Les sorties d'album sont tellement nombreuses chaque année qu'il nous arrive de passer à côté de très beaux albums. Alors, pour commencer 2024, nous avons voulu, une semaine durant, faire un focus sur des albums de 2023 que nous n'avions pas eu le temps de traiter.
Aujourd'hui, Lisboa Depois de Morta de Thragedium.
Le Portugal n’est pas le pays le plus emblématique en matière de metal – sorti de Moonspell, on a parfois du mal à en citer des représentants. Et pourtant, comme d’autres pays méditerranéens, il possède un vivier très intéressant. La preuve avec Thragedium, dont le quatrième album est sorti fin octobre. Si Lisboa Depois De Morta n’a eu que trois successeurs en plus de décennies, c’est que le groupe, formé en 1998, était entré en sommeil en 2003.
Dès ses premiers travaux, Thragedium mêlait des sonorités metal particulièrement lourdes et sombres à des musiques traditionnelles portugaises. Si selon les albums, on retrouvait plus d’agressivité (le premier, Theatrum XXII), ou des éléments s’approchant carrément du rock alternatif (notamment sur le deuxième, Twelve Feet Under, par ailleurs moins folk, comme dans une moindre mesure le troisième Isolationist), ce quatrième opus fait reprend des éléments des albums précédents, en renforçant la noirceur du combo lusophone et en insistant plus que jamais sur les éléments traditionnels.
Sombre et crépusculaire
Le communiqué de presse présente Thragedium comme une formation de neo folk metal, mais l’écoute de Lisboa Depois De Morta (Lisbonne après la mort) donne plutôt envie de le qualifier de folk doom (ce que clame le groupe sur son site), avec des influences presque tribales ou liturgiques. La très bonne production, en amélioration par rapport aux premiers disques, permet d’apprécier chaque variante et de donner sa place à tous les éléments, qu’ils soient mis en avant ou en fond sonore. Peut-être faut-il y voir l’influence de Fernando Ribeiro, frontman de Moonspell, propriétaire du label Alma Mater Records sur lequel est sorti cet opus ?
Les rythmes restent relativement lents, lourds, et les ambiances résolument sombres et crépusculaires. Les guitares électriques (João Paulo "Eclipse" et le chanteur Nuno Cruz) participent largement avec la basse (José Ramos) à cet état pesant, mais leur agilité se fait sentir tout au long des morceaux. Elles peuvent se faire très saturées, pour des motifs de fonds ou des riffs agressifs, partir sur du metal plus mélodique (elles offrent par exemple une énergique cavalcade sur « Trimarkisia »), ou égrener des arpèges clairs, en complément de guitares acoustiques qui jouent sur un mode très portugais traditionnel.
La guitare portugaise semble d’ailleurs être l’instrument fil conducteur de cet album, tant elle est présente, et s’accorde remarquablement avec les tonalités doom. Des percussions diverses (Eclipse, responsable de la plupart des instruments traditionnels, et le batteur César Feiteira) ajoutent à l’aspect traditionnel et parfois tribal.
Un chant d'une richesse infinie
Les voix accentuent à merveille cette alliance des genres. Le growl pur de Cruz est présent sur bon nombre de morceaux. Mais ceux-ci regorgent aussi de chuchotements saturés et de chants sépulcraux, parlés ou psalmodiés, qui s’éloignent du metal pur pour entrer dans quelque chose de plus obscur.
Surtout, la voix Nuno Cruz et les chœurs s’aventurent très souvent sur du chant d’apparence liturgique, donnant une sensation presque de rituel, accentué par des éléments en latin. C’est particulièrement prenant dès le deuxième titre, « Lucefécit ». Par ailleurs, les titres essentiellement chantés en portugais (seuls trois sur onze sont en anglais) accentuent encore le lien du groupe à ses racines.
Ponctuellement, le chant peut prendre encore de nouveaux chemins, avec des accents presque indie rock sur « The Adorer », ou un chœur traditionnel uniquement accompagné d’instruments traditionnels en ouverture du sublime « Pretérito imperfeito », qui laisse ensuite la place à un chuchotement saturé. Les guitares électriques s’élèvent ensuite pour accompagner un chant clair sur une mélodie semble-t-il traditionnel auquel répond un growl quasiment parlé.
Capturer l'essence commune de deux univers opposés
Pas un morceau n’est à jeter, chacun possédant son identité propre tout en s’intégrant de manière très homogène dans l’album. Si la plupart équilibrent éléments doom et traditionnels, quelques-uns s’orientent plus vers du metal pur, comme le caverneux « Nations Fall », doom voire blackisant, sans instrument traditionnel, mais les instruments traditionnels reviennent en seconde partie.
D’autres sont résolument axés sur la musique portugaise. « Un mal necessàrio » est une ballade de prime abord très folk, tout en percussions et guitare sèche, avec tout du long une voix chantée claire très belle, qui dégage une grande impression de tristesse. Mais elle donne la sensation que si le groupe arrive si bien à marier deux univers a priori très opposés, c’est qu’il a capturé chez chacun d’eux une infinie tristesse, qui en fait peut-être l’essence. Cela s’entend encore sur le morceau fleuve de clôture « The Old Oak and the Mandrale Root », assez progressif dans l’idée, passant d’une ambiance saturée à des envolées traditionnelles pour unir magnifiquement les deux.
Lisboa Depois De Morta est fabuleux de bout en bout et ne laisse pas indemne. Il plaira aux adeptes de doom et de gothique comme de folk metal sombre, et à toutes les personnes à la recherche d’un son vraiment unique dans le monde du metal. Le groupe ayant tourné avec Moonspell, on espère un retour du combo dans nos contrées en emportant son compatriote dans ses bagages.
Lisboa Depois De Morta de Thragedium est sorti le 31 octobre 2023 via Alma Mater Records.
Tracklist:
1. Desagregação 05:19
2. Lucefécit 07:17
3. The Adorer 06:21
4. O Pacto 02:49
5. Terra Mãe 03:07
6. Nations Fall 04:51
7. Pretérito Imperfeito 07:58
8. Um Mal Necessário 05:30
9. Trimarkisia 08:05
10. Lisboa Depois de Morta 04:05
11. The Old Oak and the Mandrake Root 12:39