Oliva – Raise the Curtain


Levons aujourd'hui le rideau mais surtout le voile sur ce nouvel album de l'un des acteurs-clé de la légende Savatage à la grande époque et du Trans-Siberian Orchestra, j'ai nommé Jon Oliva. Par ailleurs musicien de renom encore très respecté pour son projet solo Jon Oliva's Pain, l'homme aurait très bien pu se contenter là de ce genre d'apparitions sporadiques. Mais voilà que déboule aujourd'hui (enfin, sorti depuis un peu plus d'un mois chez AFM Records...) un autre projet éponyme inattendu, au titre révélateur de Raise the Curtain, qui nous annonce peut-être là que le vocaliste entend nous sortir le grand jeu ou bien nous parler à coeur ouvert.

 

Avant toute chose, il faut en effet bien resituer le contexte : ce lever de rideau coïncide tragiquement avec un autre chapitre qui, lui, se referme, sur la perte en 2011 de son camarade Matt LaPorte, guitariste et proche ami au sein du JOP. Le 'Mountain King' (un de ses surnoms conservé du temps de 'Tage) aura vu hélas bien d'autres frères musiciens tomber en chemin (y compris au sens personnel le plus propre...), et de son propre aveu cet album se voulait à la fois une manière d'exorciser sa douleur et de se maintenir occupé en studio, pendant qu'il réfléchirait à comment se reconstruire et remettre sur pied une nouvelle mouture de son projet solo avec Pain (c'est le cas de le dire...). Pas étonnant donc que cet album soit délibérément égoïste, composé sans aucune inhibition ni arrière-pensée et surtout sans aucun calcul, au gré des envies et des expérimentations d'Oliva seul maître à bord (c'est tout juste s'il s'est fait épauler à l'écriture par le proche Dan Fasciano). Peut-être pas non plus tout à fait anodin qu'il réveille en cours de route d'autres fantômes, en témoigne ces idées enfin exploitées de-ci de-là (peut-être avant que ne finisse par venir son heure, à lui aussi...) à partir des dernières ébauches restantes enregistrées sur cassette par Criss, le regretté petit frère guitariste (vous remarquerez les roses sur la gratte de la pochette, relecture de celle de Gutter Ballet dans une mouture qu'on aurait captée genre au "Silencio Club" de 'Mulholland Drive'...), fauché par un camion en 1993 après avoir fait les belles heures de Savatage.

 

jon oliva, raise the curtain, album 2013


Malgré donc les circonstances douloureuses de cet accouchement musical, le titre éponyme qui ouvre cet album ne donne aucunement dans du lamento ou de la marche funèbre : au contraire, la démarche artistique grandiloquente, pompeuse (mais pas au sens péjoratif du terme, sauf si rien qu'un groupe comme Styx vous file d'entrée de l'urticaire!), théâtrale et entraînante s'éloignant des canons habituels du hard rock et du métal, nous reverrait plutôt aux deux premiers Queen, voire au Magnum de Kingdom of Madness (bon, peut-être pas aussi fou-fou et tarabiscoté non plus certes!), et à toute cette clique rock progressive des années 70 type Yes et autres Genesis

Difficile en effet d'imaginer que ce disque a été enregistré en 2013, encore moins aux Morrisound Studios ! Les guitares ne débordent aucunement de distorsion en surabondance ou bien ronflante, ce sont plutôt ici des lignes rythmiques mélodiques nettement dessinées et juste appuyées quand il le faut, dans la lignée des Ritchie Blackmore, Mick Box (Uriah Heep) et autres Steve Hackett de bonne mémoire...

Mais c'est surtout au niveau des sonorités audacieuses choisies aux claviers tout au long de cet album que l'on sent là le grand amateur féru de cette période : c'est que des artistes comme les Who n'ont jamais rechigné à inclure des cuivres sur ce qui est devenu leur/le premier opéra-rock Tommy (et on retrouve un peu de cette saveur dès cette entame de disque avant qu'ils ne prennent une teneur plus dansante sur le surprenant "Ten Years"...), on ne peut pas non plus ne pas penser au folklorique d'un Kansas, aux flûtes magiques des Jethro Tull (comme ici sur la ballade "Soldier"...), ou mêmes aux initiateurs de tous ces touche-à-tout de génie et sans limites, je pense bien sûr aux Beatles de la fin des années 60's, soit ceux des derniers albums à partir de l'explosif maître-étalon Revolver ! Bref, niveau voyage dans le temps et sur le creux de la vague 'nostalgie', c'est plus que réussi... On en vient donc juste à regretter sur ce titre d'ouverture qu'Oliva ne développe pas davantage la trame vocale en une véritable chanson à part entière, puisqu'il se contente de scander le titre du morceau sous forme de choeurs emphatiques.

Heureusement, la suite répare cet écueil, même si l'homme opère également parfois quelques virage à 90 degrés... Ainsi, la deuxième piste "Soul Chaser" nous dévoile un métal mélodique direct et plus convenu, heureusement toujours avec cette teinte hard 'à l'ancienne', quelque part entre Rainbow et du Savatage. Les surprises reprennent toutefois de plus belle avec ce "Ten Years" qui évoque le croisement entre Alice Cooper et du pur 'jazzy'/cabaret ! On pourrait même aller jusqu'à évoquer l'esprit déluré d'un Devin 'Bad Devil' Townsend, la grosse artillerie en moins ! Il s'agit pourtant à la base de riffs de guitare écrits par un Criss Oliva jeune et débutant déjà bien aguerri, par-dessus lesquels le musicien expérimenté qu'est devenu son frère superpose des arrangements luxieux sur plusieurs couches quelques décennies plus tard !

 

Et c'est peu comme cela tout le long de l'album : peu importe la formule et les terrains de jeux choisis (cf ce "Father Time", entre le groove 'funky' des Doobie Brothers et la patte 'agricole' d'un Kansas, alors qu'il s'agit encore et toujours d'une vieille compo de Criss remaniée!), le 'Mountain King' parvient à y implanter sa marque de fabrique en termes d'arrangements additionnels grandioses (avec cette patte un peu 'Broadway'-like qui fait parfois grincer des dents certains grincheux...) et de refrains imparables qui seront à même de plaire à bon nombre de fans de 'power-metal' (de mêmes que certains claviers, même s'ils sont plus 'vintage' que ceux de chez Stratovarius!) et pas seulement ceux de Savatage ou du TSO.

Et c'est bien là ce qui évite d'ailleurs aux morceaux de sombrer parfois dans du 'kitschissime' indigeste même pour les plus initiés. Prenez cette ballade au piano, "Soldier" (même si on l'aurait bien amputée de sa dernière minute) : qu'est-ce qui  aurait pu l'empêcher de sonner comme du mauvais Meat Loaf sinon ce chant absolument habité d'Oliva, capable décidément de véhiculer même en studio toutes les émotions qu'il pourrait nous faire passer si l'on se trouvait seulement à quelques mètres de lui.
Capable de puissantes envolées qui raviront le métalleux qui se cache derrière le plus indécrottable des progueux, tout autant que de saisissantes intonations théâtrales (l'ombre d'un Alice Cooper plane décidément sur ce Raise the Curtain plus souvent qu'à son tour, écoutez simplement la troublante et dantesque "I Know", un des meilleurs titres de l'album d'ailleurs), parfois à vous glacer le sang (ce "Big Brother" justement, au titre sans équivoque encore une fois, et au refrain très 'Phantom of the Opera' sur sa fin...), Oliva n'est ainsi jamais aussi bon qu'à son poste initial de chanteur-caméléon, et qui plus est parmi les plus talentueux de sa génération, même si à vouloir trop en faire il nous perd quelquefois en route.

Il y a donc bien quand même quelques ratés au sein de cette machinerie bien huilée, qui font que la sauce ne prend pas toujours : ce foutoir bien judicieusement appelé "Armageddon", par exemple, qui nous filerait presque envie que le vrai nous tombe en pleine face, là tout de suite (voire nous ferait préférer le film du même nom, c'est dire...), tant il dénote par son mauvais goût 'cheap' et criard face à la classe du reste de l'opus, et avec cette fois une impression gênante de « trop d'arrangements tue l'arrangement » !... Il y a aussi ce "Stalker" aux couplets bien trop surjoués quitte à en devenir «  singés », et pas du tout en phase avec le souffle divin des orgues Hammond (qui d'ailleurs se taillent la part du lion sur ce disque, pour notre plus grand plaisir) et avec ces chouettes parties de sitar qui n'auraient pas dépareillé sur un vieux morceau 'commercial' d'Aerosmith. Même reproche à faire à la voix sur "The Witch" (malgré une bonne intro au piano et un refrain qui cette fois rattrapent le reste, ainsi qu'un jeu décontracté aux confins de celui des Who par exemple)... Il y a surtout et malgré tout un déroutant et persistent manque de cohésion de l'ensemble qui finit par irriter à la longue, nous rassurant certes sur les capacités d'écriture toujours indemnes d'Oliva, mais nous laissant à terme dubitatifs sur sa faculté à les mener à terme afin d'aboutir enfin à un chef d'oeuvre éternel digne des plus grands noms de la musique rock, ou simplement d'un artiste de son rang.

Ainsi, la fin d'album est clairement plus laborieuse que sa première moitié, exception faite de la brillante ballade 'bluesy' "Can't Get Away" (aux envolées 'Queenesques' parfois...) et du bonus-track “The Truth”, superbe pièce acoustique intimiste (avec un surprenant accordéon en fond ! Quand Kansas rencontre Soldat Louis??!...), qui fut la première de ce type écrite par les deux frangins Oliva, il y a de cela fort longtemps donc, et qui justifie donc à elle seule l'achat de la version limitée de l'album. Mais aussi réussies soient-elles, elles dénotent encore une fois avec les compos les plus 'barrées' qui, bien qu'inégales, auraient du coup gagné à faire l'objet d'un album complet à elles seules.

Encore trop bancal donc pour combler les fans de prog' comme le public plus 'mainstream', ce Raise the Curtain ne fera peut-être pas non plus l'unanimité chez le métalleux 'lambda' ou les indécrottables du 'Tage, tant il s'éparpille et ne parvient pas à garder ou complètement raviver la digne flamme et une ligne héroïque et glorieuse telles que tous - détracteurs comme inconditionnels - s'accordent à dire qu'il en brillait de mille feux chez Savatage.
Il reste toutefois une bonne illustration du potentiel et du panel musical de Jon Oliva aujourd'hui (l'homme ayant quand même cherché à donner le meilleur de lui-même, quitte à assurer quelques lignes de guitares 'lead' et parties de batterie, laissant toutes les autres à la charge des seuls autres intervenants extérieurs Howard Helm et Christopher Kinder, respectivement), que ce soit donc avec J.O.'s Pain, le Trans-Siberian Orchestra et surtout, qui sait, les bonnes surprises qu'il peut nous réserver à l'avenir, à souhaiter qu'il soit épargné cette fois par les coups du sort.

 

LeBoucherSlave

7,5/10

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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