Fort de vingt albums en près de trente ans de carrière, les teutons de Rage ont su s’imposer comme une formation culte du power, malgré une popularité relativement faible en dehors de leur frontières. Après nous avoir gratifiés d’un album véloce, lorgnant vers le thrash, les allemands ont décidé de remettre à l’honneur l’aspect le plus mélodique de leur musique. Ainsi, un an après 21, Rage décide de se produire sous un nouveau nom, The Lingua Mortis Orchestra, en référence à l’album Lingua Mortis de 1996. Cette première offrande prend place dans un contexte de chasse aux sorcières desservi au mieux par les ambiances théâtrales et symphoniques de nos teutons.
Si Lingua Mortis avait pour mérite de marquer l’une des premières collaboration entre un groupe metal et un orchestre symphonique, l’enregistrement façon « live » dans une église nuisait considérablement au son de cet album, le rendant finalement difficile à apprécier tant l’équilibre entre l’orchestre et les instruments metal y était précaire. Fort heureusement, bien des progrès ont été fait depuis et la production de nouvel album est plus que satisfaisante avec un orchestre omni présent sans pour autant éclipser le trio basse/guitare/batterie. Ainsi on est pris par les chœurs imposant de l’intro de "Cleaned By Fire" avec une orchestration très "hollywoodienne" laissant éclater, à 1’59, le motif principal du morceau. Grande réussite que ce premier titre entre lead épique de Smolsky, chant plus théâtral que jamais de Wagner et accélérations bien senties de Hilgers. Le refrain reste en tête et le renfort d’une chanteuse lyrique permet d’accentuer l’aspect dramatique de cette très belle entame.
Une dimension théâtrale qui est renforcé sur "The Devil’s Bride". L’entame au piano est très "Broadway like" et le dialogue entre Wagner et la soprano Dana Harnge nous immerge dans ce Moyen Age paranoïaque et malsain avant d’être emporté par un pre refrain superbe. On pourra déplorer la reprise du refrain par l’orchestre donnant un motif très plastique, rappelant aussi bien des génériques de télévision que le dernier Avantasia. Le soli piano/guitare à partir de 4’35 est une merveille harmonique rappelant que Smolski est l’un des meilleurs gratteux de sa génération. La conclusion de l’album, "Afterglow", s’inscrit aussi dans ce cadre comédie musicale même si la palme revient à la ballade "Lament". Ce morceau est objectivement bon, écrit dans les règles de l’art mais se monstre un peu trop typique des musical américain pour réellement subjuguer.
Est-ce que Rage a pour autant délaisser la vélocité de 21 sur ce nouvel album ? Pas totalement, à commencer par le puissant "Scapegoat" dont les growl couplés à l’orchestre rappellent la démesure de Septic Flesh avant qu’un riff heavy fasse souffrir nos cervicales, timidement il faut l’avouer. Wagner impressionne tant dans ses growl que dans son chant clair rageur avec un pre-refrain très chargé émotionnellement. Le refrain joue sur la dualité inhérente au metal symphonique avec une opposition entre les chœurs angélique et le chant burné de Wagner. Après une courte incursion orientale à 4’25, LMO revêt son côté power avec un riff massif et un solo à la croisée du metal moderne et du néoclassique. Après un interlude, "Oremus", très Pink Floyd, le groupe sort l’artillerie lourde avec l’incisif "Witchess Judge". Riff accrocheur quoique assez synthétique, double pédale en place, chant endiablé, le tout magnifié par l’orchestre avec un final tout en vitesse qui se montrera bien efficace en live.
De tous ces morceaux, "Eye For An Eye" s’avère être le plus complexe avec les arrangements les plus raffinés. Introduit par une phase tout en ambiance, l’arrivée de la lead et la progression crescendo de l’orchestre prépare un morceau très opératique avec un refrain de qualité. Mais le meilleur est encore à venir puisque le point succédant le second refrain est une pure démonstration de la maitrise que les allemand ont sur leur art. Batterie et guitare s’unissent à 4’28 sur un même thème avant de préparer le meilleur motif de l’album. En effet, l’orchestre se retrouve seul à 4’37 pour offrir un motif qui prend aux tripes faisant directement grimpé l’intensité d’un bon cran avant que Smolski n’offre encore un solo merveilleusement inspiré. La leçon de shred façon Rage s’estampe alors pour laisser place à un mouvement plus dramatique avec le chant prenant de notre soprane. Le maitre de cérémonie réapparait alors avant de lancer ses menaçant "she’s coming" suivi de la reprise finale du refrain.
Il faudra encore une fois souligner le travail d’orfèvre de Charlie Bauerfeind, producteur attitré de Rage mais aussi de Blind Guardian. Au final, si ce Lingua Mortis Orchestra ne constitue pas un nouveau chef d’œuvre du metal symphonique, il s’écoute avec un certain plaisir et tire son épingle du jeu en cette année de disette dans le style.