Rogue Male – Anatomie d’une chute

Souvenez-vous, en 1985 un groupe au look de Mad Max sous acide et au heavy metal (sur)puissant faisait une apparition fracassante sur la scène metal internationale avec son premier album First Visit et une réputation des plus sulfureuses. Ce groupe avait pour nom Rogue Male. Emmené par le terrible Jim Lyttle, Rogue Male avait toutes les cartes en main pour tout casser sur son passage et devait être the next big thing du metal selon tous les medias de l'époque (Enfer Magazine, Hard Rock Magazine, Kerrang!, Les Enfants Du Rock, etc.). Or, après Animal Man en 1986, le groupe va splitter pour d'obscures raisons.  Presque 40 ans plus tard, Jim Lyttle tente encore de remettre Rogue Male sur pied... 

1985 : Première visite

1985. La scène metal internationale est en pleine effervescence avec les confirmations de la nouvelle vague des valeurs montantes (Metallica, Iron Maiden, W.A.S.P., Mötley Crüe,…), la perte de vitesse des dinosaures qui traînent la patte (AC/DC, Black Sabbath, …) et l'arrivée de plein de nouveaux groupes qui auront plus ou moins de succès. Parmi eux : Rogue Male. Emmené par le terrible Jim Lyttle (l'ex-frontman du groupe de punk, Pretty Boy Floyd And The Gems), le combo distille un heavy metal surpuissant teinté d'une touche d'un punk qui va faire des ravages...

Qui plus est, Rogue Male a décidé d'asseoir sa réputation de groupe en vogue avec un visuel de bikers inspiré de l'univers de Mad Max. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce parti pris artistique va faire école, notamment du côté de Raven et même chez Judas Priest.

Lorsque le premier album du groupe, First Visit, s'échoue dans les bacs en 1985 via Music For Nations, il a toutes les cartes en main pour attirer le chaland. En effet, dès l'opener « Crazy Motorcycle », Rogue Male tape fort avec un heavy metal rentre dedans à la sauce Motörhead (l'ombre d'« Ace Of Spade » ou « Overkill » n'est jamais loin) avec un soupçon de Judas Priest période 1978, le tout saupoudré d'un esprit punk incisif non dissimulé. Une redoutable alchimie, s'il en est...

Mais Rogue Male ne va pas se contenter de marcher dans les traces de ses glorieux aînés sans réfléchir. Au contraire, le groupe met un point d'honneur à développer son identité tout au long des morceaux et ce, avec beaucoup d'aplomb. À partir de là, il n'est donc pas étonnant d'écouter des titres relativement longs dans lesquels Jim Lyttle et sa bande expérimentent des approches artistiques intéressantes notamment dans le son synthétique des grattes ou dans les structures bien ficelées (« All Over You », « First Visit », « Devastation »...).

Sans jamais baisser de rythme ou de se perdre dans des temps morts inutiles, les britanniques enchaînent les brûlots avec une énergie live certes maîtrisée, mais toujours sur le fil du rasoir. C'est d'ailleurs cet aspect (faussement) mal canalisé, qui fait mouche dans la musique de Rogue Male, dans la mesure où on sent que Jim Lyttle et sa bande peuvent faire sauter la baraque à tout moment (« All Over You », « On The Line », ...).

De plus, le groupe a la bonne idée d'ancrer ses textes dans la réalité (« Unemployment ») plutôt que de partir dans tous les sens. Et même si le visuel ne colle pas avec le discours du groupe, il faut bien avouer qu'en 1985, ça marche plutôt bien et ça permet par là-même à Rogue Male de se tailler une excellente réputation sur scène.

En fin de compte, même si la production a beaucoup vieilli, First Visit reste un excellent album nerveux à souhait et ce,  pas loin de quarante ans après sa sortie. Ce disque était une véritable carte de visite de luxe pour Rogue Male. Et ça, Lemmy l'avait bien compris puisque le frontman  a invité Jim Lyttle et les siens à faire la première partie de Motörhead lors de la tournée du dixième anniversaire du groupe. À cette époque, les médias spécialisés s'intéressent vite à ces Britanniques hors normes et placent d'ores et déjà Rogue Male comme the next big thing du heavy metal. Le début d'une longue aventure ? Pas si sûr...

Tracklist :

1. Crazy Motorcycle
2. All Over You
3. First Visit
4. Get Off My Back
5. Dressed Incognito
6. Unemployment
7. On The Line
8. Devastation
9. Look Out

1986 : Les animaux sont lâchés

Un an après First Visit qui lui a ouvert de nombreuses portes (dont celles d'Elektra Records), Rogue Male est en pleine ascension grâce à une couverture médiatique sans précédent (radio, TV, presse, ...) qui présente le groupe comme le renouveau du heavy metal. Il n'en fallait pas moins pour que Music For Nations et Elektra mettent une grosse pression sur les Britanniques afin pour sortir au plus vite le successeur de First Visit afin de battre le fer tant qu'il est chaud. Malheureusement, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation...

Mine de rien, en cette année 1986, le hard rock tend à se transformer avec l'arrivée de différents genres musicaux comme le glam, le thrash ou bien le death metal si bien que cette nouvelle vague tend à laisser sur le carreau les styles plus expérimentaux comme celui proposé par Rogue Male. À cette époque les Britanniques ne savent pas vraiment sur quel pied danser et s'ils doivent développer un peu plus avant les incartades de First Visit qui laissaient entrevoir ici et là des touches synthétiques dans le son des grattes. La décision est donc prise de faire d'Animal Man, un disque aux accents cyber futuristes. Et ce qui apparaît aujourd'hui comme quelque chose de kitch était loin d'être le cas en 1986. C'est d'ailleurs peut-être l'une de raisons qui explique que le public a boudé cet album...

Pourtant, avec des morceaux à l'instar de « Progress » (et ses sonorité électroniques), le groupe propose toujours une musique heavy originale et rugueuse. Et même si l'esprit punk est plus en retrait que sur First Visit, le groupe possède toujours un potentiel ra(va)geur du plus bel effet (« L.U.S.T. », « The Real Me » ou « Belfast »). Malheureusement, le côté expérimental de la musique de Rogue Male prend parfois le pas sur les brûlots que sont « You're On Fire » ou « Take No Shit » si bien que l'ensemble s'avère assez décousu sans véritable direction artistique.

Mais avec du recul, même s'il s'avère qu'Animal Man a certes été accouché trop prématurément à cause de la pression du label, le bébé est loin d'être anémique. En effet, le disque est bourré de compositions audacieuses au travers de structures et des rythmes différents (« L.U.S.T. » ou « Animal Man ») qui témoignent d'un véritable savoir-faire de la part des Britanniques. Qui plus est, les textes abordent les problématiques sociales (chômage, exclusion, drogue, ...), mais là où le bat blesse c'est que la production de cet album n'est pas cohérente. En effet, on apprendra plus tard que les labels MFN et Elektra ont exigé que les bandes passent dans les mains de plusieurs producteurs et de mixeurs, contre l'avis du groupe. Et c'est le manager de Rogue Male qui, dans le dos de Jim Lyttle et de sa bande a fait droit à ces demandes. Le résultats est catastrophique : la production est hétérogène au possible et ne fait pas honneur à la qualité des composition.

C'est vraiment dommage car Animal Man reste un album d'autant plus intéressant qu'il est très ouvert musicalement, notamment grâce à un chant carrément habité qui  se fait moins rocailleux que sur First Visit mais tout aussi acéré (« Belfast », le punkisant « Job Centre », …). Mais face à la vague du hard rock classique, du glam, du thrash, du death et même du hard FM, Animal Mal ne parvient pas à accrocher son public si bien que MFN et Elektra lâcheront vite leur poulain. Tournées sans promo, mauvaises ventes et dissensions entre le groupe et son manager auront raison d'un Rogue Male qui était pourtant bien parti. Les Britanniques avaient toutes les cartes en main pour réaliser un bon coup mais l'empressement des labels à sortir le successeur de First Visit en faisant des entourloupes a plombé toutes leurs chances... La chute est rude.

Tracklist :

1. Progress
2. L.u.s.t.
3. Take No Shit
4. You’re On Fire
5. The Real Me
6. Animal Man
7. Belfast
8. Job Centre
9. Low Rider
10. The Passing

1986 : Voir Belfast et mourir...

Fin 1986, la fête est finie pour Rogue Male. Après avoir été encensé par tous les médias du monde dès First Visit puis avoir été cloué au pilori suite à Animal Man, le groupe est à l'agonie. Empêtré dans une longue bataille judiciaire contre son manager, la formation britanniques a tous ses avoirs et ses comptes bancaires gelés. Et contre toute attente, un EP intitulé Belfast voit le jour et se pose comme un adieu aux fans après seulement une petite année de montée en puissance. Avec  seulement trois titres issus d'Animal Man ainsi qu'une reprise, ce maxi essaye de remettre les pendules à l'heure tant bien que mal.

Ainsi, c'est « Belfast » qui ouvre le bal avec un son électronique et une production très froide (on apprendra plus tard que Rogue Male n'a pas été consulté pour le mixage) qui démontre que Jim Lyttle et sa bande sont toujours aussi énervé au travers de ce titre accrocheur et hautement cynique (« Bellfast is a wonderful city »). Encore une fois, les textes sont ancrés dans les réalités sociales et même l'artwork du maxi est un symbole à lui seul…

Dans la même optique, « Take No Shit » se pose comme l'un des hymnes les plus puissants de Rogue Male. Ici encore, Jim Lyttle et les siens démontre une étonnante vitalité et une bonne dose d'énergie. On sent que le groupe était à cette époque un véritable rouleau compresseur qui écrasait tout sur son passage. À ce titre, le morceau « Rough Tough (Pretty Too) », une reprise de 1978 de Pretty Boy Floyd And The Gems, le premier groupe de Jim. Et même si le titre n'a pas la même saveur que les autres compositions, les racines punks sont omniprésentes et semblent boucler la boucle...

Bref, en seulement trois titres, Belfast résume parfaitement ce qu'est Rogue Male : un groupe sans concession, expérimental qui n'a pas peur d'aller explorer des sonorités nouvelles tout en gardant un côté punk rugueux. Ce maxi fait donc figure d'un adieu. En effet, en 1987, le groupe splittera officiellement...

Tracklist :

1. Belfast
2. Rough Tough (Pretty Too)
3. Take No Shit

2010 : Cloué au sol !

On ne va pas se mentir : 24 ans après son split, plus personne ne croyait au retour de Rogue Male. Et contre toute attente, Jim Lyttle a annoncé en 2009/2010 la remise sur les rails de son groupe avec un nouveau line up et un nouvel album, intitulé Nail It. Autant dire que même si ce bon vieux Jim a rangé ses costumes futuristes au vestiaire, l’engouement chez les fans de la première heure est reparti de plus belle !

Bim ! Dès le costaud « Cold Blooded Man », Rogue Male semble revenir à la belle époque de First Visit avec la féroce volonté d’éviter soigneusement l’écueil d’Animal Man et ses expérimentations électro. Jim Lyttle a décidé de se concentrer sur un heavy rock à l’ancienne qui tape là où ça fait mal (« Dangerzone », « Forever Wild ») avec notamment Bernie Torme (Ozzy Osbourne) à la gratte. Du côté du chant, l’increvable Jim possède un toujours un timbre rocailleux mais l’homme se veut plus posé dans les compositions. L’ensemble colle parfaitement aux années 2010, avec un son actuel.

Malgré tout, au fil des titres, il est assez difficile de retrouver la fougue d’antan si prégnante chez Rogue Male. En effet, les compositions sont bien construites, les refrains sont aussi présents mais il manque cette petite étincelle punk pour mettre le feu aux poudres. On a l’impression que Nail It est plus l’album solo de Jim Lyttle que le fruit de l’écriture d’un groupe (la ballade « Time », notamment). Et même si les textes sont toujours aussi finement ciselés, Nail It reste bien trop sage pour rallumer la flamme de Rogue Male.

Au final, il faut bien avouer que Nail It est plutôt bien ficelé avec des titres percutants mais on n’y retrouve pas tous les ingrédients qui ont fait le succès du Rogue Male des années 1980. D’ailleurs, malgré quelques concerts ici et là et l’annonce d’un EP qui ne verra finalement jamais le jour, le groupe ne donnera plus signe de vie à compter de 2011/2012... La résurrection tant attendue n’a pas eu lieu !

Tracklist :

1. Cold Blooded Man
2. Street Credibility
3. Up In Smoke
4. Stars n´stripes
5. Time
6. Never
7. Meteorite
8. Forever Wild
9. Dangerzone
10. Bless My Soul

2021 : Dernière visite

2022. Après le retour en demi-teinte en 2009/2010, Jim Lyttle s’est octroyée une pause d’environ dix ans avant de re-revenir au sein de la sphère du heavy metal en réactivant encore une fois Rogue Male. Et cette fois-ci, conscient que Nail It était plus un album solo qu’autre chose, Jim a fait appel au guitariste originel John Fraser Binnie pour réactiver son groupe. Et cette fois encore, le retour de Rogue Male s’accompagne d’un album : Hardcase sorti en 2023.

Afin de reconquérir les fans d’antan, le groupe a décidé de mettre en boîte des vieux titres issus de sessions d’enregistrements et de les remasteriser. De fait, on retrouve donc tous les anciens musiciens de Rogue Male dans ce nouvel album (les batteurs Steve Kinglsey et Danny Fury, notamment) qui prend la forme d’une délicieuse madeleine de Proust. En effet, ces titres inédits qui ne figurent ni sur First Visit, ni sur Animal Man nous replongent au milieu des années 1980 lorsque Rogue Male avait le vent en poupe.

Ainsi, c’est au travers de brûlots comme « Short Shap Shock », « Take Over », Forsaken Youth » ou « Got It All » qu’on se replonge avec délectation dans l’univers d’un Rogue Male alors en pleine ascension. Le heavy metal à la sauce punk du groupe fait mouche à tous les coups et démontrer qu’à cette époque Jim Lyttle et les siens avaient de quoi faire la différence avec la concurrence (« Divide & Conquer »).

Évidemment, malgré le mastering, le son laisse à désirer (on est dans des sessions d’enregistrement / répètes) mais on sent la puissance et la fougue du groupe. Petite cerise sur le gâteau, on a droit au morceau « Liar » écrit en 2012 qui est d’une redoutable efficacité !

En définitive, même si Rogue Male n’est plus en mesure de tourner pour cause d’une manque de trésorerie flagrant, l’album Hardcase a au moins le mérite d’avoir accompagné le retour de Jim Lyttle et John Fraser Binnie avec des morceaux dignes de ce nom. Rogue Male est (peut-être) mort, vive Rogue Male !

Tracklist :

1. Short Sharp Shock
2. Divide & Conquer
3. Take Over
4. Forsaken Youth
5. Motorbikin’
6. Rawhide
7. Got It All
8. In the Dark
9. Fit to Drop
10. Liar



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