Motocultor 2024, J4 – Stoner, Carhaix est stoner

Dimanche 18 août 2024, Carhaix

Dernier jour de festival, avec au programme du fuzz, du gras, et de la lourdeur sous les tentes aujourd’hui, et toujours pas mal de variété sur les autres scènes. Il en faut pour tous les goûts !

Point météo du jour : le temps est encore au beau fixe sur Carhaix. Les seules tempêtes annoncées pour ce dimanche sont localisées dans les fosses des différentes scènes du Motocultor, et il s’agit de tempêtes de poussière … Nous revenons pour vous sur ce final réussi du festival dont la programmation a su rassembler les fans de styles très variés.

Nos concerts du dimanche 18 : 

En tout début d’après-midi, du côté de la Dave Mustage, c’est la prestation du trio allemand Future Palace qui nous a plutôt séduits. Le groupe mêle alt-rock mélodique et post hardcore moderne, et livre un set énergique et efficace qui met en mouvement la fosse, encouragée par la talentueuse vocaliste Maria Lessing qui alterne chant clair et hurlements hardcore avec aisance. Décharge émotionnelle de la part du jeune combo qu’il faudra suivre de près.

Entre deux concerts de stoner nous avons également beaucoup apprécié la pause électro-indus proposée par Horskh sous la Massey. Le son du combo français agrémente une base grunge de riffs tranchants, d’une rythmique ravageuse, et de grosses basses EBM, un cocktail d’une efficacité redoutable qui fait sauter et danser le public très nombreux sous le chapiteau.

Duel 

Bruce Dickinscène, 13h15

À l’instar du vendredi et du samedi, la programmation de la Bruce Dickinscène est thématique ce dimanche, mais cette fois au lieu du folk ou du punk c’est le stoner qui est à l’honneur ! Le premier groupe dans ce style est Duel, quatuor qui vient tout droit du Texas avec un nouvel album tout juste sorti à défendre, Breakfast With Death. Sans perdre de temps le set ouvre directement sur “Devil”, le premier morceau de Witchbanger, deuxième album du combo sorti en 2017.

D’emblée le stoner rock du combo est efficace et rentre-dedans. Le chant est bien rock, et tend vers un registre plus caverneux pour certains titres, notamment l’énergique “Chaos Reigns” tiré du dernier album. Tom Frank (guitare/voix) assure le chant principal, tandis que les chœurs sont assurés par Drew Potter (basse) et Jeff Henson (guitare soliste).

La setlist est équilibrée et représente chacun des albums que le quatuor américain a produit. Des quatre premiers sont tirés chacun des titres d’ouverture, énergiques. “Black Magic Summer” est sûrement un des temps forts du concert. “Strike And Disappear” est également de la partie, dont le lent riff est introduit par Tom, debout sur un des amplis basse placés dans le pit photo. L’ensemble est convaincant et satisfait les amateurs de stoner, nombreux à accueillir ce groupe en hochant les nuques et élire domicile sous la Bruce Dickinscène en ce dernier jour de festival.

Setlist Duel:
Devil
Children Of The Fire
Chaos Reigns
Fallacy
Strike And Disappear
Pyro
Black Magic Summer
Fears Of The Dead

Griffon

Supositor, 14h00

La météo est décidément capricieuse pour cette édition 2024 du Motocultor. Après avoir copieusement arrosé les festivaliers les deux premiers jours, c’est sous un peu approprié soleil radieux que certaines formations sombres ont foulé les planches. On pense notamment à 1914. Il en va de même pour Griffon, dont le black metal garde une certaine froideur, malgré la dimension politique largement mise en avant sur De Republica, le dernier album sorti en février de cette année.

 

Avant de présenter son dernier opus, le quintette commence par le précédent (ὸ θ​ε​ὀ​ς ὸ β​α​σ​ι​λ​ε​ὐ​ς, 2020) avec les épiques “Abomination” et “L’Ost Capétien”. D’emblée on apprécie la forte dynamique au sein des titres, alternants blast beats et passages plus softs, sur lesquels la batterie allie précision et toucher subtil de cymbales. On remarque aussi les nombreux passages sur bande. Si ce n’est pas surprenant avec les introductions de titres du groupe, qui racontent quelque chose et posent des ambiances, il est dommage que ceci concerne également les passages de guitare sèche.

Sur le plan vestimentaire, Griffon a un style homogène. Tout le monde est habillé en ensemble pantalon noir/chemise tachée de sang avec du maquillage noir sur la tête. Aharon (chant) a plein de faux sang sur la tête et se balade beaucoup sur scène, son chant black est bien accompagné par les deux guitaristes (Sinaï et Sylvestre), assurant les chœurs en plus de beaux solos. Nox (basse) joue aux doigts sur sa cinq cordes et propose quelques superbes lignes, même du slap.

Clairement, le groupe délivre une copie très satisfaisante sur le plan de la musique. Mais en plus, Griffon a orienté De Republica vers la tumultueuse relation entre le peuple et le pouvoir politique, particulièrement à travers le prisme du passé politique et insurrectionnel de la France. Alors lorsque “L’Homme du Tarn” démarre avec sa petite mélodie chantée sous les bruits de combats de la Première Guerre mondiale, l’émotion est intense. L’hommage à Jean Jaurès et son sacrifice pour la cause du pacifisme est poignant. Sur scène et dans la fosse, les poings sont levés sur le final que tout le monde entonne : “Maudite soit la guerre, maudites soient toutes les nations, l’union populaire, et l’insurrection” !

Setlist Griffon:
Abomination
L'Ost Capétien
A l'insurrection
Apotheosis
L'Homme du Tarn
The Ides of March

Dvne

Massey Ferguscène, 14h

Un certain monde patiente devant la Massey Ferguscène en attendant Dvne. Comme c’est fréquemment le cas en festival, le quintette vient faire ses balances en public juste avant le début de son concert, puis quitte la scène, histoire de faire son entrée officielle.

Le quintette officiant dans le post metal progressif, ses compositions sont donc naturellement longues, c’est pourquoi il n’y en aura que cinq, quatre tirées du dernier album en date, Voidkind, sorti cette année, et une issue du disque précédent, Etemen Ænka. C’est d’ailleurs ce titre, « Sì-XIV », qui ouvre le concert. Un long morceau à l’ambiance assez sombre, qui commence de façon assez rapide, multiplie les changements de rythme, alterne entre voix claire et growl, que se partagent les deux guitaristes (Victor Vicart et Dan Barter), le tout entre passages agressifs (bien rendus notamment par la basse d’Allan Paterson et la batterie de Dudley Tait) et saturés et nappes de claviers (Maxime Keller).

Cette formule se reproduit sur l’ensemble des morceaux. C’est très bien composé et très bien interprété. Le principal problème est qu’une fois de plus, le son de la Supositor Stage, la scène où jouent les groupes les plus agressifs (en l’occurrence, Griffon), s’entend beaucoup trop lors des parties les plus calmes de la musique de Dvne. Ce qui, évidemment, gâche l’immersion, cette musique jouant pas mal sur le changement d’ambiance au sein des morceaux, de la douceur à la violence.

Mais l’ensemble reste très beau, dans une veine clairement obscure, et suscite les applaudissements nourris du public. L’un des guitaristes le remercie en français dans le texte : « Nous sommes Dvne d’Edimbourg, nous sommes ravis d’être avec vous aujourd’hui », et conclura d’un « Motocultor, merci beaucoup de nous avoir eus ! On se re voit next time ». Des parties les plus saturées à celles les plus planantes, en passant par quelques passages enregistrés, un peu de djent, l’ensemble est très homogène tout en étant varié, et peut s’avérer très touchant sur les parties plus calmes. Les deux voix sont très prenantes, qu’elles s’unissent en voix claire, se lancent toutes deux dans des chants saturés, ou se répondent dans des registres différents. Un très beau concert, même si les conditions n’étaient pas idéales.

Setlist

Sì-XIV
Eleonora
Abode of the Perfect Soul
Cobalt Sun Necropolis
Sarmatæ

 

My Diligence 

Bruce Dickinscène, 14h45

La fatigue se fait sentir après trois jours de festival, et les tentes peinent quelque peu à se remplir en début d’après-midi. Les curieux sont bien présents sous la Bruce pour découvrir le groupe de post metal originaire de Bruxelles. D’emblée on est frappé par les impacts de batterie pleins d’écho et les riffs pachydermiques, qui font vite oublier que My Diligence n’est qu’un trio. Les cris de Cédric Fontaine se font saisissants et intenses, et le groupe se révèle impérial dans la déconstruction des riffs et de la rythmique. Gabriel Marlier martyrise sa batterie, la lourdeur est de mise, le rouleau-compresseur de la journée s’est mis en marche sous le chapiteau de la Bruce. Un peu trop de fumée, assez inutile d’ailleurs, se mêle à la poussière qui s’élève dans la tente en ce début d’après-midi plutôt sec.

My Diligence met en avant l’excellent Death.Horses.Black, son quatrième album sorti en mai dernier, et entame son set avec les deux premiers morceaux de la tracklist – et du titre, pépites irrésistibles de puissance et de force. Les compositions sont complexes, la vibration de la guitare rythmique intense. Il est intéressant de voir comme la complémentarité des lignes de guitares et l’accordage particulier de la six-cordes de François Peeters compense l’absence de basse dans le groupe. Les contretemps et la déconstruction mènent la danse sur “On the Wire”, tandis que “The Matter, Form and Power”, issu du précédent album sorti en 2022, rappelle la direction plus stoner du groupe par un grondement intense. À noter que le chant clair de Cédric et le son de la guitare lead sont un peu sous-mixés et parfois moins audibles que le chant hurlé et la guitare rythmique.

Les deux longs morceaux qui clôturent le set font replonger la Bruce dans le post un peu psyché à la belge. D’énormes riffs, des passages post hardcore et un ralentissement final incroyable marquent “Sacred Anchor”, avant le morceau-fleuve “Allodiplogaster Sudhausi”, épopée post metal pleine de ruptures de rythmes inquiétantes et de réverbération hypnotique. Le public apprécie, les têtes se secouent, les yeux se ferment, et les agents de sécurité, reconnaissants, se font un café. Un début d’après-midi comme on les aime du côté de la Bruce, plutôt marquée stoner sur ce dernier jour de festival.

Setlist My Diligence :

Death
Horses
On the Wire
The Matter, Form and Power
Sacred Anchor
Allodiplogaster Sudhausi

Monkey3 

Bruce Dickinscène, 16h20

La Bruce Dickinscène continue sa thématique stoner avec le groupe Monkey3. Le combo suisse est rattaché au stoner, mais avec une dimension très progressive, le tout avec une musique instrumentale. Forcément, avec ce style, les morceaux sont encore très longs. En conséquence, le quatuor suisse n’en jouera que quatre, chacun faisant entre dix minutes et un quart d’heure, dont deux tirés du dernier album en date, Welcome To The Machine.

L’ensemble est très atmosphérique, avec des passages assez expérimentaux, notamment dans la façon de faire sonner la guitare (Boris). Certains passages sont très planants, d’autres beaucoup plus lourds (menés par la basse de Jalil et la batterie de Walter) et saturés. Des bruits de machine électronique (dB) ajoutent de l’étrangeté, ainsi que des distorsions en tout genre. On pourra relever par moments un côté floydien assumé. Il peut cependant être ardu d’entrer dans l’univers du combo, d’autant que l’immersion est forcément plus compliquée en festival.

Le groupe recourt également à une scénographie pour le moins artisanale pour instaurer une ambiance planante. Ainsi, en plus de boîtiers générant de la fumée, le guitariste et le claviériste produisent autant de fumée… avec leurs cigarettes électroniques, qu’ils ne lâcheront pas du concert. Effet psyché assuré !

La tente est relativement pleine et continue de se remplir au fil du concert. Le public est calme (le genre se prête de toute façon difficilement au pogo) mais applaudit beaucoup. Bien qu’un peu difficile d’accès, la performance se révèle très intéressante.

Setlist
Collapse
Icarus
Kali Yuga
Through the Desert

Stoned Jesus 

Bruce Dickinscène, 18h05

Le public arrivé en avance peut assister aux balances de Stoned Jesus, et dès celles-ci, le son du groupe est impressionnant. Ça promet pour la suite... En même temps, sa réputation le précède.

Le guitariste et chanteur Igor Sydorenko égrène les arpèges tout doux de « Bright like the Morning », puis le bassiste Sergii Sliusar et le batteur Dmytro Zinchenko entrent, et font entendre les cymbales et le vrombissement de la basse. Le son est assez lent, lourd, à tel point que l'un des poteaux qui soutient le chapiteau vibre sous la basse et la grosse caisse.

Le vocaliste attaque le chant d'une voix douce et très belle, avant que le morceau ne s'énerve et accélère, tandis que de la fumée obscurcit la scène. Le titre est dynamique et lourd en même temps, et évolue au fil des minutes. Les acclamations pleuvent - et malheureusement, comme c'est souvent le cas avec le stoner, la fumée de cigarette avec. Le groupe enchaîne avec « Porcelain », au début lent à la basse. Le morceau a quelque chose d'aérien et terrestre à la fois.

La musique du groupe, impressionnante en studio, prend encore une autre dimension en live. Son stoner est massif sans être pesant, dynamique sans perdre de sa gravité. Des accents doom émergent parfois, ainsi qu’une forte influence progressive dans la construction de certains morceaux, et parfois un soupçon de psyché.

Stoned Jesus maîtrise les changements de rythme au sein de ses morceaux : certaines parties très agressives, tous blasts dehors, succèdent aux parties plus lentes, atmosphériques, les motifs de guitare subtils succèdent aux plans ultra saturés. La voix est tout aussi mutante, parfois haut perchée, parfois growlée. Les sons de basse vibrants sont toujours très en avant.

Après un « Thessalia » à la basse assez groovy, le chanteur explique que le groupe était venu au Motoc il y a six ans, et qu'il reviendra à l'automne (en Europe, mais hélas pas en France), prolongeant la tournée de son quinzième anniversaire. "Vous voulez entendre quelque chose de vraiment vieux ?" demande-t-il, avant d'attaquer le riff de "Smoke on the Water". Effectivement, Deep Purple, c'est vieux.

Igor Sydorenko lance ensuite de gros riffs gras, accompagné d'un chant un peu nasillard. Ce "Black Woods" a quelque chose de particulier, un peu saccadé, avec des montées vocales dans les aigus et un solo un peu classic rock. Le morceau suivant, « Here Come the Robots », a des inspirations presque sudistes, avec un roulement de batterie inspiré du « Boléro » de Ravel. Malgré un son assez reconnaissable, le groupe sait montrer une vraie diversité dans sa musique.

Évidemment, comme les autres groupes ukrainiens du week-end, le chanteur explique profiter des tournées pour « répandre la nouvelle des agressions de la Russie ». Les bénéfices du merch du groupe sont d'ailleurs selon lui reversés à des associations qui aident entre autres les Ukrainiens réfugiés et les refuges animaliers du pays. Une heure après le concert, tout sera d'ailleurs vendu. « I’m the Mountain », qui s’étire sur près d’un quart d’heure, semble encore plus progressif et habité que le reste. Sa guitare résonne encore qu’Igor Sydorenko la quitte pour aller haranguer le public d’un bout à l’autre, puis… lui lancer ses chaussures. Plus original qu’un médiator, mais plus encombrant comme collection. Il nous semblera d’ailleurs l’apercevoir avec ses chaussettes plusieurs minutes après la fin du set. Pieds nus ou pas, les Ukrainiens ont offert un concert prenant d’un bout à l’autre.

Setlist

Bright Like the Morning
Porcelain
Thessalia
Black Woods
Here Come the Robots
I'm the Mountain

Red Fang 

Bruce Dickinscène, 19h55

Le groupe américain a beau être spécialiste de l’humour potache dans ses clips qui fleurent bon l’Amérique profonde, sur scène Red Fang est à son affaire, énergique et parfaitement calé, assénant des gros riffs et lignes vocales dynamiques. Le stoner rock vrombissant des quatre sympathiques natifs de l’Oregon fait mouche dans la fosse et le public s’agite beaucoup sur les morceaux les plus rythmés, de “Night Destroyer” (issu du premier opus éponyme en 2009) à “Crows in Swine”, sur lequel les slammeurs donnent de leur personne, et les plus prudents tapent dans les mains avec enthousiasme. Le chapiteau se charge de fumée (un peu) et de poussière (beaucoup), il faut dire que les pogos se multiplient dans l’atmosphère sèche du début de soirée, déclenchés par le son très gras du mix d’ensemble, la rythmique redoutable de John Sherman, et les lignes de basse bien ronflantes signées Aaron Beam. Ce dernier profite de quelques pauses pour évoquer leur satisfaction d’être programmés le même jour que leurs potes Stoned Jesus, Clutch et Baroness, et dire qu’ils sont ravis de revenir en France après quelques années (depuis 2017 à Paris et 2019 à Lyon et Toulouse, ndlr).

Red Fang laisse de côté ses albums les plus récents (l’énergique “Arrows” est la seule rescapée de l’album du même titre sorti en 2021) pour offrir à son public une setlist de classiques enchaînés sans temps mort. À tour de rôle c’est Aaron Beam et Bryan Giles (guitare) qui assurent le chant lead, chacun apportant son identité et son énergie aux morceaux joués ce soir, dont la majorité est tirée de Murder the Mountains (2011) : “Hank is Dead” et son énergie irrésistible en ouverture, les riffs incontournables de “Malverde”, la force hypnotique de “Number Thirteen”, suivie sans transition par “Dirt Wizard”. Les headbangs sont de mise, sur scène et dans la fosse, et le public donne de la voix sur de nombreux titres, reprenant les refrains ou fredonnant les riffs de guitares, comme sur les deux redoutables morceaux de conclusion, “Sharks” et l’incontournable “Prehistoric Dog”, qui sonnent avec quelques minutes d’avance la fin de ce set heavy et dynamique du groupe qui nous avait bien manqué.

Rotting Christ 

Supositor Stage, 21h

Voir Rotting Christ en concert, c’est une expérience à part entière. Le groupe de black metal, l’un des fers de lance de la scène grecque, a toujours ajouté diverses influences à sa musique, du gothique au doom en passant par l’indus. Surtout, le groupe incorpore régulièrement des sonorités liturgiques, qui font bel et bien sonner ses performances comme des messes noires.

C’est encore le cas dès l’introduction, durant laquelle le quatuor entre en scène avec de grands drapeaux, avant d’attaquer, le chanteur guitariste Sakis Tolis scandant ses paroles avec un timbre saturé, accompagné sur le refrain par des chœurs puissants. S’ensuit « 666 », durant laquelle la double pédale du batteur Themis Tolis (frère de) couvre un peu tout le reste. Le rythme ralentit, la batterie se fait plus saccadée. En deux titres, les Hellènes arrivent à nous happer complètement.

C’est puissant, c’est violent, et c’est en même temps parfaitement envoûtant. Les éléments d’influence religieuse, notamment les voix enregistrées, confèrent une ambiance unique au set, d’autant plus que les musiciens exécutent parfois des gestes de la main qui ressemblent à un rituel, et que de la fumée finit par apparaître sur scène. Le chant de Sakis Tolis peut s’approcher de la psalmodie, mais il exécute aussi parfaitement différents cris, et des passages scandés, presque rappés. Des chœurs saturés se transforment parfois en incantations. Les voix enchaînent l’anglais, le latin et le grec.

Les guitares (Tolis et Kostas Foukarakis) peuvent être très agressives ou bien exécuter des sonorités improbables sur certains ponts et ne rechignent pas au solo. La batterie est ultra puissante, multiplie les cavalcades, alterne le tabassage en règle et un jeu plus varié, avec par exemple des sons de tambour tribal. Le côté presque hypnotique de l’ensemble est renforcé par la basse de Kostas Cheliotis, qui offre aussi une certaine variété. Le son est massif, mais, une fois plus sur ce week-end, loin d’être toujours optimal – la voix est ainsi parfois un peu noyée sous la batterie.

Le groupe va chercher des titres jusqu’en 1994, avec « Non Serviam », de l’album éponyme, suivi de la reprise de “Societas Satanas” de Thou Art Lord. Trois titres sont tirés de Kata Ton Daimona Eaytoy de 2013. Rotting Christ exécute en seconde partie de set le seul extrait de Pro Xristou, paru en mars dernier. En l’occurrence, « Like Father, Like Son », extrêmement efficace, mélodique et sombre, mais que le chanteur présente à tort comme une exclusivité.

Les moments épiques s'enchaînent, bien reçus par un public manifestement conquis. Mention spéciale à « Apage Satanas », où le chant parlé du vocaliste se mêle à des chœurs psalmodiés légèrement saturés, seulement accompagnés sur le début de la batterie. Il y a un côté très chamanique, y compris quand la basse et la guitare entrent en scène. Le rituel fait participer le public, qui s’exécute avec enthousiasme, l’ensemble parait finir dans un cri puis repart de plus belle avec tous les instruments. Le moment, superbe, est d’une puissance rare.

Le headbang se répand dans la fosse. Quelques slams apparaissent. Un assez gros wall of death se forme vers la fin du concert, éclatant en un gros circle pit. Le temps de conclure approche malheureusement, et groupe comme public se déchaînent encore plus sur « Grandis Spiritus Diavolos », le chanteur faisant sauter la foule en rythme, tandis que certains spectateurs lèvent le poing. Après un « Vive la France » de conclusion, le groupe se retire. Entre Villagers Of Ioannina City samedi et Rotting Christ dimanche, c’est un grand écart, mais celui-ci révèle la diversité et la grandeur de la scène metal grecque.

Baroness 

Bruce Dickinscène, 21h55

Il y a relativement peu de monde sous la tente de la Bruce Dickinscène pour attendre les Américains de Baroness. Il faut dire qu’en face, c’est le rouleau compresseur de Meshuggah qui joue – au cours du concert, le combo remerciera le public d’être resté malgré cette fameuse concurrence.

Le quatuor attaque avec « Last Word », morceau rapide, assez lourd, à l’ambiance desert rock, très dynamique et au son métallique. Les guitaristes John Dyer Baizley (rythmique) et Gina Gleason (lead) se répondent au chant, lui assurant le lead, tous deux en voix claire. La basse de Nick Jost prend le pouvoir sur l’outro et fait littéralement vibrer la scène.

Durant 1h10, le groupe déchaîne son desert rock aux accents stoner, post metal, parfois un peu sludge. Sa musique n’est pas avare en blast (Sebastian Thomson à la batterie), en gros riffs saturés et en scream, mais offre aussi des passages plus planants, en voix claire. Il sait amener des sonorités étranges, différents effets de guitares claires ou saturées. L’ensemble est puissant, à commencer par les voix des deux vocalistes. Certains morceaux offrent de longues plages instrumentales, parfois atmosphériques et saturées en même temps, avec de nombreux changements de rythme. Le son n’est toujours pas fameux, mais il y avait peu de chance que la situation s’améliore à trois concerts de la fin du festival.

Le public est très réceptif. Le chanteur incite ceux qui connaissent les paroles à chanter « March to the Sea », acclamé dès les premières douces notes de guitare, avant que la chanson ne s’énerve très vite. Il faut dire que sa mélodie est prenante. Quelques slams ponctuent le concert, un petit pogo se forme vers la fin du set puis s’agrandit.

La conclusion approche, les deux guitaristes se mettent en avant pour des soli, se répondant sur « The Sweetest Curse », lourd mid tempo saturé, puis John Baizley effectuant un solo guitare sur la tête pour « Isak », très rythmique et saturé. Enfin, « Take My Bones away » massif et assez rapide, déchaîne les chants dans la fosse, beaucoup de monde sautant en même temps. Une jolie conclusion pour cette journée stoner.

Setlist

Last Word
Under the Wheel
A Horse Called Golgotha
March to the Sea
Green Theme
Shock Me
Tourniquet
Chlorine & Wine
The Gnashing
Jake Leg
The Sweetest Curse
Isak
Take My Bones Away

Meshuggah 

Dave Mustage, 21h55

Du côté de la Dave (y compris dans le pit photo, où viennent se masser pas mal de musiciens ayant joué plus tôt dans la journée), la foule se presse en nombre pour accueillir la tête d’affiche du soir, mention metal extrême. L’inclassable groupe suédois formé il y a une trentaine d’années est réputé pour la qualité et la force de ses prestations live, et les frissons s’élèvent lors de l’arrivée des cinq musiciens sur scène pour un tableau impressionnant : dans un halo rouge, chaque membre du groupe se tient devant un haut panneau représentant une silhouette en combustion, artwork du dernier album, Immutable, sorti en 2022. C’est qu’un concert de Meshuggah est une véritable expérience visuelle et sensorielle, et pas uniquement musicale. Une sorte de transe est appelée par les rythmiques elliptiques, et la scénographie participe à cette ambiance, grâce aux jeux de lumières variés et aux différents décors qui se succèdent au gré de la setlist. 

Là-haut, très haut sur son perchoir, l’imperturbable Tomas Haake, les mains gantées comme à son habitude, signe une prestation impeccable de virtuosité et de précision sur des signatures rythmiques insaisissables et hallucinantes. En bas, à l’avant de la scène, ses quatre compères scrutent la fosse et s’imposent naturellement, alignés et l’air impassible. La puissance des hurlements de Jens Kidman s’élève sur les riffs impressionnants des guitares (deux fois huit cordes, il faut bien cela!) et les lignes de basse tout aussi monstrueuses de Dick Lövgren. Ce déferlement de puissance est servi ce soir par un mix extraordinaire, massif, qui fait ressortir nettement chaque instrument tout en créant un effet immersif, et d’emblée les têtes s’agitent, et des slams se lancent dès le deuxième titre, “Rational Gaze”. Trois extraits impitoyables d’Immutable sont joués en début de set, sur lesquels Frederik Thordendal signe des soli déments (“Kaleidoscope”, “God He Sees in Mirrors”), tandis que “Born In Dissonance” retourne la fosse à coups de riffs quasiment injouables, de lourdeur imparable, et de groove surprenant. Une introduction robotique introduit le diptyque tiré de Catch Thirtythree, “In Death – Is Life” et “In Death – Is Death”, aux ambiances inquiétantes et à la puissance ravageuse.

Impossible d’échapper à deux monstres sacrés de la discographie des Suédois : le rouleau compresseur “Future Breed Machine” et son introduction anxiogène et violente, avant des passages mélodiques et un solo en tapping incroyable, pépite sortie en 1995 sur Destroy Erase Improve. Et évidemment, l’épileptique et titanesque “Bleed”, cauchemar de tous les musiciens amateurs, en particulier des batteurs, accueilli bruyamment par les festivaliers comblés, dont certains tentent brièvement de taper des mains avant de se rendre compte de l’impossibilité de la tâche.

Les lumières kaléidoscopes dansent sur le grand backdrop, et ce spectacle fascinant illustre parfaitement toutes les subtilités des compositions de Meshuggah, des chemins sinueux et  décrochages complexes aux polyrythmies créant un effet hypnotique. La transe, oui, mais le sommeil, très peu pour les festivaliers qui s’agitent de façon décousue, et on aperçoit même une festivalière en fauteuil roulant se joindre au flot ininterrompu des slammeurs. Soudain, une intro électronique caractéristique annonce la colossale “Demiurge” (2002), ultime concentré de violence et de complexité, et déjà il est l’heure des adieux, et d’une ovation bien méritée. Ces soixante-dix minutes sont passées à toute allure, avec une prestation sans faute du groupe qui semble intouchable et hors du temps, novateur et classique à la fois, et, ce soir encore, impérial.

Setlist Meshuggah :

Broken Cog
Rational Gaze
Kaleidoscope
God He Sees in Mirrors
Born in Dissonance
Mind’s Mirrors
In Death - Is Life
In Death - Is Death
Future Breed Machine
Bleed
Demiurge

Avantasia

Scène, heure

Dernière tête d’affiche du festival, Avantasia n’attire manifestement pas foule. Peut-être est-ce à cause de l’horaire trop tardif du groupe, dont le set est prévu pour terminer bien après une heure du matin ? Ou de la concurrence de Clutch, largement à même de remplir la Bruce Dickinscène ? Probablement plutôt la première option, à en juger par le flot de personnes quittant le site du festival une heure avant, à la fin du set de Meshuggah. Tant pis pour les absents, le groupe de Tobias Sammet régale et propose un pur show de TA avec une scène très travaillée et des guests au poil (malgré deux absences, notamment pour cause de problème avec une certaine compagnie aérienne allemande).

Les festivaliers peuvent admirer une superbe décoration de scène, comportant un portail au fond avec des grillages et un petit muret qui cachent les sorties de pyrotechnie. Le backdrop change en fonction du titre joué, illustrant chacun des albums interprétés : l’horloge de Mystery Of Time, la lune de Moonglow ou encore l’épouvantail de The Scarecrow. Le spectacle passe aussi par le costume de Tobias (serait-ce une coïncidence ?) avec son chapeau et son beau manteau argenté, ainsi que dans les interactions qu’il a avec chacun des guest. Lorsqu’ils ont une partie de chant lead à assurer, ils quittent le spot des choristes, descendent un escalier pour rejoindre Tobias sur la scène principale et font l’animation. Nous retrouvons comme guests Adrienne Cowan, Chiara Tricarico, Geoff Tate (pas tout à fait en voix au début de “Alchemy”), Herbie Langhans et le toujours impressionnant Bob Catley.

La setlist met essentiellement à l’honneur Moonglow, The Scarecrow et le diptyque The Metal Opera, pour des alternances de moments intenses et épiques (“Reach Out For The Light”, “The Scarecrow”, “Shelter From The Rain” ou “Book Of Shallows” avec les growls d’Adrienne) et d’autres plus doux et mélodiques (“The Story Ain’t Over”, “Farewell” et le fameux “Lost In Space”, érigé en tube). Si on regrette l’absence totale de titres de la période The Wicked Symphony/The Angel Of Babylon (le guest au chant sur “Dying For An Angel” faisant partie des absents), la setlist est très satisfaisante, variée et couvre une large part de la discographie du groupe. Entre les titres, Tobias s'adresse au public avec pas mal d’humour, comme ce passage où il demande aux festivaliers leurs mains, avant de préciser “Now I need your hands ! No no, keep them, I need you to raise them”.

Le groupe se retire après “Lost In Space”, puis Tobias revient sur scène avec un piano à queue pour “Lucifer”. Première surprise, le piano s’enflamme et brûle : quel spectacle ! Il annonçait plus tôt qu’il allait mettre le feu au piano, mais on n’imaginait pas que ce serait littéral. Enfin, alors que l'horaire de fin du concert est terminé et après avoir annoncé la date française à l'Olympia (16 mars 2025), Tobias fait du rab et annonce un tout dernier titre : “Sign Of The Cross”, dans le jouissif medley avec “The Seven Angels”. Tous les guests reviennent pour un dernier moment mémorable, puis il est enfin temps de partir. Il est presque 1h35, Avantasia a bien régalé avec un set de pratiquement une heure et demie.

 

Setlist Avantasia:
Specters
Reach Out For The Light (avec Adrienne Cowan)
Alchemy (Avec Geoff Tate)
Invincible (Avec Geoff Tate)
The Scarecrow (avec Herbie Langhans)
The Story Ain't Over (avec Bob Catley et Chiara Tricarico)
Book Of Shallows (avec Adrienne Cowan)
Farewell (avec Chiara)
Shelter From The Rain (avec Herbie Langhans et Bob Catley)
Lost In Space
Lucifer
Sign Of The Cross/The Seven Angels (avec tout le monde)

Clutch 

Bruce Dickinscène, 00h05

Sous la Bruce, la musique d’intro funky, le morceau “We Need Some Money” de Chuck Brown (1984) – d’ailleurs repris par Clutch et sorti en bonus de l’album Psychic Warfare en 2015 – sonne un départ imminent, celui d’un aller simple pour les Etats Unis, avec le groupe originaire du Maryland et son stoner yankee agrémenté de funk et de blues. Fondé dans les années 1990, Clutch propose ce soir une setlist best-of de sa discographie, les morceaux des débuts s’enchaînant naturellement avec des morceaux composés vingt ans plus tard. Cela commence avec les riffs ronflants et entêtants de “Nosferatu Madre”, sorti sur le quatorzième et dernier opus du groupe, Sunrise on Slaughter Beach, avant un combo de quatre morceaux issus du premier album sorti en 1993, Transnational Speedway League.

Le redoutable “Walking in the Great Shining Path of Monster Trucks” n’a pas pris une ride, et on sent une certaine jubilation de la part des musiciens à revisiter les compos heavy rock tutoyant le metal de leurs débuts. Le bassiste Dan Maines et le guitariste Tim Sult restent plutôt stoïques, mais sans surprise le public peut compter sur un Neil Fallon en très grande forme pour animer la soirée. Le vocaliste n’hésite pas à jouer la comédie, mimer les paroles ou à s’adresser au public tout en arpentant la scène, faisant par exemple taper des mains sur le solo, avec effets, de “Escape from the Prison Planet” ou fixant les festivaliers du regard tout en chantant avec son timbre rauque et inspiré.

Tantôt crooner (au début de “Binge and Purge”, avant l’arrivée du gros cri), tantôt prêcheur comme sur l’étrange voyage spatial “Spacegrass”, tantôt crieur en chef, le charismatique et polyvalent frontman sait mettre sa puissance vocale au service de la narration et des compositions bien lourdes au groove irrésistible, comme sur “I Have the Body of John Wilkes Booth”, morceau de 1995 faisant référence à l’assassin de Lincoln.

Certains morceaux, au tempo plus rapide impulsé par l’excellent Jean-Paul Gaster à la batterie, mettent le public en mouvement sans peine : “A Shogun Named Marcus” ou “Sucker for the Witch”, au riff entêtant et au refrain accrocheur. Pour ce dernier concert du weekend, le public s’en donne à cœur joie sur les pogos et les slams, faisant s’élever des quantités impressionnantes de poussière sous le chapiteau de la Bruce, et donnant fort à faire aux agents de sécurité de Budo. Du côté de l’instrumental, ça rock sévère et tout respire la distorsion et les gros riffs, teintés de wah wah sur des morceaux emblématiques comme “El Jefe Speaks” ou “Escape From the Prison Planet”. On retrouve les mêmes effets sur la basse, groovy au possible, et des riffs ronflants de l’implacable “Slaughter Beach”, sur laquelle un globe gonflable fait son apparition dans la fosse, et les lancers se poursuivent sur toute la durée du concert.

Le voyage se poursuit dans l’ouest américain quand Neil prend sa guitare pour “The Regulator”, accompagné par le public qui tape dans les mains en rythme, ou pour “Quick Death in Texas” (introduite par un petit cours de traduction : “Merci beaucoup, or like they say in Texas : Fuck yeah!”). Le frontman sort l’harmonica et même la cowbell (ou sonnaille en français, littéralement "cloche à vache") sur la très groovy “D.C.Sound Attack !”, avant l’enchaînement final “X-Ray Visions”, au refrain mémorable et rythmé, et les riffs pachydermiques de “The Face” sorti sur Earth Rocker en 2013.   

En proposant ce soir une setlist généreuse et cohérente, qui a fait danser sous le chapiteau, Clutch a rempli le contrat avec aisance. Quelques longueurs se font peut-être sentir, surtout à cette heure tardive, mais l’ambiance est là et les applaudissements sont nourris lorsque le sympathique groupe quitte la scène.

C’est le signal pour la seconde prestation du soir, celle du public qui entame la traditionnelle chanson de remerciements adressée aux agents de sécurité ("Merci Budo") qui ont tous rejoint la barrière de la Bruce et applaudissent les festivaliers en retour. Juste retour des choses, les hommes et femmes en bleu, qui ont réceptionné avec brio des milliers de corps humains tout le weekend se lancent en toute confiance dans la fosse pour le slam des adieux, portés par le public reconnaissant. Une sympathique tradition qui se perpétue chaque année au Motoc et qui conclut de la meilleure des manières ce dimanche de festival.

Setlist Clutch :

Nosferatu Madre
Walking in the Great Shining Path of Monster Trucks
A Shogun Named Marcus
El Jefe Speaks
Binge and Purge
Earth Rocker
Sucker for the Witch
The Regulator
Slaughter Beach
Escape From the Prison Planet
Spacegrass
I Have the Body of John Wilkes Booth
A Quick Death In Texas
In Walks Barbarella
D.C. Sound Attack !
(In the Wake of) The Swollen Goat
X-Ray Visions
The Face

Textes : 
- Aude : Dvne, Monkey3, Stoned Jesus, Rotting Christ, Baroness
- Félix : Duel, Griffon, Avantasia
- Julie : My Diligence, Red Fang, Meshuggah, Clutch

 

Photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe.



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