2024 démarre sur les chapeaux de roues pour le combo de metal progressif Persefone. Après l’annonce du départ de son vocaliste, le groupe fondé il y a deux décennies a su faire preuve de résilience. Avec ce nouveau départ, concrétisé sous la forme d’un EP, Lingua Ignota, Part 1, et une entame imminente de tournée européenne aux côtés d’Hypno5e, le sextet andorran s’invite pour notre plus grand plaisir sur le devant de la scène. Le batteur Bobby Verdeguer s’est confié avec beaucoup de simplicité sur l’actualité de Persefone et cette période de renouveau.
Bonjour Bobby ! La sortie du nouvel EP Lingua Ignota : Part 1 coïncide avec le lancement de la tournée de Persefone avec Hypno5e, pour laquelle plusieurs dates en France sont prévues. Comment vous sentez-vous, quelques jours à peine avant de partir ?
On est partagés entre l’excitation et pas mal de stress. Ça fait des semaines qu’on répète, et qu’on essaie de bien organiser la tournée. Ça n’est pas évident de partir en tournée pour nous, car ce n’est pas notre métier principal. Il faut organiser nos vies professionnelles, nos vies personnelles, et la vie du groupe en tournée, les répétitions, le logement, le matériel, et ça n’est pas quelque chose de facile. C’est pour ça que je dis que l’excitation et le stress se mélangent. On a vraiment envie que ça commence, et une fois les premières dates passées, on sait que ça sera lancé, ça ira mieux ! Les deux ou trois premières dates sont celles qui font un peu plus peur, car on va jouer les morceaux de l’EP pour la première fois. Et puis on part un mois en tournée avec des gens qu’on ne connaît pas, finalement, alors même si je sais que ça va super bien se passer, c’est un peu une plongée dans l’inconnu.
Justement, la tournée passera par la France pour cinq dates entre février et mars, à Paris, Nantes, Toulouse, Lyon et Lille.
Oui, on aime beaucoup venir jouer en France. Et on est très contents d’avoir Hypno5e avec nous pour ces concerts, ça va être vraiment bien. C’est un groupe qu’on apprécie beaucoup, et en plus, nous avons le même ingénieur du son ! Il y a donc cette connexion qui existe entre les deux groupes, même si on ne se connaît pas personnellement. Et jouer en France, encore plus avec un groupe français à nos côté, ça nous fait vraiment plaisir.
Parle-nous de l’arrivée de Daniel Rodriguez Flys au sein du groupe suite au départ de Marc Martins l’année dernière.
Il y a eu une période compliquée pour nous, juste après la sortie de metanoia [début 2022, ndlr], avec beaucoup d’incertitudes et de doutes sur la situation de Marc. Il faisait partie de Persefone depuis 18 ou 20 ans et ça n’a pas été évident pour lui, il a eu besoin d’un moment pour organiser sa vie, il voulait privilégier sa vie personnelle, mais en même temps nous on voulait quand même continuer de tourner pour promouvoir notre nouvel album.
C’est un effort très important pour nous de sortir un disque, parce que, comme je te le disais, nous ne vivons pas de notre musique, nous avons tous un boulot à côté. On ne voulait pas que cet album reste perdu, sans le faire vivre par une tournée par la suite. On a donc dû trouver quelqu’un pour le remplacer, et on a trouvé Dani. Ça n’est pas facile de partir en tournée comme ça avec quelqu’un de nouveau au sein d’un groupe où tout le monde s’entend bien, où tout le monde se connaît depuis des années, comme dans une famille. Mais finalement ça s’est très bien passé, parce que Dani est quelqu’un de super, et il a compris très rapidement comment on travaillait, il a saisi les rôles de chacun au sein du groupe, et il a aussi su voir l’espace dont chacun de nous a besoin.
La tournée s’est bien passée, et après on a dû s’asseoir avec Marc pour savoir quel avenir donner au groupe. Il nous a annoncé qu’il quittait le groupe, et ensuite ça a donc été très simple de faire ce pas en avant et d’intégrer Dani dans le groupe. Quand on a annoncé le départ de Marc, quelques personnes nous ont contactés pour passer des auditions, mais ça ne fonctionne pas comme ça. Il fallait avant tout une personne qui pouvait entrer dans la famille Persefone, et cette personne c’était Dani. Alors, bien sûr, ça a aidé qu’il ait ce timbre de voix incroyable, un accent parfait [Rires] Mais il faut avant tout qu’on s’entende sur un plan personnel, sinon ça ne marche pas.
Il faut dire que la vie en tournée est très particulière, et il faut vraiment qu’il y ait de solides liens entre vous.
Oui, c’est exactement ce qu’on essaie d’expliquer à nos proches. La vie en tournée, c’est passer 23 heures sur 24 à faire autre chose que ton concert, mais toujours avec les membres de ton groupe. On vit avec d’autres personnes, et c’est l’essentiel de nos vies pendant toute la durée de la tournée. Le show en lui-même ne dure qu’une heure, mais les autres moments, l'attente, la préparation ou même des moments plus compliqués, sont presque plus importants que les concerts.
Vous sortez aujourd’hui l’EP Lingua Ignota, Part 1. Pourquoi avoir choisi ce format court, le premier dans votre discographie ?
Oui, c’est la toute première fois que Persefone sort un EP ! On avait l’idée de faire un disque, mais avec tout ce qui s’est passé, le départ de Marc, on a voulu avoir de la musique assez rapidement pour intégrer Dani au sein du groupe le plus tôt possible, pour qu’il se sente encore plus à l’aise et à sa place. On aurait pu attendre et faire un album, ça serait sorti en 2025 peut-être, mais faire cet EP tôt nous a permis de commencer à créer des morceaux avec lui, et d’essayer des nouvelles choses.
On a eu plus de libertés, enfin je sais pas si on peut vraiment dire ça parce qu’on a toujours été très libres de faire ce qu’on voulait, on n’est pas du tout limités par le label, mais le format EP nous a fait nous sentir plus libres d’expérimenter de nouvelles choses. On a pu voir ce que le chant de Dani donnait en studio aussi, c’est important. Il avait jusque là remplacé Marc sur des concerts, donc il était chargé du growl, du chant crié. Mais là, sur l’EP, il a pas mal de chant clair mélodique, et il chante vraiment super bien.
C’est vrai que la polyvalence de Dani est un atout sur l’EP, un nouveau souffle avec pas mal de parties mélodiques et beaucoup de puissance dans son chant crié. Est-ce que tu parlerais de nouvelle ère pour Persefone, ou alors d’une transition assez naturelle pour un groupe expérimenté ?
Franchement, je ne sais pas. Pour l’instant il n’y a qu’un seul morceau qui est sorti, le single "One Word", et c’est vrai qu’on a lu ce genre de commentaire. Certes, on a un nouveau chanteur, qui apporte pas mal de nouveauté, mais finalement ce sont les mêmes personnes qui sont derrière notre musique. J’aimerais penser que, oui, c’est une nouvelle ère, si tout ça nous emmène vers des horizons magnifique [Rires] mais en fait, nous ne savons pas du tout comment les gens vont réagir à ces nouveautés.
Persefone existe depuis plus de vingt ans, mais ça fait vraiment trois ou quatre ans qu’on tourne beaucoup plus, que de plus en plus de gens s’intéressent à nous avec les tournées, la sortie de metanoia, notre signature avec un grand label [Napalm Records, ndlr]. Avant, on avait sorti beaucoup d’albums, mais les préférés du public sont surtout Spiritual Migration et Aathma [sortis respectivement en 2013 et 2017, ndlr]. Auparavant, on était sur un tout petit label, on faisait des tournées très courtes d’une ou deux semaines parce qu’il fallait que ça tienne sur nos congés. On n’arrivait même pas à entrer dans nos frais, ça nous coûtait très cher. Alors que maintenant, on bosse avec un label, un tourneur, on a de nouveaux contacts, et tu ajoutes à ça l’arrivée de Dani, tout ça fait que j’ai l’impression qu’une nouvelle ère est entamée pour Persefone, mais pas juste grâce au changement de line-up, tu vois ?
Est-ce que vous avez changé de façon de procéder, pour l’écriture et l’enregistrement de ce nouvel EP, ou vous avez continué de travailler comme vous aviez l’habitude de le faire précédemment ?
On a pas mal changé de façon de faire. C’est principalement Carlos [Lozano, à la guitare ndlr] qui a écrit les morceaux de l’EP. Auparavant, même si c’était lui qui composait une grande partie de morceaux, il y avait plus d'écriture collective. Mais là il y a eu un travail très spécifique de sa part, il a pris les initiatives, même si évidemment chacun d’entre nous a pu proposer des idées et amener ses influences et ses goûts personnels. Il a bossé très dur, et surtout très vite : en septembre 2022, on a fait une tournée avec Obscura, puis des concerts en tête d’affiche en Amérique Latine, et enfin une tournée avec De Obliviscaris. Et pendant tout ce temps, Carlos a réussi à écrire l’EP et on a vite pu enregistrer. C’était vraiment un tour de force parce que composer des morceaux de Persefone, ça prend normalement très longtemps [Rires]. Il est très perfectionniste et exigeant pour l’écriture.
C’est vrai que vos morceaux sont complexes, souvent longs, et donc cela doit prendre du temps de les élaborer.
Oui, et dès qu’une partie semble un peu simple, on en discute beaucoup entre nous, et on se pose des questions, est-ce que c’est bien ce qu’on veut faire, est-ce que ça va bien fonctionner en live, est-ce que ça ne ressemble pas trop au son d’autres groupes, etc. Effectivement, là pour cet EP on a beaucoup changé notre façon de faire. D’autant plus que là on savait qu’on allait enregistrer en Suède à l'été 2023.
Vous êtes allés à Stockholm enregistrer l’EP avec le producteur David Castillo, avec qui vous aviez déjà collaboré, et il faut dire que le boulot de production est phénoménal.
Oui, sur ce plan-là on est aussi sortis de notre zone de confort, car c’était la première fois qu’on enregistrait en-dehors de l’Andorre. Auparavant, on avait toujours enregistré nos disques ici à cause du budget, mais on n’avait ni le matériel ni les connaissances pour faire ça proprement. David avait fait le mix de metanoia et nous nous sommes vraiment très bien entendus avec lui. On s’est dit qu’il fallait vraiment faire appel à lui en tant que producteur. Pour moi, c’est un des meilleurs producteurs de metal aujourd’hui, et c’est vraiment incroyable de le compter comme ami ! [Rires] Il fait des mega productions avec des gros groupes qui ont beaucoup de succès, et quand on réfléchit, c’est fou de se dire qu’on se retrouve avec lui à rigoler et à bosser sur notre disque, à essayer de casser cette barrière !
Déjà, je trouve que le son de batterie est incroyable sur l’EP… ça a vraiment fait la différence d’enregistrer pour la première fois dans un studio. Sur tous les albums précédents, la batterie avait été enregistrée dans notre minuscule local de répétition, sans le matériel adéquat, et surtout on enregistrait super tard le soir ou la nuit parce qu’on arrivait après notre journée de travail à partir de 21h ! On dormait très peu, ça n’était vraiment pas sain comme rythme, et surtout ça prenait vraiment beaucoup de temps pour réussir à enregistrer plusieurs morceaux. Là, on s’est retrouvés en studio, avec un super professionnel qui s’occupe de l’enregistrement, nous donne son avis sur certaines choses, partage son savoir, et ça a tout changé pour nous.
Quels morceaux du nouvel EP es-tu particulièrement impatient de jouer sur scène ?
Je pense que les deux morceaux "One Word" et "The Equable" représentent bien le renouveau de Persefone. Ce sont des morceaux qui respirent beaucoup plus, il y a des gros refrains, et on a essayé d’y introduire des éléments nouveaux. Ça sonne grand et mélodique, mais on a essayé de retirer les éléments orchestraux qui apparaissaient sur les albums précédents. Le morceau "Lingua Ignota", c’est celui qui ressemble le plus à du Persefone : un morceau plus long, avec beaucoup de changements, des passages rapides, un solo de guitare, etc. Mais les autres titres de cet EP sont assez différents de ça. Comme je te le disais, sur un EP on peut se permettre des expérimentations comme ça, plus que sur un album je trouve.
J’aime beaucoup aussi "Abyssal Communication", le dernier morceau, qui est vraiment à part, pas vraiment metal, avec notamment le chant de Dani qui fait que ça ne sonne presque pas comme du Persefone, même si on reconnaît quand même notre son… je ne sais vraiment pas comment ce morceau va être accueilli, mais en tout cas je l’aime beaucoup. Et personnellement je pense qu’il va rendre super bien en live.
L’idée pour la tournée qui approche, c’est de jouer Lingua Ignota, Part 1 en entier sur la première partie, puis ensuite jouer quelques-uns de nos morceaux plus anciens. J’aurais aimé que l’EP sorte un petit peu plus tôt, et pas juste 8 jours avant la première date de tournée. Je trouve ça un peu risqué, parce que ça va faire très juste pour que notre public écoute les chansons plusieurs fois et soit touché par la musique au point d’en avoir la chair de poule, enfin je ne sais pas … comme je te disais tout à l’heure, il y a pas mal de stress en ce moment !
Mais ceux qui ne connaissent pas l’EP vont pouvoir le découvrir sur scène, d’autant plus que vous le jouez en entier et que ces morceaux, comme tu le disais, sont vraiment taillés pour le live.
C’est vrai que c’est important. C’est la première fois qu’on peut jouer en concert tous les morceaux d’un nouveau disque. Pour la tournée metanoia, on n’a joué que deux morceaux de cet album puisqu’on n’était pas les têtes d’affiche et notre set était donc très court, en première partie de Obscura puis Ne Obliviscaris.
Quelques semaines après cette tournée européenne, il y a une date bien particulière qui est prévue pour vous : Persefone se produira en Andorre, à l’Auditorium National accompagné de l’Orchestre National pour une soirée spéciale en mai. Qu’est-ce que ça vous fait de jouer, enfin, sur scène dans votre pays, et dans un cadre aussi prestigieux ?
Ça fait des années qu’on en parle, nous et les personnes de l’administration d’Andorre et du ministère de la Culture. L’Andorre, c’est si petit que tout le monde se connaît, et c’est assez facile d’organiser une réunion avec la ministre de la culture, par exemple. On en parlait depuis longtemps, mais jusque là les contraintes de calendrier n’avaient jamais permis de le faire. Donc ça y est, en mai, on fera ce concert qui va être très spécial. Comme c’est le genre d’événement qui n’arrive qu’une fois dans une vie, on va en faire un DVD, après je ne sais pas si on va faire un album live ou juste des vidéos, il faut encore qu’on en discute. Toutes les places se sont vendues très vite. Il y aura des amis et de la famille, bien sûr, mais aussi des membres de notre communauté, des gens qui nous soutiennent sur Patreon, qui vont venir de France, d’Allemagne ou des Pays-Bas. Pour l’instant on a choisi la setlist et ce qu’on voulait faire de spécial, mais on n’a pas encore vraiment commencé à travailler avec l’orchestre ou le chef d’orchestre, parce qu’on s’apprête à partir en tournée ces jours-ci, donc on s’en occupera à notre retour. Et on a eu aussi des propositions pour aller jouer au Japon et en Chine à peine quelques jours après ce concert, on est en train de voir si ça va être faisable, mais c’est un peu compliqué.
Vous êtes très demandés, c’est vraiment super !
Oui, c’est sûr. Si je ne devais pas travailler à côté, je prendrais tout, bien sûr ! [Rires]
Interview réalisée via Zoom le 23 janvier 2024.
L'EP Lingua Ignata, Part 1, est sorti ce vendredi 2 février 2024 via Napalm Records.
Persefone sera en concert à Paris le 13 février prochain, à Nantes le 14, Toulouse le 17, Lyon le 18, puis à Lille le 9 mars. Toutes les infos ici.