C'est l'histoire d'un album que les fans n'attendaient plus. D'une résurrection d'un groupe jamais officiellement séparé, mais que peu de monde voyait revenir sur le devant de la scène. Et pourtant. Onde de choc quand le groupe annonce début septembre qu'il revient, avec un nouvel album, une nouvelle chanteuse, et une mini-tournée. Puis un nouvel album.
Sept ans après son dernier opus très clivant, One More Light, et le suicide de son chanteur emblématique Chester Bennington, c'est peu dire que Linkin Park est attendu au tournant. Succéder au vocaliste, iconique pour toute une génération, peut-être deux, est une situation pour le moins risquée. Pour limiter les comparaisons, le groupe a eu l'intelligente idée d'embaucher une chanteuse, Emily Armstrong. Déjà chanteuse de Dead Sara, elle avait déjà fait très bonne impression sur le livestream annonçant le retour officiel du groupe et sur les premiers singles sortis.
Le lendemain d'un concert vibrant / historique / épique / ne rayez aucune mention inutile, Warner organisait plusieurs sessions d'écoute pour la presse et quelques fans très chanceux. Dans une halle géante dédiée à l’événementiel de Saint-Ouen, nous voilà donc, téléphones enfermés dans une pochette scellée, dans une pièce vide, en petit comité, à écouter From Zero, l'un des albums les plus attendus de l'année, entourés par le son et les visuels des chansons sur les quatre murs.
Le son Linkin Park
Difficile d'avoir un avis très précis avec deux ou trois écoutes, mais une chose est sûre : l'album est fait pour retenir l'attention dès le début. D’un bout à l’autre, il possède le son de Linkin Park. Quoique cela veuille dire, car le groupe est connu pour avoir énormément évolué d'un album à l'autre. Les détracteurs de One More Light seront rassurés : From Zero est assurément metal.
Il revient d'une certaine façon aux racines de Hybrid Theory et Meteora : un son massif, agressif, très neo-metal, des scratches (Joe Hahn) très présents et des sons de basse très en avant, un triptyque basse (Dave « Phoenix » Farrell) – guitare (Brad Delson) – batterie (Colin Brittain) qui participent de la puissance du son de façon homogène sans émerger individuellement, et une alternance de voix claire, de chant saturé et de rap.
Certaines structures peuvent parfois donner l'impression de se ressembler (plusieurs titres qui commencent doucement, montent en puissance avec un premier couplet de Shinoda, ensuite rejoint par Armstrong) et on a deux ou trois fois littéralement l'impression d'entendre un ancien titre de Linkin Park (« Two Faced », par exemple). Mais outre le fait que cette sensation est loin d’être désagréable pour les fans de la première heure, le groupe tente aussi des choses.
From Zero donne l'impression que Linkin Park a voulu moderniser son identité, revenir à quelque chose de très heavy mais en même temps rester dans l'air du temps. Cela peut donner lieu à des choses très convenues, des passages trop pop, trop radio friendly - par exemple « Stained », assez insipide, que certains journalistes voient déjà comme le prochain single. « Good Things Go » laisse aussi une impression bizarre, malgré des vocalises intéressantes d’Armstrong.
Un concentré de rage
La plupart du temps, le groupe aboutit cependant à des morceaux qui non seulement sont très efficaces, mais apportent aussi quelque chose de neuf et de vraiment surprenant au son du sextette californien, comme "Overflow", avec sa vibe presque dubstep. "Cut the Bridge" se démarque aussi, avec des chœurs scandés, presque punk, morceau furieusement efficace un peu diminué par une batterie trop en avant alors qu'elle ne fait rien d'intéressant. « IGYEIH », très agressive aussi, est tout aussi réjouissante.
Mais le morceau ultime de l'album, à notre sens, est sans contexte "Casualty". Un concentré surexcité d'agressivité et de rage qui ferait passer "Given up" ou l'ensemble de Hybrid Theory pour des titres mous. Thrash, presque hardcore par moments, jamais Linkin Park n'était allé dans cette voie-là, et ça lui va terriblement bien.
Si tous les instruments sont à leur place, c'est surtout le duo vocal d'Emily Armstrong et Mike Shinoda qui retient l’attention. Shinoda est à l'aise dans le chant clair comme dans un rap au flow détendu, et réjouit quand il se met à rapper de manière beaucoup plus furieuse. Armstrong, elle, impressionne quasiment de bout en bout. Sur les trois premiers singles sortis, elle avait déjà démontré ses capacités en chant clair puissant comme plus touchant et surtout en chant saturé implacable. Elle va encore plus loin sur le reste de l'album, capable d’envolées très pop (trop à notre goût, mais bien exécutées, à l’instar de « Good Things Go ») comme de cris scandés enragés à nous en faire décrocher la mâchoire (on ne vous parlera jamais assez de « Casualty »).
Les deux voix tour à tour se complètent, se répondent, au sein des couplets et des refrains, ou bien prennent plus de place à tour de rôle – un couplet par Mike, le refrain par Emily, par exemple. Les paroles semblent aux premières écoutes toujours aussi graves, abordant des thématiques liées aux relations humaines, aux conflits, à la nécessité de se libérer de l’emprise de l’autre, au besoin d’émancipation…
De Xero à Linkin Park
Les quelques fans présents sur une session d'écoute semblent convaincus à l'écoute de l'album. Et le groupe a visiblement voulu faire doublement plaisir à son public français, puisqu'en plus du concert, Mike Shinoda, Phoenix et Colin Brittain font un passage surprise lors d'une session d'écoute, histoire de raconter le processus d'écriture – commencé de façon informelle par Shinoda, Hahn et Farrell, rejoints par Delson, plusieurs invités gravitant autour d'eux, jusqu'à ce que la décision soit prise d'intégrer définitivement Emily Armstrong et Colin Brittain, assez tard dans le processus.
Retour plus que gagnant pour les Californiens, qui contenteront les fans avides de retour aux sources et ceux en quête de nouveauté. En ce sens, le titre de l'album, référence à Xero, premier nom de Linkin Park, est parfaitement fidèle à son contenu : le groupe repart d'une certaine façon de zéro, mais sans oublier ses débuts.
From Zero de Linkin Park, sortie vendredi 15 novembre 2024 via Warner Music.
Tracklist :
1. "From Zero (Intro)" 0:22
2. "The Emptiness Machine" 3:10
3. "Cut the Bridge" 3:48
4. "Heavy Is the Crown" 2:47
5. "Over Each Other" 2:50
6. "Casualty" 2:20
7. "Overflow"3:31
8. "Two Faced" 3:03
9. "Stained" 3:05
10. "IGYEIH" Long 3:29
11. "Good Things Go" 3:29
Photos : Florentine Pautet (La Défense Arena, 3 novembre 2024). Reproduction interdite sans autorisation de la photographe.