C'est toujours entouré d'une aura mystique que l'on se représente Amenra, groupe belge que l'on ne présente plus tant par l'influence qu'il a apporté au doom et ce, dès les années 2000. La Grosse Radio a eu le privilège de s'entretenir avec Colin H. van Eeckhout (chanteur) et Tim De Gieter (basse) pour un échange enrichissant et inspirant. Récit d'une rencontre.
Bonjour Colin, bonjour Tim, tout d'abord comment allez-vous ? On imagine que vous avez hâte de jouer ce soir ? Que peut-on espérer du set d'Amenra ?
Colin : On espère délivrer, c'est toujours ce qu'on espère non ?
Tim : Oui. J'ai vraiment hâte. C'est une très belle scène sur laquelle jouer. Je pense que nous jouons à un moment idéal. Il fera nuit, et c'est intéressant de jouer dehors.
En plus vous allez jouer sur le nouveau lieu d'implantation de la Valley ! Comment vous le sentez ?
Tim : Je ne l'ai pas encore vu à vrai dire.
Colin : Oui, moi non plus, je ne sais pas. Les dernières fois que nous sommes venus nous avons joué sous les tentes et nous sommes habitués à cela. C'est la première fois que nous jouons en extérieur. C'est donc nouveau pour nous aussi. C'est une nouvelle expérience. Mais c'est aussi amusant car c'est intéressant de pouvoir l'expérimenter. Nous verrons bien je suis curieux. J'ai vu qu'il y avait des problèmes techniques sur cette scène pendant la journée. L'électricité est parfois coupée, donc j'espère vraiment que, d'un point de vue logistique, il y aura toute la journée pour régler le problème et j'espère que ça sera résolu quand nous devrons jouer.
La dernière fois qu'on vous a vus à Clisson c'était en 2018. Qu'est ce que cela vous fait de revenir avec deux nouveaux albums ? (les deux versions de De Doorn)
Colin : Je suis content d'être de retour au Hellfest. Je veux dire, on a vraiment passé un bon moment la dernière fois, on a traîné toute la journée à l'espace VIP ici et on s'est bien amusé. Nous sommes restés deux jours. Donc c'était vraiment un bon moment. Je suis vraiment heureux d'être de retour, c'est juste dommage que nous ne puissions pas rester un peu plus longtemps, et profiter parce que, quand tu dois performer très souvent tu as besoin de ce temps de détente. Personnellement, je suis toujours très nerveux, alors je ne peux pas vraiment me détendre et profiter avant de jouer. Je ne suis détendu que lorsque j'ai fini de jouer. Mais oui, je suis vraiment heureux d'être ici.
En 2022, vous êtes apparus sur un split LP intitulé Songs Of Townes Van Zandt Vol. III avec Cave In et Marissa Nadler. Ce projet où vous jouez vos propres versions des morceaux du musicien américain Townes Van Zandt est assez intéressant, parce qu'il apporte une toute nouvelle vibe à ces chansons. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et ce qu'il vous a apporté en tant que groupe / artiste ?
Colin : Durant le COVID, nous avons enregistré quelques reprises. On s'occupait, parce qu'il y avait les fermetures et tout ça. Et c'était bien de se plonger dans le travail des autres et d'y chercher une forme de connexion émotionnelle. Et nous l'avons toujours ressentie avec les chansons de Townes Van Zandt. Il a aussi une essence très triste et mélancolique dans sa musique. C'était donc logique pour nous de reprendre certaines de ces chansons. Et nous avons pu travailler avec des artistes très intéressants sur ces morceaux. Il y avait Marissa Nadler et Cave In, des artistes que nous respectons et apprécions. Et c'était sur notre ancien label Neurot Records. Donc, c'était vraiment sympa d'y prendre part. Et ça nous convenait, c'était tout à fait dans la continuité de notre travail. Je veux dire, c'est la même histoire mais d'une manière différente de celle qui a été racontée. C'était un bon projet et je l'ai vraiment apprécié.
Je voulais remonter plus loin si vous le permettez, en 2019 vous avez donné un concert fantastique à l'église Saint Merry à Paris. Qu'avez-vous pensé de ce spectacle ? De ce lieu et de son histoire fantastique (église historique de gauche à Paris, soutien aux lgbt+, aide aux migrants etc...)
Colin : Très bien. Nous sommes restés quatre jours, je crois, à Paris. C'était vraiment bien. Nous avons vraiment pu nous imprégner de l'essence de la ville tout entière et nous avons pu y passer du temps. Et c'est toujours plus agréable. Vous saisissez toujours mieux l'élan si vous êtes, si vous êtes là pour un certain temps et au lieu d'aller et venir, tu sais, en arrivant l'après-midi et en partant le soir. Et il y avait aussi beaucoup de manifestations mais je ne sais pas quelles étaient les revendications. Ce n'était pas religieux en tout cas. (NDLR : Il s'agissait du mouvement des Gilets jaunes) Et cela donnait aussi une certaine atmosphère particulière à la ville. L'église était incroyable, nous y avons été très, très bien accueillis. Et c'est incroyable que nous ayons pu le faire dans une église qui est toujours utilisée, vous savez, et qui suit une idéologie que nous respectons et suivons également. C'était un moment magnifique. Un des meilleurs moments de notre existence que nous avons pu vivre à Paris.
Vous avez déjà annoncé que vous donnerez un autre concert acoustique dans l'église Saint Rita en décembre prochain en Belgique. C'est un peu l'opposé du style de Saint Merry puisque c'est une architecture complètement brutaliste. Qu'est-ce qui vous amène là-bas et quelles sont vos attentes ?
Colin : En fait, je suis obsédé par le brutalisme parce que c'est parfaitement logique dans notre monde. C'est vrai. Vous avez des bunkers en béton qui ont été construit par le passé, qui sont rudes et primitifs, et puis vous avez un style d'architecture profondément travaillé qui fonctionne également avec cela. C'est donc un monde qui nous attire et qui reviendra certainement dans notre histoire à l'avenir.
Peut-on espérer de nouvelles performances de ce genre dans le futur ?
Colin : Nous faisons toujours au moins un ou deux concerts dans des églises chaque année. C'est donc quelque chose de continu pour nous.
On sait que le parallèle entre votre musique et les images est très important, de vos paroles à la vidéo que vous présentez sur scène. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'ensemble du processus ? Comment tournez-vous les images, comment trouvez-vous vos inspirations ?
Tim : Je pense que tout se fait très naturellement. Par exemple, nous sommes allés enregistrer au début de l'année et pendant que nous enregistrions, Stefan, notre photographe, était là aussi et il s'occupe aussi de nos visuels. Il a regardé dehors et s'est dit. "Putain de merde, c'est la correspondance parfaite entre ce que j'entends musicalement et le lieu". Donc oui, tout est fait dans une sorte de synergie, ou c'est ce que nous essayons de faire. Dans les images ou les choses que nous voyons et tout le monde voit quelque chose qui lui parle. Et il y a un lien avec ce que nous faisons sur le plan musical. Tu sais, on prend des caméras, on va filmer ou le guitariste Matthew le fait, comme dans Entourage aussi. Et nous contribuons, nous jetons tout sur la table et nous voyons ce qui a du sens à un moment donné. Et donc, oui, c'est très facile, très "DIY" en quelque sorte.
Colin : Oui. Nous suivons juste notre intuition, tu sais, nous voyons quelque chose, nous nous disons, ok c'est ici ! Nous avons d'ailleurs essayé d'aller filmer à Barcelone : nous avons joué à ce festival à Barcelone (Primavera Sound) et il y avait une colline avec des croix au loin. Nous avons donc essayé de louer une voiture et d'y aller. En fait, nous essayons de rester occupés et d'essayer de construire quelque chose, quelque chose de plus grand de manière général qui transcende notre musique.
En tant que groupe majeur en Belgique, vous avez également fondé le collectif Church of Ra, où Predatory Void est votre dernière sortie. Pourriez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement du collectif, son avenir et peut-être nous donner quelques recommandations ?
Colin : Eh bien, le mot collectif est un terme très libre. Je veux dire, ce n'est pas comme un groupe de groupes. C'est plutôt participatif et collaboratif. Ce que je veux dire c'est que tout le monde est impliqué dans ce processus créatif et tout le monde s'aide mutuellement. Par exemple si je veux aider Tim Dodeskader, je l'aiderai. Si c'est Bjorn notre batteur également. Le collectif est là pour créer du lien entre les gens.
Ce n'est pas comme une page Wikipédia qui rassemble des groupes et des danses. C'est comme un groupe de personnes qui est actuellement... , oui, assez grand, pour être honnête, qui ont une idée similaire et qui s'aident les uns les autres. En tout cas, dans la mesure du possible. Mais ce n'est pas comme si nous nous asseyions et organisions des réunions et planifions une journée ici avec la Church of Ra. Ce n'est pas que cela n'existe pas. Je veux dire, c'est juste nous tous qui construisons notre truc individuellement et collectivement et qui essayons d'aider. Et c'est que nous racontons tous la même histoire à notre manière, tu vois ? Voilà ce que c'est.
Et concernant un groupe à recommander, ce n'est pas comme ça que ça marche à vrai dire. Je veux dire que nous avons tous beaucoup de projets en cours. Tim est dans Dodeskader et Predatory Void avec Lennard, j'ai Absent In Body avec Matthew. Nous avons Matthew qui a Skemer qui est un projet darkwave avec sa petite amie. Et puis nous avons des projets solo et d'autres choses tu vois ? Je travaille avec un chanteur folk de Hollande et il y a tellement de choses qui se passent.
Tim : Et j'ai l'impression que si nous recommandions un seul disque à cet énorme groupe de personnes qui ne se limitent pas à la musique, c'est comme si ce serait une mauvaise approche de la chose, tu vois ce que je veux dire ? Parce que c'est autre chose qu'une simple collection d'albums réalisés par des individus. C'est une collection de personnalités. C'est comme dire : "Dis-moi lequel est ton ami préféré". Ce serait bizarre.
Colin : Mais oui, mais il se passe beaucoup de choses. Et dès que de nouveaux projets sortiront, nous les partagerons.
Dans un monde en constante évolution où tout devient de plus en plus violent, comment voyez-vous l'avenir d'Amenra ? Où va-t-il ?
Colin : Nous avançons, nous ne planifions pas vraiment, nous ne regardons pas vraiment vers l'avenir. L'un d'entre nous pourrait être mort dans six mois, tu sais, il n'y a donc aucune raison de se projeter dans l'avenir. Je pense qu'il est important pour nous de continuer ce que nous faisons. Et d'essayer de le faire de la meilleure façon et de la façon la plus profonde possible. Ce que j'espère, c'est que nous pourrons continuer à faire ce que nous faisons. Très, très longtemps avec tous ceux qui sont impliqués maintenant et ceux qui nous rejoindront et avec qui nous croiserons le chemin. Nous sommes très reconnaissants de faire cela. Et nous essaierons de le prolonger aussi longtemps que nous le pourrons. Mais quel est l'objectif ? Il n'y a pas d'objectif. Il y en a peut-être un : nous racontons notre histoire et nous essayons de la raconter de la meilleure des façons, c'est vrai. Mais il n'y a pas de grand objectif ou d'aspiration.
LGR : Y a-t-il des groupes avec lesquels vous avez envie de travailler à l'avenir ?
Colin : Je ne peux pas vraiment le dire. Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas.
Tim : Oui, c'est difficile à dire. Nous sommes tellement concentrés sur nous-mêmes. Je pense aussi que dans ce que nous faisons, même s'il s'agit d'une collaboration, c'est avant tout basé sur une connexion émotionnelle. Donc si on souhaite quelque chose musicalement, c'est comme s'il manquait un aspect parce que la seule chose qui déclencherait une collaboration serait de rencontrer quelqu'un personnellement comme avec Brother Diamond ou il s'agit de personnes à l'état d'esprit similaire qui se rencontrent, quel que soit le genre.
Colin : Nous pourrions te citer un groupe ou un artiste, mais le jour où nous rencontrons la personne, il se peut qu'il n'y ait pas de lien et qu'il ne soit pas utile de travailler avec elle. C'est donc difficile à dire.
Même si ce n'est pas un artiste musical par exemple un photographe ou autre ?
Colin : Nous ne pensons pas vraiment de cette façon. Ce n'est pas que nous qui faisons tous une liste : "Oh j'aimerai bien tel artiste pour travailler avec nous". C'est plutôt, vous rencontrez un artiste, il croise votre chemin ou vous avez une conversation avec quelqu'un que vous rencontrez et alors vous avez un projet. Ce n'est pas vraiment nous qui envoyons le courrier du genre "Hey, ça vous dit de travailler avec nous ?"
Tim : Par exemple, sur notre dernier album, il y a un membre d'Oathbreaker, mais ce n'est pas comme si on s'était assis autour d'une table et qu'on s'était dit : " On devrait avoir un featuring ". Mettez vos cinq meilleurs featuring là-dedans. Je me souviens que c'était super spontané. On écoutait la chanson en studio et tout d'un coup, comme tu l'as dit, on s'est dit : "Oh, cette partie, c'est exactement celle-là. C'est fait pour elle, on devrait l'avoir dessus". Et puis... Ça s'est fait.
Le mot de la fin est pour vous !
Colin : Nous sommes très reconnaissants de pouvoir être ici et que vous preniez de votre temps pour nous, tu sais, pour nous poser des questions. Et nous espérons que nous pourrons continuer de faire ce qu'on fait aussi longtemps que possible. Et en un mot ? Gratitude.
Tim : Soyez gentils les uns envers les autres.
Photos : Florentine Pautet
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