Grand Paris Sludge 2024 à l’Empreinte – Jour 2 (27.04.24)

Deuxième soirée à l'Empreinte pour célébrer le sludge et les musiques nobles. Preuve de la diversité de la scène, les sonorités du soir tranchent avec celles, sombres et moins propres, de la veille. Même si Savigny reste le temple du riff, ce samedi est placé sous le signe de la nuance, de l'instrumental et du planant. 

One Shot - 19h20

En l’absence de son second clavier Bruno Ruder, le groupe de rock prog / jazz qui s'inscrit dans le courant zeuhl (l'école de Magma) est un trio ce soir, situation inédite – et stressante d’après les dires du maestro Philippe Bussonnet, bassiste virtuose ayant d'ailleurs officié dans Magma plusieurs années. Mais à vrai dire, ce stress ne se voit pas.

À ses pieds, un assortiment de pédales wah-wah assez impressionnant pour une basse, et très vite le déferlement de notes et de technique remplit la salle. Complété à merveille par Emmanuel Borghi aux claviers et Daniel Jeand’Heur à la batterie, le trio propose des compositions très jazzy, progressives, nuancées et puissantes à la fois, avec une facilité déconcertante. La prestation, bluffante, attire pas mal de monde dans la salle. Amateurs et curieux semblent en admiration.

La musique de One Shot se joue et s’écoute les yeux fermés. Sans se regarder, les musiciens enchaînent les rythmiques complexes et déconstruites, entre ambiances feutrées, montées en puissance et accélérations franches. Des boucles hypnotiques donnent à certains passages des teintes space rock pour un effet cosmique, le tout étant servi par un son aux petits oignons – comme pendant l’ensemble du weekend d’ailleurs.

Des soli de basse et clavier s’enchaînent, les doigts virevoltent, des sonorités étonnantes surgissent, la batterie, très bien mise en valeur, répond. Avec trois morceaux, l’album Ewaz Vader (2009) est largement représenté ce soir. Le groupe ajoute à son set un hommage à Metallica période Kill’Em All avec "Anesthesia", solo de Cliff Burton, l’occasion d’introduire de la lourdeur et de la distorsion, de bons gros riffs, de quoi agiter les têtes et se dire que oui, on est parfaitement dans le thème du weekend – assez ironique compte-tenu du fait que le groupe qui ouvre ce Grand Paris Sludge joue sans guitare.

Quelle claque musicale, très tôt dans la soirée ! Dans un genre pourtant plutôt singulier et confidentiel, One Shot a su faire l’unanimité à l’Empreinte en livrant une introduction de très haut vol pour cette seconde journée, définitivement placée sous le signe de la subtilité et de la nuance.

Witchorious - 20h05 (Club)

Place à du heavy doom made in 77 dans la petite salle du club, avec le trio Witchorious qui vient de sortir son très bon premier album éponyme. Le vrombissement de la basse de Lucie et les riffs lorgnant du côté du proto metal enveloppent la salle dans une ambiance délicieusement vintage. La lourdeur des compositions, et l’intensité des mélodies est bien servie par un mix excellent, qui met également en valeur le chant, des lignes claires assurées successivement par Lucie et Antoine (guitare) aux hurlements déchirants ou growls menaçants de ce dernier. Portés par la rythmique implacable lancée par le cogneur en chef Paul, les deux complices se lancent dans des mouvements coordonnés, insufflant encore plus de dynamisme et d’efficacité au set.

Puissant mais élégant, groovy et plutôt sexy, le heavy version Witchorious ensorcèle, par l’expressivité des deux vocalistes et l’intensité des lignes de guitares. Lucie apporte le groove et la force rythmique, mais s’impose par la douceur, dans le chant clair des refrains ("Catharsis") ou prenant le lead seule, sans sa basse, sur "Eternal Night", terminant même avec quelques lignes de thérémine. La lourdeur reprend le dessus sur l’enchaînement final, de l’intrigant "The Witch" à la superbe "Blood", avant "Sanctuaire" et ses passages post metal menaçants qui finissent d’emporter l’adhésion du public. Arrive déjà l’heure de quitter le talentueux groupe, auteur d’une prestation sans faute ce soir.

Setlist Witchorious :

Watch Me Die
Monster
Catharsis
Eternal Night
The Witch
Blood
Sanctuaire

Cloakroom - 20h50 

L’ambiance est plantée dès notre arrivée dans la grande salle de l’Empreinte : un grand écran en fond de scène diffuse les images d’un ciel nuageux, annonçant les sonorités shoegaze aériennes du combo originaire de l’Indiana (il en faut un par jour apparemment). Les trois musiciens sont installés en avant de scène sur une seule et même ligne, le batteur Tim Remis en position centrale. Bonnets ou casquette vissés sur la tête, les trois hommes se lancent dans un set plein de nuances, de jeux subtils sur les rythmiques et les vibrations des cordes, pour un effet ambiant et planant par moments, contrastant avec des passages lourds et intenses.

Le chant extrêmement doux du guitariste Doyle Martin s’élève dans la salle, porté par les vibrations de son instrument et de la basse de Bobby Markos. Les deux musiciens s’amusent avec de nombreux effets à faire résonner le son des cordes et à tutoyer le space rock très psychédélique. Le doom n’est pas loin sur "Fear of Being Fixed", morceau extrêmement lent qui s’étire un peu, avant d'autres bien plus rythmés ("Ester Wind", "Story of the Egg"). Les passages planants s’entrechoquent avec des riffs puissants, grungy, et une grosse rythmique (des morceaux du kit de batterie s’effondrent sous l’impact sur "A Force at Play"). Le contraste est saisissant entre la douceur de "Doubts", feutrée et mélancolique, et les énormes riffs d’ouverture de "Dissembler". Les Américains signent ce soir un set solide et plein de nuances, qui aura eu en outre permis un moment bienvenu de relâchement du côté des cervicales des festivaliers.

Il faut toutefois noter que le problème de remontée d'eaux usées constaté la veille s'aggrave ce samedi, et une flaque à l'odeur suspecte se forme au centre de la fosse de la grande salle. Le public, compréhensif mais prudent, évite de s'y arrêter, laissant un espace béant libre au milieu de la fosse - à croire que le sort s'acharne pour faire de ce weekend sludge une expérience en odorama.

Setlist Cloakroom :

Lost Meaning
Fear of Being Fixed
Ester Wind
A Force at Play
The Pilot
Story of the Egg
Doubts
Dissembler

Maudits - 21h40 (Club)

Sur la petite scène du club, l’obscurité se fait rapidement à l’heure prévue pour le second concert instrumental de la soirée. Le trio français de doom / post metal, qui a déjà un premier album éponyme, un EP et un split avec Saar à son actif, s’apprête à sortir un nouvel opus, Précipice, le 17 mai prochain. Le running order du jour peut sembler familier au groupe, qui a déjà ouvert pour Monkey3 en novembre dernier à Paris. La foule se presse rapidement dans le petit club qui se retrouve vite plein à craquer, et le groupe entame son set sur des sonorités planantes, basé sur des boucles infinies et l’utilisation de samples qui créent une ambiance très cinématographique.

Des sonorités de cordes, passages aériens, se heurtent à des riffs lourds signés Olivier Dubuc (guitare) et Erwan Lombard (basse). Sans cesse sur le fil entre puissance organique des instruments joués sur scène, et incartades électro, trip hop ou orientalisantes, portées par les samples, Maudits embarque la salle dans son univers immersif. Les têtes bougent, les applaudissements fusent entre les (longs) titres. Le groove des lignes de basse se révèle irrésistible, la guitare hurle et varie, la batterie de Christophe Hiegel se montre parfois nerveuse avant de repartir du côté des pulsations digitales. Par une réalisation impeccable et un jeu tout en dentelle entre les attaques franches et des morceaux plus lents lorgnant vers le trip hop ("Perdu d’Avance" et son univers rappelant Massive Attack), Maudits a su séduire les festivaliers, qu’ils soient amateurs de doom, de prog, ou du côté post de la force.

Monkey3 - 22h30

Retour dans la grande salle où, malgré tous les efforts de l’équipe de l’Empreinte, et l’intervention d’un camion de pompage, la flaque d’eaux usées en milieu de fosse s’est encore agrandie. Qu’à cela ne tienne, les festivaliers remplissent la salle, soigneusement massés tout autour de la mare malodorante, pressés de retrouver la tête d’affiche du soir. Le combo suisse de prog / stoner, dont l’excellent septième album Welcome to the Machine est sorti en février dernier, bénéficie d’une solide réputation en live, et l’excitation est palpable dans la salle quand résonne – cela ne s’invente pas – la version de "Welcome to the Machine" des Pink Floyd en musique d’intro. Comme pour Cloakroom, un grand écran occupe le fond de scène, mais projette ici des images de science-fiction, cosmiques ou futuristes.

Les musiciens de Monkey3, placés en arc de cercle, arrivent plutôt détendus : le guitariste Boris fait ses réglages tout en trinquant avec le public du premier rang, tandis que dB (claviers) vapote tranquillement en prenant son poste. Les volutes qu’il expire disparaissent soudainement dans les fumées diffusées par les machines pour lancer "Ignition" la bien-nommée, première piste du dernier album. Cette montée en puissance magistrale embarque le public sans tarder dans sa rythmique enlevée et ses riffs marqués stoner. Les quatre musiciens, l’air inspiré, semblent vivre la musique et l’ambiance se fait plus cosmique, la scène se pare de bleu, pour l’épopée de 14 minutes "Icarus". Des moments très lourds alternent avec des passages plus ambiants, presque silencieux, avant de repartir dans une fièvre instrumentale d’une densité incroyable. Le lead de guitare est impressionnant, et le morceau se termine par un long solo psychédélique signé Boris. L’odeur pestilentielle contraste avec la beauté du moment – mais certains festivaliers bien malins ont utilisé les bouchons d’oreille en mousse pour se protéger des attaques olfactives et pouvoir profiter du set monstrueux de Monkey3 en immersion totale.

Le voyage dans l’espace se poursuit avec le floydien "Kali Yuga", alors que des images aquatiques et d’orages défilent à l’écran. À la fin du morceau, lorsqu’il ne reste plus que quelques notes, tout est suspendu, et une personne dans le public qui tente de parler se fait même reprendre sévèrement par ses voisins. Du fond de la fosse aux premiers rangs, les visages arborent de grands sourires et les têtes bougent lentement. Le son est toujours aussi bon, et chaque nuance du jeu des quatre musiciens ressort clairement. La batterie de Walter se distingue sur l’intro de l’excellent "Collapse", monument cosmique dépassant les 15 minutes marqué par des sonorités seventies, un solide groove porté par la basse, des accélérations redoutables, des accords lents à la David Gilmour, et un dialogue claviers / batterie impressionnant. La magie opère et nombreux sont les gens qui dansent dans la fosse.

La qualité du set force l’admiration, et on pourrait pardonner aisément au groupe une certaine froideur, mais il n’en est rien. Les musiciens semblent passer un bon moment et le font savoir, par des sourires, des gestes d’encouragement, et autres actes de générosité (Jalil vide sa bouteille de bière dans les gobelets des festivaliers les plus proches de lui). Les applaudissements et cris de joie s’élèvent entre les morceaux. L’incontournable "Through the Desert" est introduite par les échos des claviers que dB fait résonner comme le chant des baleines, avant les explosions d’énormes riffs et un final monstrueux sur lequel perce une trace de chant saturé enregistré. Tout le monde bouge et s’étonne que le set soit déjà terminé lorsque les musiciens saluent et remercient chaleureusement le public.

Setlist Monkey3 :

Ignition
Icarus
Kali Yuga
Collapse
Through the Desert

Il est déjà temps de quitter cette seconde édition du Grand Paris Sludge, concocté par l'Empreinte et Garmonbozia, qui nous aura encore fait vibrer deux jours durant avec un line-up de haut vol, un son excellent, et une ambiance des plus sympathiques. Rendez-vous l’année prochaine !

Crédit photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe. 



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