Y a-t-il encore un effet de surprise lorsque l’on s’attend à être surpris ? Pas vraiment, nous confiait récemment en interview Manuel Gagneux, principal compositeur de Zeal & Ardor. Et pourtant, de l’inattendu, le combo suisse d’avant-garde nous en réserve une bonne dose avec GREIF, un quatrième opus aussi inclassable qu’addictif.
C’est une nouvelle approche pour Zeal & Ardor, comme une suite logique au parcours du groupe, mais certainement pas une révolution. Manuel Gagneux, jusque là seul aux commandes pour la composition et l’enregistrement des précédents albums, a choisi de s’entourer de ses acolytes en studio pour l’élaboration de GREIF. Désormais sextette, le groupe se compose des musiciens qui accompagnent Manuel en live depuis sept ans déjà : Tiziano Volante (guitare), Marc Obrist et Denis Wagner (chant), Lukas Kurmann (basse) et Marco Von Allmen (batterie). La créature change, mais l’esprit reste le même : le conformisme ? Très peu pour eux.
La créature, c’est justement ce qui est au cœur du symbolisme de l’album. Ce griffon, créature mythique, hybride de lion, d’oiseau et de serpent, qui donne son titre (allemand) à l’album, est une effigie utilisée dans une fête traditionnelle de la ville germanophone de Bâle en Suisse, d’où sont originaires les membres du groupe, très populaire auprès des enfants. De la légèreté et de l’amusement, dans un album de Zeal & Ardor ? Revoilà les imprévisibles Helvètes. Mais on retrouve également des thématiques comme le conflit, la résistance à l’oppression et même une idée de lutte des classes, y compris dans la coutume locale, mettant en scène les quartiers populaires et ouvriers face aux aristocrates.
La présence du collectif en studio, notamment au chant, apporte une force indéniable à l’album. Sur les 14 pistes de GREIF, certains morceaux courts ou interludes gospel se retrouvent magnifiés par la complémentarité des voix, comme "Go Home My Friend" ou la très rythmée "369". Le groupe se déchaîne également tout en se dérobant aux attentes, sur des morceaux plus lumineux ou éminemment dansants, bien loin du black metal furieux développé sur les premiers albums. Comment ne pas penser à Tool sur l’entêtante et progressive "Kilanova", au début plutôt sombre et au groove irrésistible porté par de superbes lignes de basse imitant le battement du cœur. "Disease" et "Thrill" évoquent quant à elles le desert rock et les lignes dynamiques accrocheuses de Queens of the Stone Age, période Songs For the Deaf.
Des réminiscences de l’enfance se multiplient, et des ovnis musicaux et interludes inattendus pourraient perdre l’auditeur, mais le fil rouge réside dans le déploiement de mélodies imparables, des sifflements de la première piste, annonçant un spectacle curieux, à l’improbable "Une ville vide", à l’air addictif, intrigant et vintage, très 8-bit, tout droit sorti des années 80. Rien à voir ? Pas si sûr… Le groupe redouble d’espiègleries sur la faussement réconfortante "Solace", à l’ambiance sombre, ou l’apparente insouciance de "Sugarcoat". Derrière les "lalala" légers, le cri de Manuel fait son apparition, tandis que la basse et les riffs se renforcent. "Clawing Out" ravira quant à elle les nostalgiques d’agressivité pure. Les sursauts, rythmiques déconstruites, cris perçants des guitares et dureté des riffs expriment un sentiment d’urgence renforcé par les incantations menaçantes et vengeresses comme animales, en latin dans le texte.
Zeal & Ardor a toujours excellé dans le maniement des contrastes, et certaines pépites ont retenu notre attention parmi la profusion de sons et d’expérimentations de GREIF. Sur "Fend You Off", c’est simple, il y a tout. Du heavy rock, des accélérations brutales et cette petite mélodie de boîte à musique jouée au carillon, réconfortante et légère. Au début de "Are you the only one now ?", c’est le calme avant la tempête. Les voix s’entremêlent sur les "lalala", avant que les hurlements et la double pédale ne fassent irruption, mais derrière le chant clair. Dans le final, tout s’accélère, mais la mélodie reste. Ironiquement peut-être, la phrase « Don’t scream in vain » est hurlée mais aussi susurrée, avant l’apaisement final.
L’antépénultième piste "Hide In Shade" sonne vraiment comme du Zeal & Ardor avec un dialogue de voix gospel, le black metal dans les accélérations impitoyables, cri et riffs en avant. À la guitare, on reconnaît la mélodie entêtante de la première piste de l’album – qui n’est autre que l’air que le groupe utilise depuis plusieurs années en guise de piste d’introduction à ses concerts. La boucle est bouclée … ou presque, puisqu’il reste une dernière piste, et pas des moindres. Premier single dévoilé par l’espiègle combo, le douce berceuse "to my ilk", teintée de blues, surprend une nouvelle fois, se dérobant aux attentes, mais marque les esprits par sa mélodie et son message touchant aussi intime qu’universel.
Explorations et vagabondages réussis pour cet audacieux monstre hybride, one-man band déjà inclassable devenu créature à six têtes, évoluant toujours bien loin des sentiers battus. Cet éclectisme décomplexé et ce dynamisme espiègle font de GREIF un objet fascinant et surtout puissamment addictif : on retourne à l’écoute avec bonheur car tout se chante, reste dans la tête, de la nuance la plus douce à la plus rude de cette explosion de couleurs, en passant par les teintes les plus étranges de ce kaléidoscope endiablé.
De quoi attendre avec encore plus d'impatience le retour de Zeal & Ardor sur scène dans nos contrées : rendez-vous le 17 septembre prochain au Zénith de Paris - La Villette pour une superbe date aux côtés de Heilung.
Tracklist GREIF :
1. The Bird, the Lion and the Wildkin - 2:24
2. Fend You Off - 3:51
3. Kilonova - 4:07
4. are you the only one now? - 4:25
5. Go home my friend - 1:55
6. Clawing out - 3:41
7. Disease - 4:34
8. 369 - 0:54
9. Thrill - 2:36
10. une ville vide - 2:04
11. Sugarcoat - 2:57
12. Solace - 3:51
13. Hide in Shade - 3:38
14. to my ilk - 2:24
GREIF, le nouvel album de Zeal & Ardor, sort le 23 août 2024.
