"La musique m’a emmenée dans des endroits magnifiques"
Avec un nouvel album solo sous le bras, Colours In The Dark, Tarja Turunen, qui s'est notamment illustré dans Nightwish, figure de proue du metal symphonique, a accordé une interview à La Grosse Radio pour y évoquer ses nouvelles influences, aussi bien musicales que personnelles, ainsi que sa vision de la musique et l'évolution de son chant.
Bonjour Tarja, merci de nous accorder cette interview. Tu présentes ici ton troisième album solo, Colours In The Dark. Quel est le sens de ce titre ?
Cela concerne la musique en elle-même, ainsi que ma vie. Ma personnalité contient une certaine forme de ténèbres, dont je ne peux pas et ne veux pas me débarrasser ! Cela doit venir de l’endroit où je suis née, l’endroit où j’ai grandi et la manière dont ma vie a évolué, avec les expériences diverses que j’ai vécues. Ce n’est pas un aspect négatif pour moi, au contraire, je considère ceci comme quelque chose de positif. Je vis constamment avec les ténèbres, du coup je n’ai pas besoin de chercher un endroit qui s’y prête, je peux même écrire des chansons sur la plage ! [rires] D’un autre côté, ma vie est remplie de couleurs. La musique m’a emmenée dans des endroits magnifiques dont je n’aurais jamais rêvé. Je vois donc les rencontres que j’ai faites et les endroits que j’ai visité comme des couleurs. Je parle beaucoup de ces expériences personnelles dans l’album.
On retrouve d’ailleurs une nouvelle facette de ta musique dans cet album, plus psychédélique avec "Lucid Dreamer". Comment et pourquoi as-tu abordé cette nouvelle approche de ta musique ?
"Lucid Dreamer" vient de gens avec qui j’ai parlé qui m’ont inspirés, ceux qui sont capables de contrôler leurs rêves. Ils peuvent plonger dans leurs rêves, même des cauchemars, littéralement frapper les monstres qui sont dedans. Avant de se réveiller, ils peuvent écrire tout ce qui s’est passé dans leur rêve. C’est fascinant et c’est quelque chose que j’aimerais faire. Je fais souvent des cauchemars et ils sont terrifiants ! [rires] Pour en revenir à la chanson, il y a une partie "rêve", celle qui est vraiment psychédélique. Elle représente le cauchemar. On y entend plein de sons différents, avec des effets électroniques, des instruments en cristal, des effets orchestraux… C’était un réel plaisir d’arranger tout ça, c’est comme une bande originale, et j’adore ça. J’aimerais beaucoup en faire une dans ce genre, qui fait bien peur. D’ailleurs, on y entend un bébé… C’est le mien ! C’est une petite fille de 10 mois, Naomi, qui a déjà parcouru le monde : on n’a pas été chez nous de mars à juillet.
Cette situation ne doit pas être des plus faciles…
Non, l’expérience artistique est complètement différente quand on est mère, mais, dans le cas présent, j’ai beaucoup de chance, parce que mon mari travaille avec moi depuis quelques années et on arrive bien à travailler ensemble. Malgré la situation maintenant, on arrive chacun à s’en occuper, il est avec elle pendant la promotion et pendant les tournées nous avons une nounou qui nous aide. Mais le bébé nous facilite la tâche, elle est bien habituée aux voyages, elle ne se plaint jamais. On a rencontré beaucoup de gens pendant la tournée et la confection de l’album, qui nous disent tous que "c’est un bébé qui donne envie d’avoir des bébés."
Comment perçois-tu l’évolution de ta voix jusqu’à maintenant ?
Depuis mes débuts avec Nightwish, j’ai toujours travaillé en tant que chanteuse lyrique, c’est pour cela que j’ai toujours tenu à soigner ma voix et à la faire évoluer dans ce sens, sinon, cela serait revenu à perdre ma "main droite", sans laquelle je n’aurais pas pu contrôler la main gauche, qui représente ma partie rock. Ma voix a évolué ces dernières années, particulièrement l’année dernière. Comme j’étais enceinte, je suis restée chez moi, ce qui m’a permis de travailler ma voix comme jamais ! Ainsi, ma voix sonne beaucoup plus naturelle aujourd’hui. J’ai enfin pu maîtriser les techniques des chanteuses coloratura.
Revenons à l’album. On retrouve aussi des influences de musique classiques et de heavy metal moderne. Qu’est-ce qui t’a inspiré pour réaliser un album aussi varié ?
La musique classique a toujours été une partie de moi, comme ma main droite, mais au fil des années, j’ai trouvé qu’il y avait un bel équilibre entre le classique et le metal. Dans cet album, la partie agressive, la partie metal, vient des Etats-Unis. J’écoute beaucoup de metal américain depuis ces derniers temps, surtout Avenged Sevenfold, que je trouve très talentueux. Il y a aussi Alice In Chains, dont j’apprécie beaucoup le groove de guitares. Je n’écoute plus du tout de metal européen. Dans cet album, j’ai voulu aller plus loin dans l’aspect agressif, que les guitares sonnent vraiment "dans ta gueule". Pour cela, j’ai beaucoup travaillé dans le mix avec Tim Palmer. Elles me donnent une certaine énergie qui me pousse à continuer. L’orchestre est aussi toujours une partie difficile dans le mix, car il y a tellement de pistes à faire ressortir.
Est-ce que ce travail sur les guitares, très présent dans "Never Enough", t’a motivé pour présenter ce titre comme le premier extrait de l’album ?
Je l’ai surtout fait pour les fans à vrai dire. J’ai tourné le clip en République Tchèque, en quelques heures, avec l’équipe de production du DVD The Beauty And The Beat qui était sur place. Je trouve que c’est mieux ainsi que sur une lyric video ordinaire. C’est intéressant pour les fans, tout l’album ne leur est pas révélé, mais ils ont une vue d’ensemble de l’aspect énergique qu’il contient.
Tu t’occupes aussi de la production. Comment gères-tu cela ?
J’ai pris la décision de m’en occuper pour mon deuxième album, What Lies Beneath. J’avais déjà travaillé avec les musiciens, je me sentais plus en confiance, donc j’ai pensé que c’était la chose la plus facile à faire. Ce n’était pas facile en soi, mais certainement plus qu’engager quelqu’un à qui il faut tout expliquer depuis le début. J’étais nerveuse le premier jour de l’enregistrement de l’album, mais tout le stress s’est envolé après la première prise de Mike Terrana [batteur]. Je me souviens du sentiment de libération que cela m’a procuré ! J’ai d’ailleurs beaucoup de chance de travailler avec ces musiciens. Le processus d’enregistrement a été très fluide pour Colours In The Dark, notamment grâce à la coupure qu’il y a eue, puisque j’ai dû accoucher. Mais cela m’a permis de faire un break et d’avoir de nouvelles idées en revenant.
Je me suis toujours demandé comment cela s’est passé à tes débuts en solo, comment tu as réussi à réunir tes idées et à contacter les musiciens. Est-ce que ça a été dur ?
Oui. Pour réaliser My Winter Storm, j’ai eu l’impression d’être un enfant qui apprend à marcher. Je ne voulais pas qu’on me laisse seule. Heureusement, la maison de disques non plus, du coup j’ai pu avoir un producteur, et j’avais un contact sur qui compter dans cette entreprise, un Allemand avec qui j’avais déjà travaillé avant. A part ça, tous les musiciens étaient nouveaux. J’ai suggéré de travaillé avec certains, comme le bassiste Doug Wimbish, d’autres ont été engagés par la maison de disques, comme le guitariste Alex Scholpp. Le processus d’écriture était très difficile, je n’ai pas écrit une seule chanson avec le groupe. Tout cela s’est fait à Ibiza (Espagne) en une semaine, avec trois équipes qui travaillaient en même temps, et je courrais entre chaque en disant où il fallait composer, quand il fallait qu’ils arrêtent. Ils m’ont rendue dingue ! C’était très dur d’imposer mes idées et ma vision. J’étais avec des gens qui étaient en train de faire mes bébés en quelque sorte et je ne savais pas si je pouvais leur faire confiance. Heureusement, la majorité des personnes avec qui j’ai travaillé à ce moment-là sont toujours avec moi. J’ai beau être satisfaite de My Winter Storm et des chansons dessus, je ne veux pas répéter ce processus !
Quels sont les personnes qui t’ont inspirée en tant que musicienne ?
Bizarrement, il n’y a eu aucune femme ! Un des artistes que j’admire est Peter Gabriel. Je fais une reprise de "Darkness", une de ces chansons de l’album Up, dans Colours In The Dark. J’ai pris le travail de cette reprise très au sérieux, cette chanson m’a beaucoup affectée. Les paroles traitent de nos peurs et de comment elles ne doivent pas nous surmonter. J’ai accéléré le tempo et essayé de la faire sonner comme une de mes chansons. Du coup, si tu ne connais pas beaucoup la chanson, tu ne la reconnaitrais pas. J’utilise ma voix de poitrine dans cette chanson, chose que je ne fais jamais parce que j’ai beaucoup de mal à la contrôler. J’ai toujours été fan de Peter Gabriel. Je me souviens, en parcourant ces premiers albums solos il y a peu, je suis tombé sur d’anciennes photos et je me suis rendue compte que mon maquillage sur My Winter Storm ressemblait énormément à celui de Peter Gabriel sur scène ! [rires] Même dans cet aspect, il m’a inspirée sans que je m’en rende compte !
Concernant la prochaine tournée, qu’en est-il de la France, Y aura-t-il d’autres dates que celle au Bataclan ?
Je pense qu’il y aura plus de dates en France qu’il n’y en a jamais eu. On commence en Europe centrale en octobre, ensuite on fait une pause, puis je fais une tournée à noël et on reprend ensuite en février 2014. La tournée durera jusqu’en 2015, toujours avec un bébé avec moi !
Un dernier mot aux fans français ?
J’ai vraiment hâte de présenter Colours In The Dark sur scène en France, les fans me manquent beaucoup, tout comme ce beau pays. Je ne veux pas me limiter à Paris et jouer dans d’autres villes magnifiques !
Interview réalisée conjointement avec Carmyn.
Photos : © 2012 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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