Karl Sanders (Nile) nous parle de The Underworld Awaits Us All

Au moment de démarrer cet entretien en visio avec Karl Sanders, le leader de Nile s’attarde un instant sur les instruments de musique qui trônent derrière votre serviteur, notamment un baglama saz venu de Turquie. Ces premières minutes sont à l’image du musicien, simple, humble et affable, et dont le visage s’illumine dès lors que l’on parle de ces instruments traditionnels qui se mêlent au death metal qu’il pratique depuis plus de 30 ans. De quoi aborder également The Underworld Awaits Us All, dixième livraison du combo de Caroline du Sud, qui une fois de plus, ne décevra pas les fans de Nile.

Bonjour Karl. Merci de nous accorder cet entretien. Tout d’abord, comment te sens-tu ? Je sais que tu as eu des soucis de santé il y a un mois, qui t’ont contraint à annuler ta participation au Hellfest… As-tu bien récupéré ?

Difficilement. La partie la plus ardue, c’était de faire le voyage retour jusqu’à chez moi après être sorti de l’hôpital en Belgique. Il m’a fallu rejoindre l’aéroport de Munich pour prendre l’avion pour les Etats-Unis. Et je peux t’assurer que malade comme je l’étais, ce n’était pas une partie de plaisir de faire la route en voiture ! (rires)

 

C’était aussi la première fois que tu ne participais pas à un concert de Nile. T’étais-tu préparé à cette éventualité un jour et comment les autres musiciens ont appréhendé ce concert ?

C’était très stressant pour eux. Nous avons trois chanteurs dans le groupe donc de ce point de vue là, les lignes de chant ont été assurées. Pour les guitares, il y a des parties qui n’ont pas pu être faites comme nous avons l’habitude. Mais malgré les circonstances, je trouve qu’ils ont fait un super boulot, ce sont des professionnels. J’ai pu voir quelques vidéos du concert. Ce n’était pas évident pour eux car pour deux membres du groupe, Zach Jeter (guitare) et Dan Vadim Vom (basse), ce n’était que le deuxième concert avec Nile car ils viennent d’intégrer le line-up. Heureusement, Georges Kollias (batteur du groupe NDLR) était là et en tant que membre le plus ancien après moi, il a su rassurer tout le monde et donner l’impulsion nécessaire. Je dois dire que je suis très heureux de voir qu’ils ont su gérer cette situation avec un tel professionnalisme ! (rires) Et je peux t’assurer que je n’étais pas une seule seconde préparé à cela, personne ne peut l’être ! (rires)

 

The Underworld Awaits Us All est le nouveau chapitre de l’histoire de Nile. Le précédent album, Vile Nilotic Rites, est sorti juste avant la pandémie de Covid. As-tu mis à profit ces années de pause pour composer ce nouvel album ? Et comment as-tu vécu cette période ?

Le plus difficile pour nous c’était surtout de ne pas pouvoir tourner et d’être séparés des autres membres du groupe. J’ai surtout passé du temps à donner des cours de guitare, et à en prendre aussi d’ailleurs. La composition de mon troisième album solo, Saurian Apocalypse, m’a également pris du temps. Finalement, j’ai été assez occupé pendant cette période en y repensant ! (rires) Le fait de ne pas tourner ne m’a pas stressé plus que cela, mais ce sont les interactions avec les fans qui m’ont manquées, comme à la plupart des musiciens professionnels je pense. Ces interactions sont ce qui nourrissent ton âme de musicien et cela a parfois donné une impression de vide. Le premier concert que nous avons fait juste après, en 2022, a été très fort émotionnellement car j’ai pris conscience que cette relation avec notre public remplissait un vide énorme dans ma vie. C’est quelque chose qui prend beaucoup d’importance et que la pandémie a vraiment mis en lumière pour nous.

 

Avez-vous envisagé à ce moment là de faire des concerts en streaming avec Nile, comme plusieurs groupes l’ont fait ?

Pour être honnête, la question ne s’est initialement pas posée car nous n’en avons pas eu l’opportunité. Mais je crois sincèrement que ça n’aurait pas pu marcher sans avoir un public face à nous dans la même pièce. Cette relation, c’est ce qui fait l’essence du metal. Sans public, c’est comme si nous mettions des caméras dans notre salle de répète ! (rires)

The Underworld Awaits Us All présente tous les éléments typiques de Nile, comme des riffs brutaux mais aussi des mélodies et interludes orientaux ambiants. Pourtant, j’ai relevé quelques éléments relativement nouveaux comme les soli harmonisés sur « To Strike With Secret Fang », un pont groovy, presque fusion et des choeurs féminins sur « Overlords of the Black Earth », ou encore des parties de guitare très mélodique sur le titre final « Lament for the Destruction of Time »…

Je pense que c’est en effet très important de renouveler mon écriture et d’aborder ma musique avec des éléments nouveaux. Je n’ai pas envie de répéter exactement la même chose d’album en album.

 

Tu ne veux pas que Nile devienne le AC/DC du death metal ?

(rires) Non, je ne crois pas que ça m’intéresserait… (rires) J’adore AC/DC, donc ce n’est pas contre eux. Mais pour me motiver, il faut qu’il y ait une raison en particulier qui me pousse à faire un nouvel album. Et pour respecter notre public, il faut qu’on leur donne quelque chose de nouveau à chaque fois, sans tout révolutionner d’un coup. Je pense que chaque nouvel album doit avoir un élément qui le distingue du précédent, même si ce n’est qu’un petit pas vers l’avant, une toute petite chose. Il faut qu’il y ait un apport, comme pour la cuisine. Sinon cela revient à manger la même pizza tous les jours (rires). Et crois moi, je sais de quoi je parle, car quand nous tournons, on en mange à chaque repas - non pas parce qu’on le demande, mais parce que c’est souvent ce qu’on nous donne – (rires). Nous sommes un groupe de metal, ça doit être metal de manger des pizzas ! (rires)

 

Même en France ?

Non, je dois le reconnaître, en France on mange convenablement même quand nous sommes en tournée ! (rires) Mais dans le reste du monde, c’est ce qui se passe la plupart du temps. Donc oui, nous avons besoin de quelque chose de neuf même dans notre musique.

 

Sur le précédent album, ces éléments nouveaux prenaient la forme d’orchestrations, comme le passage inspiré du thème de Saroumane dans le Seigneur des Anneaux d’Howard Shore sur « Seven Horns of War ». Tu vois de quoi je parle ?

(éclats de rires) Oui, oui ! C’est d’ailleurs ce qui était amusant sur cet album. Mais nous avons déjà fait ce genre de chose, c’est pourquoi les éléments nouveaux sur The Underworld Awaits Us All ne prennent pas cette forme. La pizza est différente aujourd’hui ! (rires)

 

Sur ce nouvel album, il y a une fois de plus des titres longs et plus progressifs que d’autres, plus directs comme « To Strike With Secret Fang » qui dure deux minutes. Sais-tu à l’avance si un titre sera direct ou pas et comment tu le ressens ?

Le mot que tu as utilisé résume tout : je le ressens. C’est aussi simple que ça. Si on sent qu’un morceau est achevé en deux minutes, c’est que ça ne sert à rien de le développer plus. Ce n’est même pas spécialement une question de vitesse, ou de pattern rythmique. Car un titre comme « Stelae of Vultures » est brutal sur l’ensemble de sa durée, et il s’étend sur six minutes (rires). Ce serait ennuyeux d’avoir un album entier uniquement brutal, ou avec que des titres longs donc nous diversifions l’ensemble en fonction de nos envies.

Depuis Those Whom the Gods Destest, j’ai l’impression que tu inclues un peu moins d’interludes ambiants, acoustiques et à bases d’instruments orientaux qu’auparavant. Est-ce que le fait de sortir régulièrement des albums solos explorant ce style en est la raison ?

Je n’ai pas le recul nécessaire pour m’en rendre compte. Je pense que c’est possible mais que le public est mieux placé que moi pour aboutir à cette conclusion. Je dois dire qu’après avoir exploré ce style sur tout un album avec Saurian Apocalypse, j’ai juste ressenti l’envie de faire du metal. C’est aussi simple que ça ! (rires)

 

Je crois que c’est la première fois dans l’histoire de Nile que vous vous présentez sous la forme d’un quintette, avec trois guitaristes : Brian Kingsland, Zach Jeter et toi…

Sur cet album, oui. Mais ce sera uniquement en studio car Brian ne fait pas de tournée donc nous serons toujours quatre sur scène. Cela ne permettra pas d’expérimenter des choses en live. Brian a beaucoup participé à l’album, il a écrit et enregistré des titres sur lesquels il fait à la fois la guitare et le chant. C’est pour ça qu’il est officiellement sur les photos promos et dans le line-up officiel. Mais on pense avant tout à Nile comme étant un quartet. Quand Zach nous a rejoints, le processus créatif était déjà bien avancé, les chansons étaient déjà écrites et en grande partie enregistrées. Nous l’avons tout de même intégré en lui demandant de chanter un passage ici ou là, ou de poser un solo. C’est tout de même lui qui va les interpréter en live, c’était normal de l’intégrer dès cette phase.

 

A titre personnel, tu es connu pour intégrer de nombreux instruments orientaux dans tes compositions. As-tu appris en autodidacte et quel nouvel instrument souhaiterais-tu explorer et que tu n’as jamais appris ?

Hé bien, il y a encore plein de choses que je n’ai jamais apprises (rires). On va éviter de faire le listing de ce que je ne sais pas, sinon ça va durer un moment (rires). Tu sais, aujourd’hui j’apprends encore à maîtriser ma guitare. Je prends des cours, je travaille…

 

Oui, mais tu donnes également des cours ? A quel moment tu bascules entre l’apprentissage et l’enseignement ?

(il réfléchit). Le concept de maîtrise de quelque chose n’est pas facile à appréhender. Quand tu te rends compte que tu arrives enfin à jouer quelque chose sur un instrument, quelque part, tu sais que ce n’est que le début. Il y a des guitaristes incroyables partout sur Terre. Mais il n’y a pas de diplôme ou de récompense pour faire de toi « le guitariste ultime ». Personne ne peut dire avec certitude qu’il maîtrise tous les aspects de quelque chose. Qu’est-ce que ça veut dire en soit « maîtriser » ? Tu peux toujours te dire « je veux être aussi bon que Guthrie Govan » et faire en sorte d’y arriver. Mais il existe des musiciens inconnus, qui jouent d’autres styles avec le même talent mais une approche totalement différente. Il n’y a pas de fin à l’apprentissage, seulement le sentiment de réalisation. Je crois qu’il y a toujours quelque chose à apprendre, surtout en musique. A cet effet, j’essaye d’être systématiquement humble dans mon approche de la guitare, dans la façon dont je l’apprends et dont je l’enseigne. Quand je donne un cours, je montre à quelqu’un ce que je sais pour qu’il puisse faire ce qu’il a envie de faire. L’important c’est d’aider l’autre à trouver sa voie de la façon qui lui est propre.

A travers Nile, tu travailles aussi à vulgariser tes connaissances en Egyptologie, puisque tu travailles avec des universitaires pour aborder les thématiques de tes morceaux. Ces dernières sont souvent retranscrites et explicitées dans les livrets des albums. Alors que cette démarche scientifique est importante à tes yeux, comment vis-tu l’émergence depuis quelques années de la désinformation et de la remise en question de la pensée scientifique ?

Je ne sais pas trop (rires). Je constate que la désinformation est présente partout malgré un accès relativement simple à toutes les données scientifiques. Je n’ai toutefois pas l’impression que cette accessibilité de l’information à travers Google rend l’humanité plus intelligente. A travers les réseaux sociaux, on se rend compte que les gens ne réfléchissent pas forcément, postent des liens sans lire les articles pour générer des vues. C’est une sorte de « Dévolution »… j’utilise ce terme en référence au groupe de rock satyrique Devo qui existait dans les années 70-80 et qui fait référence à une évolution décroissante…

 

Tu parlais des réseaux sociaux. Pour revenir à un sujet plus léger, votre public s’amuse souvent sur les réseaux de vos titres de chansons particulièrement longs… J’ai l’impression que cette fois-ci vous avez voulu battre un record avec « Chapter »… Non je ne le dirai pas en entier !

Oh allez ! Vas-y, c’est justement ce qui est fun ! (rires) Tu es obligé de le dire ! (rires)

 

« Chapter for Not Being Hung Upside Down on a Stake in the Underworld and Made to Eat Feces by the Four Apes »

(il éclate de rire devant votre serviteur qui bute sur les mots et s’y reprend à deux fois). Yes ! Tu l’as fait ! Bravo ! Tu vois, c’est pour ça qu’on le fait, avoue que c’est fun ! (rires)

 

Lorsque vous établissez une setlist, tu ne vas pas me dire que tu l’écris en entier ?

Non, on en reste à « Chapter », sinon il nous faudrait un parchemin immense et une police de taille 2 pour tout faire rentrer. Et on ne verrait plus rien ! (rires)

 

A propos de setlist, comment réfléchissez vous à l’équilibre à trouver entre nouveautés et classiques ?

Pour la prochaine tournée, la setlist est déjà prête. Nous avons déjà commencé à répéter pour que tout soit prêt. Nous sommes obligés de tout préparer à l’avance étant donné la complexité des arrangements avec trois lignes de chant. Cela demande beaucoup de préparation et de concentration et on ne peut pas se permettre d’improviser une setlist comme cela pouvait être le cas il y a vingt ans. Pour le choix des morceaux, c’est simple, on sait que nous sommes obligés de jouer certaines chansons sinon on va nous jeter des pierres (rires). Mais on intègre forcément des nouveautés, notamment les plus directes.

 

Comme beaucoup de groupes, il y a donc des titres incontournables dans vos concerts. Y en a-t-il certains que tu es lassé de jouer ?

(rires) Euh...Non ! (rires) J’aime tous mes titres (rires).

 

Nile est aujourd’hui devenu une influence majeure chez de nombreux groupes plus jeunes, au même titre que des pionniers comme Morbid Angel ou Suffocation qui ont pourtant commencé un peu avant vous. Quelle est ta réaction et est-ce que cela te met la pression quand tu y penses ?

Je garde souvent cela à l’esprit oui. Parfois, quand j’entends de nouveaux groupes, je me dis d’ailleurs : « ah, on doit être une influence pour lui, car ça c’est mon riff ! » (rires) Forcément, la question des influences est toujours présente. Mais il est nécessaire de se saisir de ces influences pour les digérer et en faire quelque chose de personnel. Quand tu entends Cannibal Corpse, tu sais qu’ils étaient uniques au moment de débuter et qu’ils ont digéré leurs influences pour faire quelque chose qui leur ressemble. Pourtant ils ont été maintes fois copiés, beaucoup plus que nous (rires). C’est pareil avec Behemoth ou Led Zeppelin. Pourtant, tu ressens toujours l’envie de revenir à l’original, tout est dans la personnalité.

 

L’automne prochain vous serez en tournée en Europe mais il n’y a pas encore de date française de planifiée. Un second leg est il dans les tuyaux ?

Oui, c’est prévu pour le printemps. Car il y a beaucoup de lieux que nous ne pourrons pas visiter cette fois-ci. En tant que groupe américain, nous adorons venir en Europe, c’est une culture que nous aimons particulièrement.

 

Quel souvenir gardes-tu particulièrement des concerts de Nile en France ?

Nous avons eu la chance de jouer dans des villes de province en France et que ce soit au Bikini à Toulouse ou à Strasbourg, nous avons toujours été super bien accueillis. Les salles en France sont vraiment bonnes. Je ne peux pas ne pas mentionner le Bataclan bien sûr...ni la Locomotive à côté du Moulin Rouge ! C’est un lieu atypique !

 

La dernière fois que vous êtes venus à Paris, c’était au Petit Bain, un bateau amarré sur la Seine. On peut dire finalement que comme Gojira qui a ouvert les Jeux Olympiques la semaine dernière, vous avez joué sur la Seine !

(rires) Ah oui, c’est un lieu très sympa le Petit Bain ! Avec un très bon restaurant ! (rires). On peut dire que nous avons effectivement joué sur la Seine, mais on est loin de ce qu’a réalisé Gojira. C’était incroyable ce qu’ils ont fait, pour toute la communauté metal, c’était une belle façon de mettre notre musique en avant.

 

On espère Nile à l’ouverture des J.O. de Los Angeles en 2028 ? (rires)

(Rires) Désolé de te décevoir, mais tu risques d’attendre très longtemps ! (rires)

Interview en visio réalisée le 5 août 2024
Merci à Anaïs de SLH Agency
Photographie promotionnelle fournie par Napalm Records / Crédit : Casey Coscarelli



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