge, portant des dagues et des cierges. J’ai claqué la porte et téléphoné à nos roadies : « il y a un sacré paquet de mecs givrés dehors » un roadie est arrivé, les a rassemblés en cercle, s’est mis à chanter « Joyeux Anniversaire », a soufflé toutes leurs bougies et leur a gentiment dit d’aller se faire foutre ! »
C’est donc dans le froid anglais de Décembre que les anglais débarquent dans leur pays revenant de la douceur californienne. L’atterrissage physique pouvait avoir lieu pendant que leurs esprits continuaient à planer à plus de 60 000 pieds grâce à divers substances illicites.
Avant l’enregistrement de Master of Reality qui sera mis en boîte aux Island Studios de Londres entre Février et Avril 1971, Black Sabbath en profite pour jouer en France à l’Olympia le 20 Décembre où le concert fut filmé par la télévision française. Concert que l’on retrouve facilement sur le web.
D’emblée on découvre un son énorme, puissant bien lourd.
Le premier morceau « Sweet Leaf » est un hommage à leur passion de l’époque, la marijuana dont ils faisaient une consommation plus qu’excessive. Avant même la première note on entend la toux « samplée » de Tony Iommi, suivi du riff intemporel du morceau avant la question de circonstance d’Ozzy « Alright now ! – Won’t you listen ? » Ce morceau est depuis devenu une institution, un classique du groupe et du Metal même. C’est une déclaration d’amour à la douce feuille…
« My life was empty, forever on a down
Until you took me, Showed me around
My life is free now, My life is clear
I love you sweet leaf, Though you can't hear »
Suivez donc le travail de la basse, c’est impressionnant d’autant plus que Geezer Butler avait également bridé sa basse pour correspondre aux sonorités de Iommi. Ce dernier, amputé de 2 doigts, avait décidé de downtuner sa guitare de trois demi-tons. Cela réduisait la tension des cordes ainsi cela facilitait sa façon de jouer et de placer des accords avec ses prothèses sur le manche et rendait le son plus lourd et plus malsain. Les guitares étant désormais accordées en Do dièse au lieu du Mi habituel. Et puis, il y a ce break qui redonne un coup de fouet au morceau afin d’accélérer ce solo revêche. La voix d’Ozzy Osbourne est transcendée par l’émotion qu’il apporte en poussant dans les aigus.
« After fFrever » est plus subtile, plus calme avec les riffs malsains de Tony. Plus aérien aussi et ce malgré une basse omniprésente. Les couplets ne sont pas chantés mais scandés par un Ozzy transcendé qui parfois nous en fait oublier les instruments sauf pendant le solo de guitare qui vient nous transpercer le cortex.
Quand aux deux interludes musicales que sont « Embryo » (musique de ménestrel/classique de 30 secondes) et « Orchid », elles apportent un moment de légèreté à la lourdeur de l’ensemble permettant à Tony de mettre en avant sa maîtrise de la guitare sur des notes néoclassiques des plus abouties. Ritchie Blackmore n’aurait pas renié ce dernier morceau instrumental. Musique en arpège dont la seule présence sur cet album n’est que de servir d’intro à « Lord of the World ».
Avec cette voix qui tente de s’immiscer au riff, ce titre est un chef d’œuvre de logique mathématique et musicale où la bête avance pas à pas pour élaborer sa tactique rythmée par les roulements de tambour de Bill Ward et la mise en avant de la basse de Geezer Butler sur le solo de guitare final.
Intro à la basse décuplée par l’arrivé d’une batterie surpuissante sous un riff immortel. « Children of the Grave » écrase par sa lourdeur, anéantit l’auditeur par ce côté massif. Classique des classiques avec ses explosions auditives qui viennent ponctuer chaque fin de phrase d’Ozzy. Puis tel un mastodonte, Black Sabbath clame haut et fort par quelques notes la force du titre. Un solo soigné de l’extrémité des bouts de cuir qui lui servent de doigts pousseront les plus réfractaires dans leur dernier retranchement vers une musique intemporelle avant cette fin onirique.
« Solitude » est une musique que l’on pourrait qualifier de médiévale, mais très en vogue à l’époque du prog rock. Une musique planante assez logique, compte tenu de la consommation de certaines substances des musiciens. Minimaliste dans l’intervention des instruments où la batterie est remplacée par une flute.
« Into the Void », c’est du velu, un riff comme ça il faut tout de même le sortir et l’assumer afin d’y caser une mélodie vocale. C’est ce qu’Ozzy s’évertue de faire en nous déversant ses paroles d’une façon monocorde avant que Tony nous balance ses solos de guitares à la sauce 70’s une fois à gauche, une fois à droite….arghhhh…jouissif….
Pour conclure, Master of Reality aborde le sujet de l’environnement, la pollution laissée par l’homme avec « Lord of this World ». En fin de compte Black Sabbath est un groupe humain avec « Sweat Leaf », compatissant et positif envers les jeunes (« Children of the Grave »), visionnaire avec « Into the Void » ou encore mélancolique avec « Solitude » ; loin de l’image de barges sataniques que les médias et les maisons de disques préféraient mettre en avant, largement plus vendeur que leur côté humain.
Ils n’avaient alors que 23 ans...
Lionel / Born 666