(In)s(w)anity and genius...
Dan Swanö est un touche-à-tout de génie, rien de moins... On l'avait d'abord connu en tant que producteur/ingéson émérite touchant autant sa bille dans le domaine du 'black' touche Suédoise (la prod' des vieux Marduk, Dissection, Dark Funeral et autres Mörk Gryning, Vinterland et Dawn, c'était lui!) que dans celui du 'dark/death' à tendances progressives (les premiers Opeth, pour ne pas les nommer, ainsi que le dernier Idensity que l'on attend de pied ferme...), ou encore dans le rayon du 'death mélodique' (pour continuer dans le chauvinisme, citons l'excellent opus de Fractal Gates paru cette année, pour lequel il a d'ailleurs fait - pour ne pas changer les bonnes vieilles habitudes - un petit 'guest' vocal !), le tout donc en direct des légendaires Unisound Studios.
On savait également le poids et l'importance de ses propres collaborations et influences... Grand 'poto' des joyeux drilles Jonas Renske/Anders Nyström mais aussi - car tout est lié - d'un certain Mikael Åkerfeldt, il est ainsi resté le producteur en titre de Katatonia depuis leurs tout débuts (d'ailleurs, outre la session claviers des heures primitives, il les dépanna aussi à la batterie sur l'album Tonight's Decision...), ne manquant pas pour autant l'occasion de changer de terrain de jeu avec ses camarades le temps d'un récréatif (et brutal!) Bloodbath et du génial projet heavy-black horrifique Diabolical Masquerade (avec Nyström), dont on se languit encore d'une hypothétique suite...
On lui doit en outre - il ne faudrait pas l'oublier - de superbes participations vocales (l'homme s'étant notamment illustré par un chant clair de toute beauté, les avis étant plus mitigés quant à son chant 'growl', certes assez uniforme mais d'une signature bien marquée - et surtout d'une intensité telle qu'il admet lui-même qu'il ne saurait la reproduire sur une longue période en 'live'...) sur divers albums d'artistes de tous horizons. Parmi ces nombreuses performances, rappelons celles immortalisées sur les chefs d'oeuvre éternels que sont As the Shadows Fall et A Wayfarer's Tears des 'doomeux' de Godsend, le projet Star One d'Arjen Lucassen (l'homme étant l'une de ses grandes influences et ne tarit d'ailleurs pas d'éloges sur lui...), ainsi que le Theli de Therion (il est notamment l'un des intervenants sur le morceau-culte "The Siren of the Woods" !)
Pour finir, les 'bruits de couloir' affirment qu'il serait -pas là le moindre de ses mérites!- celui qui aurait le plus influencé Åkerfeldt à l'époque concernant la direction musicale et artistique d'Opeth...
Rien d'étonnant, donc, à ce que les nouveaux venus à la musique de Swanö puissent ici avoir l'impression d'entendre quelques réminiscences de ces autres compatriotes Suédois. Ainsi, à de superbes parties 'clean' ou acoustiques, dominées par un chant clair profond ("Dying for the Sun", "Dead for a Day", "Crawling from Validity"), viennent répondre aujourd'hui sur ce The Inheritance des passages des plus plombés (l'homme a ressorti l'artillerie lourde, pourrait-on dire!), agencements d'accords/arpèges luxuriants et complexes entremêlés ("Crawling..." toujours, pont de "To the Calling of Blood and Dreams" - titre sur lequel pointe aussi l'influence Ayreon !- , ou encore le tortueux "The Wedlock Observation"), où culmine cette fois un 'growl' caverneux , comme Dan n'en avait plus sortis depuis un bon moment. Autant de bons points qui seront à même de parler aux amateurs d'Åkerfeldt et de ses sbires...
Aucune confusion dans la chronologie ne saurait toutefois être faite, et cet album prouve une fois encore que l'histoire du 'death progressif' s'est aussi et en premier lieu écrite avec la musique de notre Scandinave « stakhanoviste » (non, non, on n'a pas dit Tägtgren!), cette fois au travers de ses propres formations, aux premiers rangs desquelles le singulier (et envoûtant) Edge of Sanity et le plus 'soft', rock et mélodique Nightingale, ainsi que ses projets solos éponymes à l'instar du majestueux Moontower, et aujourd'hui donc cette collaboration avec l'inconnu-au-bataillon Ragnar Widerberg, multi-instrumentiste et bourreau de travail tout comme lui, tous deux réunis sous le nom de Witherscape, dont la première offrande sortira donc le 29 juillet prochain chez Century Media.
Refermons ainsi ce chapitre 'Opeth' anachronique et trop réducteur, car si Åkerfeldt tend aujourd'hui à se complaire dans un nombrilisme et une vision passéiste des années 70 - qui pourraient à la longue lui faire perdre de sa clientèle -, son ancien producteur/mentor, lui, a su demeurer fidèle, pour le grand bonheur de son public, à des racines plus que jamais ancrées aussi dans le métal, tout en parvenant à rester « dans le coup », et même plus 'frais' et moderne que jamais !
Ce The Inheritance ne déroge pas à la règle, en piochant dans le meilleur de chaque sortie de notre homme et en le mettant au goût du jour... Ainsi retrouvera-t-on, pêle-mêle, le death trituré et sans frontières d'un Edge of Sanity, plus « sage » et canalisé tout de même (si l'on excepte la petite incartade de batterie 'disco' sur le "Dead for a Day" précité, ou encore les notes de pianos type «musique d'ascenseur» et autres passages aérés dignes d'un bar 'lounge' dans "The Math of the Myth" ou "Mother of the Soul") - on pensera donc davantage au deuxième Crimson qu'au premier - , mais aussi la dimension progressive (celle héritée de Rush et consorts...) plus affirmée encore et les «claviers-rois» d'un Moontower, utilisés avec plus de parcimonie ici (break dans "Astrid Falls", ou "The Math of the Myth" pour ne citer qu'eux), ainsi que des sonorités mélodiques plus 'rock/FM' (voire même ce qu'on appellerait aujourd'hui 'pop' dans la scène métal), qui renverraient directement à la fraîcheur et à la légèreté de Nightingale ! (cf le refrain de "Dead for a Day" qui pourrait presque évoquer le In Flames du doublé The Jester's Race/Whoracle mais avec une 'vibe' hard-rock!)
Une pincée de Nightingale et de Edge of Sanity, une bonne louche de Moontower... Et sur ce titre, peut-être le plus beau 'tapping' en mode lancinant que l'on ait entendu depuis le "The Cry of Mankind" de My Dying Bride ou le "Brave" de Katatonia...
Il faut dire que le chant de Dan contribue pour beaucoup à la diversité de cet opus... LES chants, conviendrait-il de dire plutôt, car le gaillard explore ici tous les registres qu'on lui connaît : voix claires dans des tons très bas (certes peut-être pas autant que dans Godsend!) sur un "Dying for the Sun" (et ses magnifiques teintes Marillion), tonalités plus 'médium' pour de douces mélodies chaleureuses et 'poppisantes' (l'essentiel de sa 'patte' vocale bien caractéristique), et la réapparition donc d'un chant death guttural, certes 'forcé' à l'extrême et sans guère de surprises au niveau des modulations, mais restant à la fois fort convaincant et surtout en parfaite adéquation avec le thème obscur et horrifique de l'album (nous allons y revenir)... Fait non négligeable, ce 'growl' est en outre l'élement qui renverrait peut-être le plus aujourd'hui au passif "death" de son géniteur.
Alors, on était certes habitués à tout ceci de la part de ce chanteur d'exception, mais on le sent aujourd'hui autrement plus « habité » que naguère, plus à même de dégager l'émotion requise, notamment par le biais de poignantes "montées de notes" en balayage, l'équivalent sur la voix d'un 'sweeping' à la guitare... Frissons garantis sur "Crawling from Validity " ou sur le break d' "Astrid Falls" !
Et surtout, depuis sa participation au puissant Star One de Arjen Lucassen où il a pu côtoyer un poids lourd du genre en la personne de Russell Allen (Symphony X), on lui découvre bien plus d'assurance pour se lancer dans des démonstrations de force et de lyrisme purement « heavy classique », notamment sur un "The Math of the Myth" aux accents à la limite du 'power-metal' ! Quitte à en rendre presque caduques les voix plus «doucerettes» à des endroits où ce surcroît de testostérone aurait pu tirer davantage encore les morceaux vers le haut... L'intervention d'un confidentiel imitateur-en-chef de Jon Nödtveidt (Dissection) aux renforts de voix black exaltées sur "Astrid Falls" et "The Wedlock Observation" (l'un des rares 'guests' de cet album, d'ailleurs...) représentant quant à elle une plus-value non négligeable à ce The Inheritance, couvrant ainsi tous les registres vocaux qu'une telle oeuvre réclamait.
L'homologue Ragnar Widerberg n'est pas en reste aux guitares (ainsi qu'à la basse et au co-writing!) et, malgré son statut d'anonyme par chez nous, vous comprendrez facilement pourquoi Swanö a jeté son dévolu sur lui : avec sa technique digne d'un 'shredder' (mais laissez April où elle est, par contre...), la virtuosité (époustouflante!) ne se fait pourtant jamais démonstration, bien au contraire le musicien sait privilégier un jeu des plus chaleureux au niveau du seul toucher, au détriment d'autres effets de manche juste "tape-à-l'oeil"... D'ailleurs, en fermant les yeux à des moments, c'est à peine si sa fluidité et les gammes exotiques enchanteresses qu'il exploite ne nous donneraient pas l'impression de voir planer le spectre d'un Schuldiner du regretté doublé Death/Control Denied (écoutez-moi donc le deuxième lead de "Mother of the Soul"), voire d'un Nödtveidt des dernières heures, puisqu'on en parlait... Pour le reste, il suffit d'écouter le riff 'Zeppelinien' qui vient réveiller "Dying for the Sun" (et que n'aurait pas renié feu-Black Country Communion...) pour comprendre que notre homme a le 'groove' ! Ce qui ne l'empêche pas aux endroits stratégiques de dégaîner des riffs sinueux et enchevêtrés de pur métal en fusion (il cite notamment les premiers Priest et Mercyful Fate parmi ses influences, ceci pouvant expliquer cela...).
Je terminerai sur les choses auxquelles notre "senseï" 5ème Dan ne nous avait pas habitués jusqu'ici, et qui se révèlent là encore un beau coup de maître : les éléments tournant autour de l'intrigue de cet album (et je ne parle pas là du bruit 'samplé' des criquets, hallucination auditive à laquelle vous serez autant confrontés que les protagonistes de l'histoire si vous prêtez bien l'oreille!...). Si la dimension purement «conceptuelle» de ce The Inheritance n'est pas pleinement accomplie (peut-être encore trop timide disons...), reste que grâce à ce scénario signé Paul Kuhr du groupe Novembers Doom et digne d'un bon vieux thriller fantastique (que l'on vous laissera du reste découvrir au travers de l'interview que Swanö nous a accordée), avec ses esprits frappeurs et cette maison inquiétante (en l'occurrence celle de la pochette, magnifiquement représentée par l'incontournable Travis Smith!), le musicien tient là un bon prétexte pour laisser libre cours à des penchants musicaux et expérimentaux plus sombres.
Certes, on n'ira pas claironner partout que Swanö tient là son Abigail ... Car si l'album brille par sa richesse, il n'en est pas tout à fait de même au niveau de la variété des émotions rendues, qui alternent seulement par simple dichotomie d'une polarité à l'autre, de l'énervé au plus apaisé, du grondant au mélodieux, du recueillement à l'exaltation. Manquent également à l'appel - si l'on excepte les premières secondes de dialogue basse/voix sur "The Wedlock Observation" - des éléments purement 'horrifiques' qui auraient pu faire toute la différence (pour le prochain album peut-être?), même si l'on accueille avec bonheur l'incursion d'arpèges inquiétants ou bien faussement paisibles - clairs comme saturés - , qui n'auraient pas dépareillé dans le projet Diabolical Masquerade (l'atmosphère du décapant "Mother of the Soul" introducteur, notamment) ou même au milieu des incartades diaboliques de Jeff Waters dans Annihilator, que l'on parle d'Alice in Hell ou de Refresh the Demon (cf la finesse arpégée d'un "Astrid Falls" ou des passages plombées de "To the Calling..."). On reste en revanche totalement sur notre faim à l'issue de l'écoute de cet instrumental éponyme au piano, malheureusement bien trop court et qui aurait clairement mérité d'être développé en un véritable titre-fleuve conceptuel, au lieu de faire juste comme ici office de « générique de fin de film », lorsque défile tout le casting (bon, ce qui expliquerait du coup sa courte durée, d'autant que le père Swanö officie également derrière les claviers et la batterie, donc il ne reste plus beaucoup de seconds rôles!)... Allez, au moins, à la manière des bons films, ce The Inheritance aura le mérite d'appeler sans cesse à un revisionnage.... heu, à de nouvelles écoutes, encore et encore!
Malgré un classicisme d'apparence (ou du moins une continuité par rapport aux autres travaux de Swanö...), ce The Inheritance révèle donc une réelle passion et une grande richesse, de l'audace même (et du 'fun', si, si!), le tout porté par une production fluide, puissante et tout simplement irréprochable, quand dans le même temps il déborde de nettement plus d'âme, d'inventivité et d'esprit intègre que - au hasard - le Watershed d'Opeth... Mais on avait dit qu'on arrêtait d'en parler ! M'enfin, maintenant vous savez ce qu'il vous reste à faire...
LeBoucherSlave
8,5/10
Pas un 'Bové' bougre ce Ragnar Widerberg ... Et loin d'être sourd comme un pot quand il s'agit de donner des résonances à la (bonne) musique mise en boîte chez Swanö ! ...