Être chroniqueur, c'est savoir parfois prendre un peu de recul. Et donc j'admets totalement avoir un peu surestimé Rubicon, le précédent album de Tristania, auquel j'avais attribué un généreux 7. S'il procurait un plaisir assez immédiat, mes craintes quant à la faiblesse de sa durée de vie se sont révélées exactes et au-delà de quelques pistes encore sympathiques (« Exile » par exemple), c'est pas la joie. Dommage. D'autant plus que le combo norvégien semble s'être quand même bien empêtré dans cette voie, sans aucune raison d'en sortir. Et s'ils restaient globalement au-dessus d'autres formations du même calibre, difficile de ne pas quand même regretter, au fond, les premières œuvres qui ont été décisives pour beaucoup d'autres. L'enthousiasme devant Darkest White reste donc tout à fait relatif.
En sus, Mariangela Demurtas, au sein du sextette depuis déjà quelques temps, est toujours aussi controversée. Si d'un côté les craintes sont compréhensibles (il est vrai qu'elle reste très différente de Vibeke), les nombreuses critiques acerbes sur la performance vocale de la jeune femme restent souvent assez injustifiées, preuve en est sur le plan scénique où la belle italienne s'en tire avec brio. Mais pas de quoi calmer les ardeurs des plus virulents. Alors Tristania, groupe aimant l'expérimentation (comme le démontrait le déroutant Ashes), se plaît à surprendre. A aller là où on ne se doutait pas qu'ils iraient. Et c'est exactement ce qu'il se produit avec ce nouvel opus. La seule chose qu'on souhaite leur dire c'est : merci !
Le constat est clair dès « Number » qui se pare d'une agressivité inespérée. Les riffs touchent carrément au black, ainsi que le growl, qui assènent de bons gros coups de fouet sur les couplets, qui suivent ainsi cette tendance. Le tout se voit contrebalancé par la présence féminine de Mariangela, à la voix puissante et chaleureuse. Ce morceau d'ouverture déménage bien plus qu'un « Year of the Rat » possédant la même qualité (à savoir un petit côté catchy), mais le dernier nommé se révélait bien plus superficiel. Une bonne petite cure de testostérones qui fait du bien par où elle passe, et permet de renouer avec l'espoir de revoir le Tristania qu'on préfère. C'est à dire un combo qui évite de tomber dans les poncifs qui frappent un Lacuna Coil ou un Unsun, dans des structures simpl(ist)es et assimilables dès les premières écoutes. Pas que ce soit un mal, mais il y avait un relâchement, dissipé à présent. Mais résumer ce disque à cette facette agressive serait une erreur …
Photo en darkest white
Pour la simple et bonne raison que les ambiances de cette livraison sont extrêmement variées et se permettent d'explorer moult horizons. La force de Darkest White, c'est justement de ne pas se répéter, de verses dans divers registres sans jamais mettre à mal la forte cohérence qui réside au sein de la galette. L'exemple de « Diagnosis » est parfait pour illustrer cette tendance à explorer un peu tout ce qui est à leur portée : si la voix de Mariangela et ses lignes de chant respirent à plein poumon le The Gathering de l'époque Nighttime Birds (la chanteuse italienne nous offre d'ailleurs un mimétisme fascinant avec Anneke tant les timbres sont proches), le reste du titre change carrément de cap. C'est au tour du chant clair masculin de faire son apparition, toujours avec beaucoup de profondeur et d'émotion. Et cette fois, on verse clairement vers Anathema, dans une version plus metal. Avec un soupçon de Muse. Ça ne ressemble pas vraiment à ce que Tristania a pu faire par le passé. Pourtant, on reconnaît bien leur identité, leur patte bien à eux. La grande force de ces norvégiens, c'est de ne jamais trahir leur propos, de ne pas dénaturer ce qui fait leur charme.
Un charme qui passe aussi par la prestation des vocalistes. Mariangela Demurtas, qui ne fait pas l'unanimité, est pourtant bien à l'honneur. Sur « Himmelfall », elle envoie du pâté, très à l'aise dans un registre où elle doit donner de la puissance. Mais elle ne possède pas que ça. La justesse ? Oui. Les écarts techniques sont inexistants. L'émotion ? Absolument. Sur la jolie ballade « Lavender », elle bascule dans un registre plus fragile et, surtout, naturel. Jamais de trop, toujours bien dosé, son chant est un atout pour Tristania grâce à la personnalité qu'elle dégage. Cependant, lui remettre tous les honneurs serait injuste. Elle est même absente sur deux titres : « Darkest White » et « Cypher », où c'est là le chant de Kjetil Nordhus qui est sur le devant de la scène, chanteur confirmant bien sûr tout le bien qu'on pensait de lui. Excellent, comme à son habitude, sa complémentarité avec les growls d'Anders ou le chant de la sarde fait plaisir aux oreilles.
C'est même regrettable que Tristania ne s'amuse pas (encore) assez à faire chanter les deux protagonistes en même temps, histoire de former quelques superbes duos. La vedette est souvent attribuée à l'un ou à l'autre. Sur « Requiem », qui pourrait bien être leur nouveau single, Mariangela chante (presque) seule tandis que sur « Darkest White », Kjetil fait son méchant sur les couplets, histoire de prouver qu'il sait adopter diverses facettes. Heureusement que l'un comme l'autre ont largement les capacités d'assurer le spectacle et de faire tenir la route à une piste, bien qu'on ne peut résumer les réussites de ce Darkest White aux seules voix. Les compositions en elles-mêmes y sont, bien sûr, pour quelque chose. Même dans un registre plus commun. « Darkest White » est industrielle, froide, possède à la fois des airs de Devin Townsend et de Pain, des influence qu'on imaginerait jamais retrouver chez eux (et pourtant !). A contrario, « Requiem » se veut enveloppante, plus douce, plus intime, avec un aspect légèrement pop qui ne tombe pas dans le racoleur. « Night on Earth » est simple mais efficace, alternant growls et chant féminin sur des riffs lourds.
L'opus reste beaucoup plus sombre qu'un Rubicon, tranchant vraiment avec cette amorce pop. « Arteries » est une conclusion qui condense parfaitement ce qui a pu être offert tout au long de ce voyage. Et Darkest White, l'album qui voit le retour sur le devant de la scène d'un Tristania à nouveau sur les rails. Aucun titre faible, aucune longueur, toujours naviguant entre la force pure et les atmosphères diverses et variées (intimistes, froides, angoissées, la liste est longue), le combo norvégien s'est mit un coup de pied où on le pense, et ça leur a fait du bien. Pourquoi bouder son plaisir ? Une réussite énorme alors que j'attendais finalement pas tant que ça. Voilà donc un incontournable de cette première moitié de 2013 avec une résurrection inespérée du côté obscur de la force.