Haken, on the top of the Mountain?
En 2010, Haken avait surpris le monde du métal progressif en sortant Aquarius, un album concept d’une fraîcheur devenue rare dans ce style musical. S’éloignant des clones de Dream Theater et développant une certaine idée de la mélodie dans ses chansons, le groupe, composé de deux membres de To-Mera, a vite acquis une reconnaissance méritée parmi ses pairs. Aujourd’hui, Haken revient avec un troisième album, faisant suite à Visions sorti en 2011. Ce dernier montrait un groupe continuant sur sa lignée qualitative, la surprise en moins. Désormais signé chez Inside Out, le groupe a aujourd'hui toutes les cartes en main pour avoir une meilleur visibilité et accéder au rang de relève du métal progressif. Illustré par une pochette faisant écho au mythe de Sisyphe (condamné à pousser un rocher en haut d’une montagne toute sa vie), le nouvel album se veut dans la lignée des précédents. Avec neuf titres pour une heure de musique, le groupe reste dans la tradition des morceaux longs, évitant cependant l’exercice de style de la pièce épique, déjà présent sur les albums précédents avec "Celestial Elixir" et "Visions".
Délaissons maintenant la forme pour nous attacher au fond. Le premier morceau, assez court, pose le thème récurrent de l’album comme une introduction, une invitation au voyage, et ce dans une magnifique version piano/voix, empreinte de mélancolie. Ross Jennings (chant), assez décrié sur la toile pour ses capacités vocales en live est ici touchant, certes, à la limite de la justesse sur certains passages. Mais cela le rend encore plus émouvant, sa voix véhiculant alors plus d’émotions que des chanteurs à la technique parfaite.
Avec "Atlas Stone", le groupe rentre dans le vif du sujet et montre qu’il est toujours capable de surprendre. La basse groove comme rarement dans ce style musical et les gros riffs laissent la place à des passages jazzy du plus bel effet.
Le travail sur les voix est ici remarquable, à l’image de l’introduction de "Cockroach King" ou encore "Because it’s there". Les harmonies vocales nous plongent tout droit dans les années 70, lorsque les groupes de prog de l’époque comme Gentle Giant osaient encore ce type d’arrangement. Par moment d’ailleurs, la voix de Jennings rappelle celle d’un Jon Anderson (Yes) lorsqu’elle atteint les notes les plus hautes. Mais Haken est un groupe de metal prog et par conséquent les guitares se veulent incisives et tranchantes par moments, comme sur "Falling Back to Earth", dense à souhait.
Les passages techniques propres au style sont nombreux, mais restent toujours étroitement liés aux mélodies. A ce sujet, "Pareidolia" n’a rien à envier à Dream Theater, rappelant par moment le "Home" des américains, par ses ambiances arabisantes. Charles Griffiths sort des plans à faire pâlir John Petrucci (écoutez donc la partie instrumentale de "Falling Back to Earth" pour vous en convaincre). Mais comme dit précédemment, la technique n’est pas au centre de l’album et les mélodies s’ancrent pour longtemps dans nos cerveaux.
Si le groupe a évité de faire une pièce épique sur cet album, deux longs morceaux retiennent notre attention : "Falling Back to Earth" et "Pareidolia" flirtent avec les dix minutes, sans que l’on se lasse. Sur ces titres, Haken fait preuve de toute sa fraîcheur musicale, et ses influences, nombreuses, sont à chercher du coté du prog classique, du métal mais également du jazz. Sur certains passages on retrouve des réminiscences de l’excellent "Celestial Elixir" (Aquarius) mais la fougue de la jeunesse a laissé la place à l’expérience de la composition. Et du même coup tout est bien dosé. La production est limpide et la basse ressort du mix, sachant se faire groovy et sautillante, puis lancinante et entêtante. Tom MacLean (Basse) réalise un travail formidable et prouve qu’il est aussi à l’aise à la basse qu’à la six corde (il est guitariste chez To-Mera) à l’image de l’intro de "Pareidolia".
Autre surprise dans cet album, les nombreuses parties de piano. Cet instrument, souvent délaissé dans le style est ici à sa place ("As Death Embraces") et marque l’ensemble des compositions par sa touche dramatique et mélancolique. Loin de la pure démonstration, le groupe se fait ici sensible et se démarque de ses « concurrents ».
Le voyage prend fin avec la sublime "Somebody", dramatique. Celle-ci tranche littéralement avec le reste de l’album et le groupe nous montre une nouvelle facette de sa personnalité. Dommage cependant que cette piste n’arrive qu’à la fin, on aurait pu apprécier d’autres morceaux dans cette veine.
Haken démontre avec ce nouvel album qu’il est désormais un incontournable de la scène metal prog, sachant apporter de la fraîcheur à ce style qui peut avoir tendance à tourner un peu en rond. Qualitativement meilleur que Visions, il n’atteint toutefois pas la perfection mélodique d’Aquarius, peut-être car l’effet de surprise n’est plus là. Mais cet album saura tout de même vous régaler par ses mélodies entêtantes et ses harmonies vocales et risque de tourner longtemps dans vos platines.
Note 8,5/10
Photographie promotionnelle DR