Qui ne connait pas le suédois Dan Swanö ? Ce génie multi-instrumentiste a touché à presque tous les styles metal ou prog sous de multiples groupes ou projets musicaux allant de Edge of Sanity à Nightingale en passant par Godsend, Bloodbath ou encore Star One. Il est aussi fort reconnu pour ses productions, mixages ou autres directions artistiques, aidant ainsi Katatonia ou Opeth à former leur son qui deviendra ensuite légendaire.
Après quelques années de silence musical, le scandinave nous revient avec son nouveau groupe-projet nommé Witherscape, monté avec l'illustre inconnu Ragnar Widerberg. Le moment choisi par La Grosse Radio pour converser avec l'homme, pour un entretien bavard et passionné...
Bonjour Dan, et merci de nous accorder cet entretien pour La Grosse Radio, c'est un plaisir !
Tout le plaisir est pour moi.
Witherscape est donc ton nouveau bébé, créé en collaboration avec Ragnar Widerberg, un multi-instrumentiste suédois. Pour ceux qui ne le connaissent pas, quel est son background musical et comment l'as-tu rencontré ?
Ragnar est avant tout une personne extraordinaire, ce genre de personne qui rayonne d'ondes positives. C'est aussi un excellent musicien, aussi bien au niveau de l'écriture que dans son jeu, mais ce qu'il y a de plus rare chez lui c'est qu'il n'a pas encore été usé par l'industrie musicale. Il n'a jamais joué dans 60 groupes ni fait de grosses tournées, il aurait très bien pu intégrer un très bon groupe à une époque mais il a préféré lâcher l'affaire juste avant d'entrer en studio, il préfère jouer sa musique et n'aime pas trop le côté enregistrement. Lui et moi sommes plus ou moins faits dans le même moule, il joue de la guitare, de la basse, de la batterie, je suis certain qu'il sait aussi très bien chanter. Il sait comment faire de bons titres, si bien que lorsqu'il compose un riff il a déjà une vision globale du morceau et sait quel jeu de batterie intégrer, etc. Puis, pour ne rien gâcher, il une splendide moustache ! (rires)
(rire général)
Il a tout de même été dans quelques formations plutôt inconnues du très large public, il a été batteur dans un groupe de funk et avait un autre projet avec son frère à Stockholm. Ce mec sort quasiment de nulle part, il apporte une vraie fraîcheur... J'aurais très bien pu choisir de m'associer avec des gars de Etombed ou Dismember par exemple, mais cela aurait été perçu comme un groupe monté de toute pièce par le label, ce qui est ici très loin d'être le cas.
Grâce à lui, j'ai retrouvé l'envie d'écrire, il m'a apporté une nouvelle énergie alors que j'ai traversé plusieurs années sans envie de refaire un projet. Là on s'est retrouvé avec la simple envie d'écrire pour le fun du bon vieux heavy/hard rock typé 70s sans limite et ce sans grande espérance de succès ! On a écrit avec passion et sans arrière pensée, ça ne m'était plus arrivé depuis 1991 au moins... Witherscape est ainsi un projet sincère créé par deux gars qui se sont amusés ensemble !
Ce premier opus s'intitule The Inheritance et sort chez Century Media. Il s'agit d'un album concept autour d'un riche personnage vivant à Stockholm qui hérite d'un terrain dans le nord dont il n'avait plus souvenir. Là, une enquête débute et il tombe sur plein de mystères et trucs étranges... comment as-tu eu cette idée ?
En fait le concept à la base était tout autre, notre idée originale bizarrement s'est vue adaptée à l'écran par le film Shutter Island (rires) ! C'est fou car nous avions grosso modo la même histoire avant même que le film ne sorte, je ne sais pas si on a été espionné par Leonardo Di Caprio et ses amis mais c'est amusant (rires) ! Nous avions eu cette idée avec Ragnar, car en fait nous travaillions dans le même magasin de musique à l'époque, et nous avons donc du réécrire l'histoire. Alors, un peu désabusés, nous nous sommes installés à un café et nous avons simplement conservé le nom des personnages et l'ambiance globale du scénario. Heureusement cette histoire d'héritage bercé de mystère est venue très vite, avec un gars qui se demande ce qui lui arrive et qui enquête pour en savoir plus...
Et c'est donc Paul Kuhr de Novembers Doom qui a écrit l'histoire et les paroles, tu voulais quelque chose de vraiment sombre et très travaillé ?
Oui, Paul a été parfait et a su transformer cette histoire écrite en paroles pour chaque chanson. Il a également rédigé une nouvelle détaillée qui sera disponible avec l'édition spéciale de l'album, elle devrait en intéresser plus d'un !
Tout ce travail est d'ailleurs parfaitement rendu visuellement par Travis Smith et la superbe pochette qu'il a réalisée, j'imagine qu'il y aura un booklet très détaillé lors de la sortie physique de l'album ?
Oui tout à fait, avec quelques images supplémentaires dans cette même édition spéciale ! Il a travaillé en étroite relation avec Ragnar pour retranscrire au mieux l'ambiance, et certaines de ses oeuvres font vraiment peur. Franchement le scénario est pas mal du tout et il a su l'illustrer parfaitement.
Imagines-tu cette histoire adaptée un jour à l'écran ou au cinéma ?
Oui, mais ça me fait toujours ça, comme avec mes précédents concepts sur les Crimson de Edge of Sanity ou The Breathing Shadow de Nightingale. Je visualise toujours ce que j'écris, comme je le fais quand je lis des livres... Par exemple, j'ai lu tous les Harry Potter avec mon fils avant que les films ne sortent. Et à chaque volet cinématographique, j'étais bluffé car je voyais quasiment tout ce que j'avais imaginé en lisant à la perfection ! J'aimerais bien un de ces réalisateurs pour la mise en images d'un de mes projets, mais par contre je rêve de grosses productions donc j'aurais du mal à confier cela au cinéma indépendant avec un budget limité par exemple. Autant garder ça dans ma tête sinon ! (rires)
Niveau composition, avez-vous construit la musique à deux avec Ragnar ou t'es-tu chargé de cette partie de l'écriture seul ?
Non, on a vraiment fait ça à deux, dès que l'un avait une idée il en faisait profiter l'autre. Tout ça a pris forme dans la salle de répétition, il s'assayait derrière la batterie et je jouais un riff, ou vice versa, et on faisait tout ça au feeling. Parfois même on allait plus loin en improvisant des trucs en plus, on se parlait beaucoup pendant ces moments-là et parfois on se poussait même à continuer une idée qui était en train de naître ! Le genre de truc que tu ne peux pas faire seul chez toi avec un ordinateur. On a ainsi changé des trucs selon l'humeur du moment, et au final on a réalisé cet album comme les groupes le faisaient dans les années 70. C'est d'ailleurs aussi pour ça que je pense que cet album est l'un des meilleurs de ma carrière. La magie de deux âmes inspirées qui ont travaillé ensemble avec une parfaite connexion !
Sinon pour en revenir à ta question, j'ai écrit 60% environ de la musique et Ragnar 40%. Je dis ça car j'ai écrit "Dead for a Day" seul à la maison donc ça doit faire pencher la balance de mon côté.
Justement "Dead for a Day" est vraiment un morceau assez typé Moontower (NDLR : l'album solo de Dan sorti en 1999)...
Ce morceau c'est vraiment moi ! J'ai essayé d'être au maximum de la pop et du commercial avec ce titre afin de voir jusqu'où on pourrait dépasser les limites en posant du growl dessus. C'était une expérience que je voulais tenter et en fait le morceau est resté car je le trouve bon !
Difficile de sortir une chanson du lot mais personnellement je suis absolument fan de "The Math of the Myth". Comment la décririrais-tu personnellement ?
J'adore aussi cette chanson, mais ma préférée pour l'instant est "Astrid Falls" car elle représente vraiment ce que j'ai voulu faire avec Witherscape, cet équilibre avec les growls ou les guitares plus typées Marillion ou Rush. D'ailleurs elle devait durer 13 minutes mais au final je l'ai réduite à 6-7 minutes ! En ce qui concerne "The Math of the Myth", c'est une chanson très compacte dans laquelle il se passe un maximum de choses, on ne s'y ennuie pas ! Je l'ai écrite à la guitare acoustique avant une répétition et ensuite nous l'avons travaillée à deux. Cette chanson possède un riff que j'ai emprunté à un groupe que j'ai découvert au milieu des années 90, une formation locale que j'avais vue en concert et qui ne m'avait pas emballé jusqu'au moment où ils ont joué ce fameux riff. Je suis resté bluffé, c'était vraiment malsain, j'étais persuadé que c'était une reprise d'un truc genre Black Sabbath que j'aurais oublié mais en fait non ! Du coup, en tant que producteur, je leur ai proposé de venir enregistrer cette chanson gratuitement, elle s'appelait "Who I Am" d'ailleurs pour la petite histoire. Et puis voilà, sans faire exprès, j'ai rejoué ce riff... et je me suis souvenu de cette chanson, je me suis rendu compte que je le copiais presque sans faire exprès et qu'il me le fallait absolument sur "The Math of the Myth" ! J'ai donc recontacté ces mecs pour leur demander l'autorisation, c'était pas difficile vu qu'ils sont devenus des amis depuis, et voilà comment au final ce morceau se retrouve avec quatre compositeurs crédités.
Ce qui est marquant aussi avec cet album c'est son introduction "in your face" avec de suite du chant growlé et une conclusion douce au piano...
Tout à fait, mais ça vient du fait que moi les intros ça m'emmerde royalement (rires) ! Il y a tant de groupes qui passent par mon studio, qui composent un super morceau d'ouverture, et qui ensuite se cassent la tête pendant des heures pour composer une intro souvent inutile à leur album. J'ai donc voulu démarrer sur les chapeaux de roue, d'ailleurs c'est pareil sur chaque chanson : je ne voulais pas attendre pour délivrer le gros son sur cet album, aucun compromis. Ainsi aucun doute dès le départ que t'auras affaire à un album bien sombre ! (rires)
Au niveau vocal, on te sent plus en forme que jamais. As-tu travaillé d'autres techniques avant l'enregistrement de cet album ou as-tu laissé aller le feeling ?
J'ai changé d'habitude car par le passé j'étais souvent obligé d'enregistrer plus de chant lors de chaque session d'enregistrement, jusqu'à épuisement. Je pense que ma meilleure performance vocale à ce jour reste les toutes premières minutes de l'album Infernal de Edge of Sanity, c'est là qu'on entend ma voix à son apogée. Mais à l'époque, je déclinais vite en puissance, je passais vite de 100% à 60% de mon potentiel et c'était franchement moins bon. Du coup, la plupart des voix que j'ai fait sur Edge of Sanity n'étaient qu'à 60% de ce que je pouvais donner, mais je n'avais pas le choix par cohérence. Pour Witherscape, c'est bien différent, j'ai pris mon temps pour le chant, souvent je faisais quelques growls après six heures de mixage mais je le faisais à fond et sur quelques minutes seulement ! A chaque fois que je fatiguais, j'arrêtais et ce même si j'étais au milieu d'un couplet, puis je reprenais dès que ma voix le permettait. L'enregistrement vocal a ainsi duré un bon mois pendant lequel ma petite amie m'a souvent vu rentrer épuisé à la maison, elle devinait aisément quand je venais de finir une session de chant growlé ! (rires)
J'ai de la chance de d'avoir eu le temps de faire ça tranquillement, car je n'ai pas de technique particuliaire pour mon chant death : ce n'est que de la violence ! Je dois donc reposer ma voix dès qu'elle en a besoin, mais en contre partie ça m'a permis de faire des passages violents et réguliers. J'utilise mieux la respiration avec le temps mais globalement je chante avec ma gorge jusqu'à m'en exploser les cordes vocales, un peu comme si j'avalais des lames de rasoir ! (rires)
On entend quelques voix black sur "Astril Falls" et "The Wedlock Observation", ce n'est pas toi j'imagine ?
C'est l'un des rares guest de l'album ! C'est un norvégien prénommé Eddie (NDLR : Eddie Risdal du groupe Ancestral Legacy) qui imite à la perfection le chant de Jon Nödtveidt, le défunt chanteur de Dissection. Je l'ai découvert quand j'ai mixé l'album de son groupe et j'étais vraiment enthousiasmé par sa voix, il a un coffre incroyable ! Du coup je lui ai dit qu'il serait mon imitateur de Jon sur mon prochain disque, et il a de suite accepté. Je suis incapable de chanter comme ça !
Y a-t-il des projets de live avec Witherscape ? Que ce soit une tournée ou quelques shows spéciaux du genre festivals ?
Avec certains de mes projets je t'aurais dit de suite non, mais j'adorerais vraiment avec Witherscape. Sauf que rien n'est pour l'instant prévu et que ça risque aussi d'être compliqué... Si cela devait arriver, je serais derrière la batterie et je m'occuperais du chant clair, il faudrait donc que je trouve un growleur capable de reproduire ma voix et sûrement deux ou trois musiciens en plus. Le souci c'est que Ragnar vit en Suède et que désormais je demeure en Allemagne, chaque voyage pour une répetition coûterait à l'un ou l'autre au moins 500 euros, il nous faudrait un soutien financier sinon on serait vite sur la paille. Par contre, si un festival nous propose quelques mois avant de jouer pour eux, je pense qu'on ferait l'effort ! Il est temps donc d'appeler vos potes qui gèrent certains festival, le Hellfest en France par exemple ! (rires)
Tu as travaillé avec Arjen Lucassen sur ses deux Star One, qu'as-tu retenu de ces expériences et envisages-tu de retravailler un jour avec lui ?
J'adorerais vraiment faire un nouveau Star One ! En fait, c'est justement quand je suis allé chez Arjen la deuxième fois pour le second album que je me suis véritablement senti pour la première fois comme un véritable chanteur. J'ai pas mal travaillé ma façon d'enregistrer, par exemple je n'utilise plus de casque désormais, je chante comme ça en entendant presque que ma voix et la musique à très faible volume. Totalement l'inverse de ce que je faisais avant ! Depuis je chante plus juste et j'enregistre plus vite, j'avais fini mes parties vocales en un jour alors qu'on en avait prévu deux... d'ailleurs Arjen était surpris, il m'a dit que je chantais 100 fois mieux qu'avant ! J'ai pu mettre ainsi plus de puissance ainsi que de la "vibe" à la Ronnie James Dio ou Russell Allen, et du coup j'ai pu utiliser tout ça avec Witherscape. Je me sens plus en confiance avec mon chant clair, avant je n'aimais pas trop en faire mais là désormais je me sens plus à l'aise. J'ai même un peu la chair de poule en me réécoutant maintenant, ça va paraître égocentrique ce que je dis mais c'est vrai ! (rires)
Tu es reconnu pour avoir participé ou chapeauté de multiples projets et groupes, lesquels sont plus ou moins encore actifs ou ont une chance d'avoir une suite un jour ? Nightingale peut-être ?
Justement oui, il y a trois jours j'ai fait 15 heures de route en voiture avec ma petite amie et mon chien jusqu'en Suède afin de démarrer l'enregistrement du prochain album de Nightingale ! Ce sera ma prochaine sortie, sûrement dans un an si tout va bien, et je sens qu'il sera très bon car cette nouvelle "expérience" et ce retour après quelques années de "coma musical" m'ont vraiment redonné la pêche. J'ai comme une seconde jeunesse et plein d'idées en tête ! Beaucoup de musiciens devraient faire comme moi, s'arrêter d'écrire quelques années et revenir encore plus fort, tu ressens ensuite comme une explosion d'inspiration. Je devrais donc sortir pas mal de choses ces prochaines années...
Fait amusant, ton tout premier groupe d'adolescence se nommait Ghost et avait un son très 70s. Depuis 2010, un nouveau Ghost suédois défraie la chronique sous un anonymat quasi complet, t'a-t-on déjà associé à eux malgré toi ? Et que penses-tu de leur musique ?
Oh oui on m'a déjà pris pour cette sorte de pape sataniste une fois, c'était amusant mais bon je n'ai pas du tout la même voix (rires) ! C'est vrai que tout ceci est amusant, en plus j'aime beaucoup ce qu'ils font même si je t'avoue que je n'y suis pour rien. C'est vrai qu'au départ voir un groupe du même nom devenir aussi populaire ça m'avait plutôt dérangé, car j'ai consacré cinq années de ma vie à "mon Ghost" quand j'étais très jeune. Du coup voir à quel point ils avaient du succès m'a un peu troublé ! On a pas mal plaisanté là dessus avec Anders, un des membres fondateurs... D'ailleurs cette année on va fêter les 30 ans de la formation du "vrai Ghost" (rires) ! J'ai d'ailleurs envie de réenregistrer un de nos meilleurs morceaux afin de le rendre plus "brutal", juste comme ça pour le fun et pour voir si les gens nous confondent avec eux ! (rires)
Et ton lien avec la France ? Je sais que t'as participé un peu au dernier album de Fractal Gates, mais y a-t-il d'autres groupes que t'aimes bien dans notre pays ?
En fait j'ai passé mes plus récentes vacances en France ! C'était sympa de passer du temps sur les belles routes de votre pays, enfin pas vers Paris car les embouteillages c'est moins drôle (rires) ! Outre Fractal Gates, j'ai mixé pas mal d'albums de groupes français ces derniers temps, d'ailleurs peu importe la nationalité je laisse toujours la porte ouverte à n'importe qui... il n'y a pas de racisme chez moi ! (rires)
Quels seraient tes derniers mots pour les fans ?
Achetez ou au moins écoutez l'album ! Je les remercie pour leur soutien depuis le début et j'espère encore pouvoir les satisfaire pendant de longues années. Je ne compte pas m'arrêter de sitôt en tout cas !