Vous en aviez rêvé, nous l'avons fait ! C'est en un lendemain de concert très réussi à la Maroquinerie avec son nouveau groupe, The Winery Dogs, que mon collègue Vyuuse & moi-même sommes partis nous entretenir avec Mike Portnoy !
Le légendaire batteur a abordé moult sujets avec nous, dont pêle-mèle : ses groupes du moment, le festival / croisière qu'il prépare, le trouble d'hyperactivité qui le caractérise, et même Dream Theater... de lui-même.
Carmyn : La première fois que je t’ai vu en solo, Mike, pour ma part, était avec Adrenaline Mob à la Maroquinerie de Paris en juin 2012. Hier soir, tu jouais avec Billy Sheehan & Richie Kotzen dans la même salle, pourtant l’atmosphère était radicalement différente.
Mike : C’était une autre énergie, c’était un tout autre groupe ! Adrenaline Mob c’est vraiment les gros riffs bien lourds, taquet tout le temps, tandis que dans The Winery Dogs il y a un esprit beaucoup plus ‘jam’, avec une notion exacerbée de virtuosité individuelle, et notamment la voix soul / bluesy de Richie. C’est beaucoup plus pépère comme musique, la vibe est différente.
Carmyn : Tu jouis d’une position plutôt spéciale pour un batteur dans le monde du metal : tu nous présentes beaucoup de projets différents ces dernières années, et ces jours-ci tu es de retour avec un line-up minimal et une approche plutôt « back to the roots ». Est-ce quelque chose que tu avais planifié longtemps à l’avance ? Quel est ton ressenti par rapport à ce projet ?
Mike : Tout a démarré du fait que j’avais vraiment envie de bosser avec Billy Sheehan. Nous avions déjà le PSMS, qui était de la musique expérimentale, et voulions passer à un power trio à l’ancienne. Quand Richie Kotzen est monté à bord, cette amorce s’est faite tout naturellement. De la même manière que tous les projets que je vous ai présentés récemment représentent différentes facettes de ma personnalité musicale, le style dans lequel évolue The Winery Dogs est aussi une partie très importante de mon background : j’ai grandi en écoutant The Who, The Beatles, Led Zeppelin, et je n’avais jusque-là jamais rendu hommage à ces groupes avec un projet avec compositions personnelles.
Carmyn : Jusque ces toutes dernières années, je t’avoue que je te voyais comme un musicien plutôt « intello », à cause de ton approche progressive et alambiquée. The Winery Dogs vient contrecarrer un peu ça ; mais en même temps, il faut une sacrée dextérité et un sacré niveau pour réussir à jouer les chansons que vous jouez. Elles sonnent simples, mais ne le sont en réalité pas vraiment…
Mike : The Winery Dogs, c’est une musique orientée voix et mélodie. Nous tentons d’écrire de bonnes chansons, c’est tout. Pas de montrer ce dont nous sommes capables, en termes de prouesse technique. Les chansons de 15 min, j’ai déjà donné et ça va deux secondes. La seule raison pour laquelle j’ai quitté Dream Theater était pour réaliser de nouvelles choses, pour trouver de nouveaux stimuli et défis artistiques. Toute ma vie j’ai joué sur un kit énorme, et là ça fait un bien fou pour moi de jouer sur un kit minimal, pour une fois. Et puis cette image d’ »intello de la musique » est une illusion ! Je suis plus proche d’un gars comme Vinnie Paul que d’un vrai matheux de la musique. Je suis un metalleux !
Vyuuse : Tu as changé ta façon d’écrire de la musique, sur ce coup-ci, non ?
Mike : Nous avons composé toutes les chansons ensemble, avec Billy & Richie. Dans la même pièce, à jammer ensemble et à voir ce que notre alchimie produit de beau. Et c’est d’ailleurs la manière par laquelle j’ai toujours collaboré. Dans tous mes projets. Construire ensemble est ma devise. Les projets dans lesquels les types s’envoient des bandes par email, et écrivent leurs chansons comme ça, me barbent profondément. Il n’y a rien de créatif là-dedans, c’est juste du cachet là… Toute la beauté d’une collaboration réside dans le brainstorming entre les musiciens concernés.
Vyuuse : Est-ce que The Winery Dogs est le groupe d’un album, ou prévoyez-vous de continuer à bosser ensemble dans le futur ?
Mike : Nous aimerions tous les trois continuer à bosser ensemble ! Nous avons déjà booké, chacun de notre côté, toute l’année à venir pour tourner avec cette mouture, donc on est assez sérieux avec ce groupe.
Carmyn : Au concert d’hier, vous avez promis de revenir jouer l’année prochaine pour nous ! Par ailleurs, tu as dit quelque chose d’intéressant à un moment, selon quoi l’audience présente aurait permis à ton groupe de faire sold out avant même que l’album ne sorte !
Mike : C’est dingue ça ! J’ai adoré le show d’hier… Paris a toujours eu une place spéciale dans mon cœur, je trouve que nous avons une bonne connexion. Bien que les conditions soient parfois pas évidentes, on s’en fiche éperdument et on aime au contraire cette ambiance confinée, avec tous les ratés que cela sous-entend ! Hier, c’était un préambule à ce qui va venir. Je suis pressé de construire notre relation avec le public français, autour de ce groupe.
Carmyn : Tu es un hyperactif notoire, Mike. Avec Dream Theater, tu avais écrit la chanson « Constant Motion », faisant directement référence à ce trouble dont tu souffrais. Et dont beaucoup de gens souffrent, mine de… Comment vis-tu avec ça, au quotidien ?
Mike : J’ai cinq groupes en ce moment-même… Chaque matin, lorsque je me lève, j’ouvre mes emails et je découvre une quantité de messages concernant des décisions à prendre pour chacun d’eux. J’ai toujours été comme ça, et je n’entrevoie pas la vie autrement. Juste avant que nous attaquions cette nouvelle tournée, j’étais posé à la maison et au bout de quelques jours, je suis devenu fou ! C’est partie intégrante de ma personnalité, je ne le fais pas exprès. Lorsque j’ai rencontré John Petrucci & John Myung et que nous avons formé Dream Theater, ils ont directement compris comment je fonctionnais, et j’ai endossé tout un tas de fonctions, car ça collait à qui j’étais. Eux n’étaient pas comme ça, hyperactifs. C’est comme ça que nos personnalités ont collé, et que la sauce a pris. Lars Ulrich de Metallica est comme ça aussi, et c’est la raison pour laquelle je l’ai toujours admiré. Ses fonctions et compétences s’étendent bien au-delà du simple fait de jouer de la batterie.
Vyuuse : Tu as évoqué tout à l’heure le nom de « Progressive Nation ». Peux-tu nous en parler un peu ?
Mike : J’ai eu cette idée de réaliser ce spectacle à l’époque où j’étais encore dans Dream Theater. Et c’est d’ailleurs un des privilèges que j’ai réussi à conserver de mon divorce avec eux, que le copyright de ce spectacle. C’est Derek Sherinian qui m’a approché un jour avec l’idée d’en faire une croisière. Il ne connaissait pas beaucoup de groupes prog, alors je me suis chargé de l’aspect créatif de ce projet, tandis que lui a eu l’impulsion « business » de départ. J’ai contacté pas mal de groupes, après avoir réalisé mon « affiche de rêve ». Ca va être très cool ! Mais attention, nous n’exporterons pas ce projet. Si vous voulez voir le spectacle, il faudra venir à nous, car au niveau de la logistique, c’est impossible de déplacer tous ces groupes. Woodstock était un « one time shot » aussi, et c’est un peu l’idée ici !
Carmyn : Avec qui aimerais-tu bosser à l’avenir ? Y a-t-il une collaboration rêvée pour toi, et que tu n’as pas encore concrétisée ?
Mike : Oui ! Avec Mike Akerfeldt d’Opeth ! Mais c’est dans les rangs. J’aimerais aussi beaucoup bosser avec les mecs d’Anthrax, de Pantera, de Megadeth, de Slayer, par exemple, sur un projet original. J’ai déjà joué avec pas mal de ces gars en live, mais je n’ai jamais crée avec eux.
Carmyn : Sur ton site internet perso, il y a une section très intéressante où tu évoques tes influences, albums et groupes préférés. On y retrouve notamment, curieusement, des disques de hip hop. Tu penses un jour nous proposer un projet qui va dans ce sens ?
Mike : Je suis un gros fan de hip hop des 90’s ; les Beasty Boys, Public Enemy, Ice Cube, etc… Mais le jour où le rap est devenu ‘poppy’, là j’ai décroché totalement. A l’époque d’Images & Words, je me rappelle avoir apporté pas mal de ces influs dans notre musique. Prends « Take The Time » par exemple ! Le groove et la production de ces artistes était tout simplement dingues. Leurs rythmes, leurs patterns, et leurs samples aussi. J’étais très fan. Ca c’est perdu depuis. Il faut dire que les lois sur le sampling ont changé aux USA depuis, et donc c’est tout un monde qui a disparu avec.
Vyuuse : The Winery Dogs doit être très bien reçu aux USA, non ? C’est exactement leur came si je ne me trompe !
Mike : Bien vu ! Nous sommes en effet très bien reçus. Quand le disque est sorti, il est entré direct dans le Billboard et dans les charts. Il passe aussi sur les radios. Le style appâte beaucoup le public US, qui est friand de ce genre de compositions plus directes, plus rock. Il est drôle de voir à quel point les publics sont différents d’un continent à l’autre. L’Europe est beaucoup plus prog ! J’ai cru, dans un premier temps, que The Winery Dogs serait reçu plus froidement ici. Mais ça n’a pas été le cas. Mais c’est peut-être car les trois membres le composant ont déjà une fanbase existante ici.
Vyuuse : On te laisse les derniers mots en français !
Mike : « Merci beaucoup, je t’aime Paris ! » Ok je me répète souvent… Quand je pense que j’ai fait sept ans de français à l’école…
Liens utiles :
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Photos : © 2012 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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