Heilung (+ Zeal & Ardor) à Paris (Zénith) le 17.09.24

Les costumes et maquillages de nombreux membres du public ne mentent pas : le Zénith s'apprête à accueillir plus qu'un simple concert. La tête d'affiche du soir, le collectif de folk nordique Heilung, doit en effet en grande partie son succès à la qualité de ses performances live qui s'apparentent à des cérémonies rituelles. Mais auparavant, c'est le phénomène Zeal & Ardor qui va frapper très fort. 

Zeal & Ardor 

Si à première vue le metal avant-gardiste des Suisses est assez éloigné du folk nordique de Heilung, les deux formations se rejoignent sur le côté rituel de leurs prestations. Le Zénith se teinte de rouge pour l’arrivée de Zeal & Ardor, qui présente à l’occasion de cette tournée son excellent dernier opus, GREIF, sorti il y a quelques semaines.

Vêtus de vestes noires, capuches sur la tête, les six musiciens entament dans une certaine solennité le premier titre "The Bird, the Lion and the Wildkin" (qui ouvre également l’album) à la mélodie entêtante, d’abord sous forme d’un sifflement, puis d’un riff imparable. Au centre, le guitariste, compositeur et vocaliste Manuel Gagneux est entouré des deux choristes Marc Obrist et Denis Wagner. Sur les côtés, le guitariste Tiziano Volante et Mia Rafaela Dieu, qui remplace ce soir Lukas Kurman à la basse, scrutent le public tout en signant des accords très lourds. Les headbangs sont vite de vigueur avec des morceaux très lourds aux éclats black metal ("Göterdammerung", "Tuskegee") sur lesquels la double pédale de Marco Von Allmen et les énormes hurlements de Manuel font des merveilles. Le son est excellent, fort, même si la vibration semble un peu prendre le dessus sur les passages les plus agressifs.

Quelques petits soucis techniques s’invitent d’ailleurs : au début du set par exemple, on entend très peu Denis, beaucoup moins que son comparse Marc. Un peu dommage vu le talent de l’artiste, l’énergie qu’il déploie sur scène, et la beauté des harmonies du chant mêlé de Manuel et des deux choristes, notamment sur les passages de musique gospel (comme sur "Ship on Fire"). Le problème semble heureusement réglé en milieu de set, et on peut profiter des lignes vocales inspirées des trois musiciens sur le très doux "to my ilk", ou l’emblématique et surpuissant "Death to the Holy".

Le groupe se montre extrêmement dynamique, les choristes et Tiziano sont très mobiles, font signe au public, et se ménagent pas leur peine. Manuel quant à lui impose sa présence naturellement, avec un chant à la fois chaud et puissant, et ses envolées dans des registres complètement différents, passant (presque) l’air de rien du chant clair chargé de blues à des cris saturés typiques du black metal, délivrés sur l’un ou l’autre de ses micros. Plutôt de nature réservée, et probablement pressé par le temps, il ne s’épanche pas au micro entre les titres, expliquant en français qu’ils ne feront pas trop de commentaires ce soir, mais remerciant chaleureusement les spectateurs.

Du côté du Zénith, le public montre son approbation par des headbangs et de la danse, et donne de la voix sur certains morceaux marquants issus de l’album Devil is Fine (2016), comme le morceau-titre au refrain entêtant, ou "Blood in the River", sur lequel Manuel, victime d’une panne de guitare, poursuit magistralement au chant avant de terminer le titre avec un nouvel instrument. Les morceaux issus du tout dernier album s’intègrent très bien dans la setlist, comme l’hypnotique "Kilanova" et ses accélérations redoutables, ou "Sugarcoat", évoquant un peu Queens of the Stone Age ayant mangé du lion (ou plutôt, du griffon – Greif, en allemand). Zeal & Ardor signe un final exceptionnel à son set trop court, avec le récent single "Clawing Out", concentré d’agression sur lequel d’énormes basses et des riffs meurtriers sont mis en valeur par un jeu de faisceaux lumineux et de fumée sur scène qui crée des effets visuels très sympathiques.

On se consolera de n'avoir pu profiter que de 45 minutes aux côtés des talentueux suisses en prenant rendez-vous pour les revoir, en tête d'affiche cette fois, au mois de mars 2025 à Paris (Elysée Montmartre), La Roche-sur-Yon, Toulouse et Lyon.

Setlist Zeal & Ardor : 

1. The Bird, the Lion and the Wildkin
2. Götterdämmerung
3. Ship on Fire 
4. Tuskegee
5. Blood in the River
6. Kilonova
7. to my ilk
8. Death to the Holy
9. Sugarcoat
10. Devil is Fine
11. I Caught You
12. Clawing Out

Heilung 

Le rideau noir qui masquait la scène à l’entracte tombe et dévoile un décor végétal, sur le chant des oiseaux. Kai Uwe Faust, pieds nus et vêtu d’un costume chamanique orné de clochettes et de peaux, portant une coiffe dissimulant le haut de son visage, surmontée de bois de cervidés, fait le tour de la scène et purifie avec de la sauge et des plantes médicinales les instruments, la scène, et le public. Le rituel de guérison ("Heilung", en allemand) peut commencer. Dans la fosse, des cris de loups et d’oiseaux fusent, répondant aux incantations produites sans micro par le frontman. Le reste de la troupe se met en place en rond pour la cérémonie d’ouverture introduite par les paroles sacrées déclamées en anglais « Remember we are all people ». Le serment à la nature, hymne à l’acceptation résonne dans le Zénith frémissant, entièrement à l’écoute, prêt à plonger corps et âme dans le rituel du collectif et dans sa musique, histoire amplifiée venant de l’Antiquité et du Moyen Age nordique.

Danseurs et choristes virevoltent et dansent autour du trio fondateur. Faust, leader des incantations qu’il délivre en chant guttural ou diphonique, étrange chef d’orchestre, donne le la des ambiances, des atmosphères, de la mise en scène également, par ses danses et ses gestes. L’envoûtante Maria Franz, vêtue de blanc et coiffée également de cornes, prend le devant de la scène et impressionne par sa maîtrise vocale dans des registres très variés, du chant de gorge aux lignes claires en passant par les cris suraigus et des vibrations saisissantes. Sur le côté gauche, Christopher Juul alterne chant chuchoté et harmonies en voix claire ou gutturale tout en soutenant les morceaux aux cordes frottées, aux percussions ou aux claviers – le seul instrument de la soirée à ne pas être traditionnel et ancien. Sur scène, Heilung dispose en effet d’un nombre impressionnant de tambours de toutes tailles en peaux, de plusieurs instruments à cordes, comme des vielles, ainsi que de cloches de tailles variées et de percussions en corne ou en os d’animaux ou même d'humains (comme ceux utilisés par Maria sur "Krigsgaldr", alors que le chant de gorge est partagé entre ses deux compagnons pour évoquer le chant devenu arme).

L’énergie se fait belliqueuse, sous la pulsation et le rugissement de titres guerriers, souvent accompagnés de mouvements d’un groupe de danseurs guerriers et guerrières armés de lances et de boucliers, sur "Alfadhirhaiti" introduit par des cris de loups, qui fait danser toute la fosse, ou le tribal "Hakkerskaldyr", aux allures de haka nordique.

Parmi la setlist du soir, on retiendra les titres issus de Drif sorti en 2022, chargés de mysticisme et de symbolique. Sur le contemplatif et mystérieux "Asja", les danseurs, placés en cercle, se livrent à des mouvements reprenant le visuel d’une rosace complexe projetée sur le backdrop, tandis que s’élèvent les chants complémentaires de Maria, Faust, Christopher Juul et celui des choristes. Le très beau "Tenet", accompagné aux cordes par Juul, hypnotise par ses motifs complexes et la boucle de ses paroles scandées et ses harmonies en latin. Les corps des danseurs reproduisent visuellement le triangle magique du palindrome musical et dévoilent des runes qui se lisent dans plusieurs sens, jusqu’à l’arrière de la cape de Faust, de dos sur le devant de la scène. Le rituel "Anoanoa" repose sur la puissance évocatrice du chant de Maria et des choristes et marque un moment de grâce dans la soirée.

Les tableaux s’enchaînent, puissants, foisonnants également, car il peut y avoir jusqu’à dix-sept personne sur scène en même temps en fonction des morceaux. Au fond de la scène, les deux percussionnistes complètement habités imposent un tempo primal, irrésistible. Les coups assénés et les grands mouvements presque hypnotiques invitent le public à vibrer au rythme du collectif, à le rejoindre même. Dans la fosse et dans les gradins, les pieds bougent, les bras se lèvent, les yeux se ferment, la communion semble réelle. Les chants et les tableaux confrontent le masculin et le féminin et évoquent les légendes anciennes, illustrées par des déplacements et des mouvements cérémoniels effectuées par les guerriers et chanteurs sur scène. L’image du cercle est très présente, comme pour "Svanrand" sur laquelle les couples se forment pour une danse cérémonielle portée par les harmonies féminines de Maria et des trois choristes, sur un tempo lancinant. Sur "Traust", les incantations masculines en vieux norrois et proto germanique accompagnent un rituel singulier. Une guerrière est lentement ligotée à sa lance par Faust avant d’être finalement libérée par Maria. L’intensité viscérale de "Galgaldr" repose sur le duo Faust / Maria, qui commencent et terminent le morceau au centre, tête contre tête, déclamant des mots parlés, pour une parade aussi guerrière qu’intime. Les femmes et les hommes se répondent sur ce crescendo rythmé où les corps se libèrent complètement.

Heilung offre au Zénith un final enflammé, à tous les sens du terme. Faust utilise un bâton en feu pour frapper un bouclier et introduire "Elddansurin", morceau enivrant où chanteurs et guerriers, comme en transe, se livrent à une danse qui emmène la fosse dans son sillage, entraînée par la force des percussions. La fête se poursuit sur "Hamrer Hippyer" où tous les danseurs descendent dans la fosse pour inciter le public à festoyer avec eux en chantant au plus près des spectateurs. On peut apercevoir quelques clins d’oeil à la ville hôte sur scène, quelques choristes et danseuses effectuant une roue, un début de french cancan entre deux mouvements tribaux. La cérémonie finale permet une dernière procession et de longs remerciements de toute la troupe, de nouveau purifiée par Faust avec de la sauge ou de l’encens, comme au commencement du rituel. Le frontman remercie chaleureusement le public en français, tandis que la fosse ovationne toute la troupe, se remettant doucement de cette transe partagée et de ce spectacle, certes très millimétré, mais puissant et fédérateur.

En ce soir de pleine lune, la vibration et la force du collectif a emporté, séduit, et peut-être même guéri quelques-uns des spectateurs, et le Zénith se souviendra longtemps de ce rituel unique, magique et marquant.

Setlist Heilung : 

Opening Ceremony
In Maidjan
Alfadhirhaiti
Asja
Krigsgaldr
Hakkerskaldyr
Svanrand
Tenet
Traust
Anoana
Galgaldr
Elddansurin
Hamrer Hippyer
Closing Ceremony

 

Photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe. 



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