Grand Paris Sludge 2024 à L’Empreinte – Jour 1 (26.04.24)

Le festival francilien consacré aux "musiques nobles" et aux sonorités saturées reprend la formule gagnante engagée lors de sa première édition. Le rendez-vous des amateurs de stoner, doom, sludge, et de post en tous genres est de nouveau fixé à Savigny-le-Temple, pour deux jours de lourdeur et de puissance concoctés par Garmonbozia et l'Empreinte. Retour sur un vendredi soir pas comme les autres du côté du 77, plein de gros riffs et d'amour. 

Apostle Of Solitude - 19h20

Comme l'an dernier, l'organisation est réglée comme du papier à musique pour la dizaine de concerts prévus sur ces deux jours du Grand Paris Sludge, répartis dans les deux salles de l’Empreinte. À 19h20 précises, le quatuor américain de doom Apostle of Solitude investit donc la grande scène, dont le fond est orné de l'artwork du festival.

Ce passage à Savigny marque le coup d’envoi de la tournée des vingt ans pour le groupe natif d’Indianapolis, et d’emblée l’expérience parle. Le son est excellent dans la salle, les riffs lents et puissants s’enchaînent, et les têtes bougent assez vite dans la fosse, encore clairsemée mais qui va se remplir bien vite. La setlist du soir est tirée des trois derniers opus du groupe, chacun étant représenté par deux titres, de Of Woe and Wounds (2014) à Until the Darkness Goes (2021) en passant par l’excellent From Gold to Ash sorti en 2018.

Quelques salves de fumée s’élèvent, et les quatre musiciens rivalisent de virtuosité, entre riffs hypnotiques, ralentissements meurtriers et soli bien pensés signés alternativement des deux guitaristes Chuck Brown et Steve Janiak, dont les deux voix se mêlent en harmonie pour le meilleur effet. Sur des morceaux lents ou plus rythmés, par des riffs féroces mêlés à des mélodies réfléchies, Apostle of Solitude dégage une force tranquille et délivre un set terriblement efficace, sombre mais groovy, entame idéale pour les deux jours de concerts qui attendent les festivaliers de cette édition du Grand Paris Sludge.

Setlist Apostle of Solitude :

Keeping the Lighthouse
Ruination Be Thy Name
Deeper Than the Oceans
Blackest of Times
When the Darkness Comes
This Mania

Clegane - 20h05 (Club)

Le trio parisien Clegane investit la petite scène du Club, très vite plein mais heureusement le temps est clément et les baies vitrées sont ouvertes sur la terrasse en bordure d’étang, parfait décor pour un weekend consacré aux sonorités plus marécageuses. Le groupe se lance dans un doom puissant, la basse et la batterie tapent fort et l’ensemble vibre beaucoup. Un peu trop à notre goût près de la scène, mais parfaitement du fond de la salle.

Les cris du guitariste KooTôh portent une mélancolie et un grain déchirant qui tend vers le grunge, ce qui se ressent également dans les passages au chant clair et torturé. À la quatre-cordes, Laurent assène des lignes punitives tout en se chargeant de growls profonds mais un peu moins audibles que le chant de son comparse. Au menu ce soir, des compositions inédites et des titres issus des quatre albums du groupe – les derniers en date étant White of the Eye sorti en 2022, et Twin-Monster Split, un split avec le groupe Fatima – qui nous enchantait l’an dernier sur cette même petite scène de l’Empreinte lors de la première édition du Grand Paris Sludge.

Boucles lentes, hypnotiques, et ralentissements terribles viennent ponctuer le set. Clegane joue la carte de l’équilibre dans ses compositions, entre des passages puissants et enragés, tutoyant le hardcore, et des moments plus doux, mais sinistres et plutôt moroses. Le public du Club semble très réceptif et ovationne le groupe qui ne manque pas de remercier l’orga et de saluer les autres formations. Que d’amour et de bienveillance dans ce Grand Paris Sludge !

Setlist Clegane :

Abandoned Temple Fate
Wild Pigs
Cara Muerte
Mutt
The War You Never Fail

The Machine - 20h50 

Sur la scène, des néons viennent sublimer le lightshow et planter une ambiance cosmique, collant parfaitement au space rock intense proposé par la formation néerlandaise. The Machine décrit son style comme de la pop dans un déguisement de fuzz. Et du fuzz, il y en a, beaucoup. Le riffing alambiqué et la rythmique énergique de Davy Boogaard accompagnent idéalement le chant doux du guitariste David Eering, à moins que ce ne soit l’inverse. La puissance n’est pas en reste, les amplis vrombissent et les explosions de puissance donnent du relief au set, des moments franchement psychédéliques laissent place à des rythmiques plus saccadées. À la basse, Chris Both, dernier arrivé dans la bande, semble parfaitement à l’aise et rivalise de dynamisme avec son collègue derrière les fûts.

Le trio se concentre sur ses trois derniers albums, avec deux morceaux issus du récent Wave Cannon en ouverture, et va même jusqu’à présenter un morceau inédit à l’introduction complètement cosmique, "Evolver". La virtuosité des musiciens et la puissance de l’ensemble sont saisissantes, le son est encore excellent et le public ne s’y trompe pas : les têtes s’agitent autant que les corps, surtout quand le trio se lance dans un final très groovy, porté par de superbes lignes de basse ("Crack You", "Gamma") et un morceau de conclusion, "Awe", où les riffs monstrueux viennent achever le public du Grand Paris Sludge. Les trois hommes s’amusent une dernière fois, plantant les manches des guitares sur les enceintes et faisant résonner le fuzz jusqu’à l’ultime seconde d’un set captivant qui a assurément marqué les esprits.

Setlist The Machine :

Reversion
Wave Cannon
Evolver
Paradox
Crack You
Gamma
Awe

Witchthroat Serpent - 21h40 (Club)

À peine quelques minutes de battement entre la fin du set de The Machine et le lancement de celui du combo français qui se prépare sur la scène du Club en faisant quelques échauffements et exercices de respiration – on n’est jamais trop prudent. Le public du Grand Paris Sludge semble déjà sentir que les muscles vont être sollicités et accueille bruyamment le quatuor stoner/doom originaire de Toulouse.

Ce soir, Witchthroat Serpent présente essentiellement des morceaux issus de son dernier (excellent) opus, Trove of Oddities at the Devil’s Driveway, compilation de tableaux sombres et mystérieux empruntant à l’imaginaire gothique, à l’horreur et au fantastique d’un ancien temps. Horrifique et sombre dans le propos, mais lente et plombée dans l’exécution, la musique plonge le club dans les affres d’un doom puissant. Et pourtant, sur scène le sympathique quatuor se révèle plutôt énergique, et visiblement ravi d’être là.

À coups de gros riffs délivré par les deux guitaristes et le bassiste et d’une rythmique punitive signée Niko, le groupe délivre un son gras et fort, réminiscence du proto metal. Le chant, clair mais versant dans la distorsion, est assuré par le guitariste Frederik. Au début et à la fin des titres ils font vibrer les guitares et la basse. La quatre-cordes de l’énergique Lo Klav, en position centrale, est malmenée, claquée, heurtée à coups de poings, et son propriétaire fait clairement le show, enchaînant des poses inspirées. Les trois grands gaillards headbanguent de concert à l’avant de la scène, entreprise qui se révèle téméraire vu l’étroitesse de la micro-scène. Et ça headbangue sévère du côté du public compact et réactif qui réserve une ovation méritée au groupe qui a su ensorceler l’Empreinte avec un set lourd et efficace.

Setlist Witchthroat Serpent :

Multi-Dimensional Marvelous Throne
Cyanide Laced Flavor
The House That Dripped Blood
The Fall of Whitewood
Nosferatu’s Mastery
Yellow Nacre
The Gorgon
Mountain Temple in Bleakness

Eyehategod - 22h30

Cette soirée marque le coup d’envoi du Turn Troubled Tables Euro Tour pour les pionniers du sludge metal de New Orleans. Aaron Hill, qui a repris le poste derrière les fûts en 2013 après le décès de Joey LaCaze, arrive en premier, rapidement suivi du bassiste Gary Mader et du guitariste et membre fondateur Jimmy Bower (également batteur du côté de chez Down) qui gratifie l’auditoire de quelques doigts d’honneur, sa marque de fabrique. Les trois compères entament un bœuf sauvage en introduction, le temps pour le vocaliste Mike Williams d’arriver, titubant (déjà) sur scène, et de saluer le public du Grand Paris Sludge par des cris quasiment inaudibles ("Levez la main si vous pensez qu’on est à Paris ici !"). Les bouteilles d’alcool sont bien alignées derrière le frontman qui arbore une coupe de cheveux bicolore digne de Cruella d’Enfer – sous produits – et peine à raccrocher son micro sur le pied. Pas de doute : toutes les conditions sont réunies pour un bon set de Eyehategod, chaotique à souhait.

Et du chaos il va en y avoir, à commencer par le son : les réglages ne sont pas au point, les larsens percent la salle, et le son est fort, très fort, bourdonnant furieusement et bien crasseux. Fini le 77, le public se retrouve transporté dans les tréfonds du bayou. L’organisation se révèle assez décousue également : la setlist semble improvisée, et entre chaque morceau les musiciens se concertent rapidement pour savoir sur quel morceau enchaîner. Mike meuble les moments de silence par des interventions plus ou moins cohérentes, affirmant par exemple qu'il déteste le mot sludge et qualifie leur musique de "fucking rock'n'roll".

Le vocaliste crie, titube, éructe et chancelle dès les premiers morceaux, brûlots issu de Dopesick (1996), "Dixie Whiskey" et "Lack of Almost Everything", se montre incapable de démêler son fil de micro, et on en vient à se demander comment il réussit à tenir debout dans son état. Et pourtant, presque curieusement, il tient super bien les titres, et le groupe assure. L’attitude des musiciens fait partie de l’ambiance et les riffs gras et le mix bien sale donnent tout son charme au set. Le public ne s’y trompe pas, les pogos se lancent et les gobelets fusent. Des relents d’eaux usées s’invitent même dans la salle, causés par un problème de canalisation. On s’y croirait !

Avec une setlist donnant la part belle aux albums iconiques Dopesick ou Eyehategod (2014), le concert avance vite, avec très peu de pauses entre les morceaux malgré le fait que le groupe, selon les dires de Mike, hilare, « n’a aucune setlist, et de toute façon on n’est pas Megadeth, putain, on va se planter dans les paroles, oublier des notes, ou jouer des lignes de basse merdique... ». S’il le dit ... Quelques slammeurs s’élancent courageusement sur "Masters of Legalised Confusion" ou le plus récent "High Risk Trigger" (l’un des deux seuls morceaux du récent A History of Nomadic Behavior joué ce soir), et c’est la bagarre dans la fosse sur les accélérations plus hardcore de "Medicine Noose" ou surtout "Agitation! Propaganda!". L’addiction, la transgression, le suicide, les thématiques joyeuses s’enchaînent, avec Jimmy Bower comme chef d’orchestre du set, enchaînant les riffs pachydermiques et autres ralentissements meurtriers, tandis que Mike pousse des cris sauvages et déchirants pour un effet décousu mais furieusement efficace.

De l’irrévérence, le groupe n’en manque pas : le frontman et le guitariste ont le lever de majeur facile, certes, dirigent certains gestes obscènes vers le public, jurent et crachent sur la scène. Mais on constate aussi que le chanteur se confond en remerciements dans ses adresses au public (en plus de quelques incitations à l’alcoolisme, mais on ne se refait pas), et Jimmy Bower va même jusqu’à faire des cœurs avec ses doigts pour remercier les fans enthousiastes. Tout cet amour éclate au grand jour lorsqu’une fan offre à Mike des petits cadeaux pour son anniversaire : Jimmy demande au public de chanter "Happy Birthday" et gratifie son compère d’un « We love you old boy! ». C’est le gros sludge de la Nouvelle Orleans, c'est la guerre dans le pit pendant les morceaux, c'est le pays des bisounours entre les titres, c’est Eyehategod version 2024.

On en ressort un peu groggy, fatigué - dans le même état, probablement, que les Américains. Il ne reste plus aux festivaliers du Grand Paris Sludge qu’à galérer un peu, ou covoiturer (absence de RER oblige) pour rentrer se reposer un peu avant le deuxième round qui s’annonce tout aussi épique.

Setlist EyeHateGod : 

Dixie Whiskey
Lack of Almost Everything
Worthless Rescue
Masters of Legalised Confusion
Jack Ass in the Will Of God
Blank / Shoplift
High Risk Trigger
Sister Fucker Part I
Medicine Noose
Agitation ! Propaganda !
Revelation / Revolution
New Orleans is the New Vietnam
Methamphetamine
Run It Into the Ground
Every Thing, Every Day

Photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe. 



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