Pour la sortie de leur deuxième album Liminal, La Grosse Radio s'est entretenue par Skype avec Tymon Kruidenier, leader du quatuor hollandais Exivious. Au cours d'une interview fleuve, il est revenu sur l'élaboration de l'album, la campagne de financement participatif qui a permis son élaboration, son expérience avec Cynic, et beaucoup, beaucoup d'autre choses !
Vous êtes de retour le huit novembre avec votre deuxième album, intitulé Liminal. Comment le décrirais-tu, notamment par rapport au premier album ?
Hum, c’est toujours une question difficile pour le groupe ! Pour nous, c’est une nouvelle étape qui s’insère très logiquement dans notre parcours. Je n’aime pas trop utiliser le terme plus "mature", mais le fait est que c’est le cas pour nous. Liminal est un album qui est plus équilibré, à presque tous les niveaux, en fait. Il y a moins de plans techniques "dans ta face", et on s’est vraiment concentré sur les structures des chansons, pour leur donner un meilleur flux, plutôt que d’essayer de mélanger deux genres musicaux et tout ce qu’on a fait sur notre premier album. On voulait faire quelque chose qui soit plus plaisant à écouter, mais aussi plus sympa à jouer en concert, cet aspect est important à nos yeux.
Comment écrivez vous vos chansons, et est-ce que cela a changé avec les années ?
Notre manière de composer n’a pas vraiment changé. J’ai écrit la majorité des chansons, et Michel (Nienhuis, deuxième guitariste) a écrit le reste. C’est donc plutôt la même chose que la dernière fois. On a étudié la musique ensemble, et nous sommes chacun habitué à travailler de notre côté. Le cœur et la structure des chansons est fini quand on les montre aux autres. On échange pas mal avec Michel sur différents détails, et si on a des incertitudes, on en discute. Chacun écrit ses parties pour les chansons de l’autre, et quand on est satisfait, on les passe à Uma (batterie) et Robin (basse) pour qu’ils écrivent leurs parties. Une chose a changé par contre : nous n’avons pas écrit de parties de basse sur cet album, ce qu’on a beaucoup fait avec le premier. Cette fois, Robin a pu écrire entièrement ses parties. On a essayé de faire de même pour la batterie, mais c’était plus compliqué, car il y a beaucoup d’idées qui sont très rythmiques à la base. Il était donc difficile de ne pas préécrire les parties de batterie. Donc pour la majorité des morceaux, nous avons programmé des arrangements de batterie. Evidemment, Uma a pu remanier ce qu’il voulait et faire sa propre tambouille.
Après quelques écoutes, on se rend vite compte que Liminal est bien différent du premier album. Pour moi il sonne plus brillant et moins "dérangeant" . Etait-ce intentionnel ?
L’intention était surtout de faire quelque chose de plus honnête. Je pense que le premier album sonne parfois un peu trop forcé. Et en termes de production, il sonne un peu trop "moelleux" à mes oreilles. Le nouvel album sonne plus « sec » et plus direct, particulièrement pour les parties qui envoient. Liminal a aussi un coté étiré, post rock et même épique parfois. Ca aussi, c’est clairement voulu de notre part, et c’est une grosse différence par rapport au premier album.
Avec du recul, qu’est-ce que tu penses avoir retiré de ton expérience avec Cynic, en tant que musicien par exemple ?
Haha, question intéressante ! J’ai énormément appris avec Cynic. Etre dans ce groupe m’a apporté énormément d’expérience professionnelle, mais plus par rapport à la vie en tournée, comment gérer le fait d’être musicien dans sa vie quotidienne, ce genre de choses. Et aussi comment gérer un groupe, et toute la logistique que cela implique, le business, je crois que c’est la chose la plus importante que j’ai retirée en étant dans ce groupe. Après, musicalement, je ne crois pas avoir été influencé.
Et est-ce qu’il y a eu des points négatifs là-dedans ?
Pas vraiment, c’était une expérience super intéressante pour Robin et moi. C’était notre première aventure musicale vraiment professionnelle, et nous étions des énormes fans de Cynic à l’époque, c’était donc génial à tous les niveaux. Mais au bout d’un moment, le problème a été que j’avais besoin de m’exprimer pleinement, d'un point de vue artistique. Je ne suis pas trop du genre à suivre les autres. Après un temps, il est vrai que je n’étais plus un simple musicien de session, et que j’avais un rôle important dans ce qui allait devenir l’album de Cynic qui va sortir dans quelques mois. Mais toujours est-il que ce n’était pas mon projet. Cynic est le groupe de Paul Masvidal. Et c’est quelque chose que je comprends totalement d’ailleurs, parce que c’est exactement la même chose avec Exivious : c’est mon groupe. Je n’étais pas vraiment satisfait de ma place dans Cynic, donc on a décidé d’arrêter, et de se concentrer à nouveau sur Exivious.
Après avoir été un groupe indépendant pendant toutes ces années, est-ce que tu penses que c’est une bonne option pour mener un bon projet musical, professionnel, mais aussi financièrement acceptable ?
La réponse à cette question est complexe. Dans Exivious, nous avons toujours aimé le fait de tout faire nous même de A à Z pour mener à bien le projet, que ça soit l’enregistrement ou la mise en vente de nos albums. Et si on pouvait, on serait toujours indépendants à l’heure actuelle. En fait, on en a énormément discuté avec d’autres musiciens et des personnes impliquées dans l’industrie musicale. Et nous sommes arrivés à la conclusion que ce n’était pas possible pour nous de procéder ainsi aujourd’hui. C’est presque le cas, mais pas encore. Il semblerait que si tu veux avoir un groupe professionnel, avec des tournées, de la promo’ et tout ce qui va avec, l’aide d’un label est toujours extrêmement importante à l’heure où je te parle : pour la promotion, pour que ton disque soit vraiment dans les bacs des boutiques, etc… D’un autre côté, il est vrai qu’aujourdui, même si tu as un label, tu as toujours énormément de choses à faire par toi-même. L’époque où le label se chargeait de tout est bel et bien révolue. Donc en un sens, je nous considère toujours comme indépendants, même si nous avons signé chez Season of Mist. Nous prenons toutes les décisions importantes, et Season ne fait "que" nous aider à promouvoir l’album, tourner… C’est une extension de ce qu’on fait nous même. Et c’est vraiment génial, d’ailleurs ! C’est aussi pour ça que j’aime travailler avec eux ! Ils ne s’opposent à aucune prise de position artistique, ils aiment des groupes, ils les signent et ils les aident.
Quel genre de contrat avez-vous signé avec Season of Mist ? C’est secret peut être ? [rires]
Oh, je crois que ça ne pose pas de problèmes. C’est un contrat pour deux albums, donc le prochain sera aussi avec eux. Et on a aussi fait un contrat de licence plutôt intéressant. Vois-tu, quand tu signes un contrat avec label, dans la grande majorité des cas, ils te prennent les droits d’auteur sur ta musique pour presque toute ta vie. Avec Season of Mist, il est commun de signer la licence pour un nombre d’années moins important. Par exemple, les droits d’auteur de Liminal leur appartiennent pour les quinze prochaines années, et après ça, on récupèrera les droits, et on pourra faire ce qu’on veut avec l’album. Je trouve ça plutôt sympa de ne pas céder mes droits pour l’éternité ! [rires]
J’ai vu que vous aviez aussi signé un contrat avec un agent de tournée. Est-ce que ça veut dire que vous avez déjà des plans pour de tournée ?
Notre objectif principal est … De tourner autant que possible ! [rires] Et ce qu’on aimerait faire, au moins pour les deux premières années, serait faire groupe d’ouverture pour plein de groupes plus importants que nous ! Tu sais, on est toujours un groupe assez confidentiel, et ça serait génial qu’un groupe accepte de nous prendre avec eux. Et j’espère que ça va marcher. Ce qui est vraiment cool, c’est que je me suis fait pas mal de contacts lorsque j’étais avec Cynic.
Ironie du destin, Cynic va bientôt sortir son nouvel album. Que penserais-tu d’une tournée avec eux ?
C’est une question que beaucoup de gens aiment nous poser. Je ne sais pas si ça pourrait le faire, mais c’est sûr que ça pourrait être intéressant. Le gros défaut d’un tel plan est qu’une grande partie des fans de Cynic nous connaissent déjà. En termes de promotion, cela ne nous apporterait pas tant de nouvelle exposition que ça. Et le principe de la tournée est avant tout de faire la promotion de ton groupe, donc… J’aimerais plutôt jouer devant des personnes qui n’ont jamais entendu parler d’Exivious.
Sans transition : quelles sont tes influences musicales majeures ?
Déjà, je pense que beaucoup de mes influences ne viennent pas directement de la musique. Sinon, musicalement, aujourd’hui, je dirais qu’elles sont vraiment très larges. Ca change pas mal. Evidemment, j’ai toujours cet héritage venant du métal et du métal technique que j’écoutais quand j’étais plus jeune, et même si je n’écoute plus ça aujourd’hui, ça restera toujours une influence majeure pour moi. Après, il y a tellement de choses… En fait, j’aime tout, du moment que ça sonne bien pour moi ! Par exemple, j’aime beaucoup le nouvel album de Daft Punk. Aussi, je pense que si tu n’écoutes qu’un type de musique, tu seras trop influencé par ce dernier, et tu vas sonner comme ça. Je n’aime pas trop ça, particulièrement pour ce qu’on fait avec Exivious. C’est pour ça que j’écoute très peu de musique quand je compose. Et quand j’en écoute, c’est toujours quelque chose de très différent de ce que je fais, et du coup, je ne peux pas être influencé de la mauvaise manière.
Et quelles sont vos influences au sein d’Exivious globalement ?
On aime tout ce qui est rythmiquement intense. Donc cette part d’influence vient surtout du métal, je suppose. Meshuggah est évidemment une grosse influence pour nous, même si nous avons une approche totalement différente. Ce qu’ils font est tellement intéressant et élaboré ! La scène fusion est aussi une grosse influence pour nous, même si elle est moins présente sur ce deuxième album. Je dirais aussi le post rock, à la fois musicalement mais aussi dans l’attitude. Et c’est beaucoup plus sympa à jouer en concert. Si tu dois regarder ton manche pendant le concert et être toujours très concentré, c’est un peu ennuyeux, tu vois ? Donc c’est sympa d’avoir des parties plus aérées qui sont plus sympas à jouer et qui permettent de vraiment profiter du concert. Et c’est plutôt nouveau pour nous.
Est-ce que le fait que l’album soit en majeure partie financé par les fans t’a influencé d’une manière ou d’une autre ?
Pas vraiment, et c’est le cas, on va dire que ça nous a poussé à faire aussi mieux que l’on pouvait, mais pour nous-mêmes. Le truc quand tu montes ce genre de campagne de financement participatif, c’est que tu n’as aucune idée de si ça va marcher ou pas, en terme de ventes. Et pour nous, c’était vraiment génial de voir que les gens nous ont fait confiance, sans savoir ce qu’on allait faire, ni vraiment écouté quoi que ce soit issu de ce projet. Donc ce qu’il nous restait à faire était d’avoir confiance en nous. En espérant que ça plaira à d’autres après ! La seule pression que l’on a ressentie dans le groupe par rapport à ça est le temps. On a ouvert la campagne en décembre dernier, et l’album n’est toujours pas sorti. Donc en un sens, je me sens presque coupable d’avoir tardé à le sortir ! [rires]
Donc, après l’avoir essayé, que penses-tu du principe de financement participatif appliqué à la création d’un album ?
C’est mortel ! Et j’espère que ça pourra représenter une manière d’opérer pour des plus petits groupes à l’avenir. On n’a pas eu besoin d’aller vers un label et les supplier de nous donner de l’argent pour pouvoir enregistrer l’album. Et d’ailleurs, l’argent que t’avance un label dans ce cas-là, tu es censé le rembourser avec les ventes d’albums donc c’est vraiment mieux pour un groupe de procéder ainsi. Et c’est intéressant de voir que de tels projets peuvent marcher alors que l’industrie musicale est dans un état assez déplorable aujourd’hui, en tout cas pour les ventes d’albums. Et en plus, tu peux impliquer les personnes qui t’aident dans le processus créatif, et c’est ce qu’on a fait pour Liminal avec la couverture de l’album. Et ça peut paraître à l’eau de rose de le dire, mais Liminal n’aurait vraiment pas pu être comme il a été fait sans l’aide de tout le monde !
Et donc, tu penses que ce procédé peut être une solution face à la situation actuelle de l’industrie musicale ?
Je l’espère vraiment. Le défaut de cela est qu’il faut en un sens déjà avoir une certaine réputation avec de lancer ce type de projet. On a la chance d’avoir, parmi les gens qui nous écoutent, beaucoup de personnes qui soutiennent le groupe en achetant des cds et des t-shirts. Mais pour un nouveau groupe, avec des membres inconnus, ça serait très difficile de faire marcher un tel projet ! Donc il y a toujours ce gap où tu as besoin d’une exposition, où tu as toujours actuellement besoin d’un label. C’est le seul vrai défaut de ce procédé, mais j’espère que dans le futur, tout groupe pourra avoir recours au financement participatif.
Est-ce que l’album était déjà écrit avant que vous commenciez la campagne ?
Oui, puisque nous venions de finir d’enregistrer la batterie quand nous l’avons commencé. Après, la majeure partie des soli sur cet album ont été improvisés. On aime vraiment procéder ainsi. Je crois qu’il n’y a qu’un seul solo qui soit vraiment écrit sur cet album. Evidemment, ce n’est pas de l’improvisation live, où tu n’as aucun filet de sécurité. Là, on enregistre tout, donc on peut corriger. Mais on essaye au maximum d’avoir une démarche spontanée ! Et c’est quelquechose qui n’est pas énormément pratiqué dans le monde du métal. Donc c’est sympa d’essayer !
Sur Deeply Woven, on peut entendre un instrument à vent. Lequel est-ce ?
C’est du saxophone soprano, joué par le suédois Jonas Knutsson. Il a fait un solo vraiment incroyable sur l’album solo de Fredrik Thordendal, Sol Niger Within. On aime tous tellement ce solo que, quand on s’est demandé qui pourrait le faire, on a tout de suite pensé à lui, et il a vraiment fait du super boulot.
Et si je ne me trompe pas, on entendu le même instrument sur Embrace The Unknown ?
Sur cette chanson, c’est moi qui imite le son de cet instrument à la guitare ! [rires] J’ai obtenu ça avec un VG 88 Roland. C’est ça qui crée cette sorte d’émulation d’instrument à vent.
Pour le premier album, vous avez tout financé vous-même. Pourquoi ne pas avoir procédé cette fois ?
On aurait pu sortir l’album avec un budget moins important, mais on ne voulait pas ! [rires] Particulièrement pour la batterie, on voulait enregistrer ça dans un studio de luxe. Tu sais, dans le métal, la plupart des batteries ont des sons factices et trafiqués, quand elles ne sont pas tout simplement programmées ! Les parties de batterie sur Liminal sont complètement naturelles. Pour le reste, j’ai un petit studio chez moi où on a enregistré le reste de l’album, et je voulais acheter du nouveau matériel, plus professionnel et pour faire sonner l’album aussi bien que possible.
Quelles sont tes dernières découvertes musicales qui t’ont vraiment mis une claque ??
[étant sur Skype, il cherche sur son ordinateur]
Laisse moi regarder sur mon ordinateur, j’oublie toujours ce genre de choses ! Il y a tellement de choses là-dedans, c’est devenu difficile de savoir quoi écouter à notre époque ! Et je crois que plus tu vieillis, plus ça devient difficile de se prendre de vraies claques en musique. Et c’est assez chiant d’ailleurs. J’aimerais découvrir plus souvent des groupes qui m’impressionnent.
[après une longue recherche, il ne trouve finalement rien]
C’est bien triste, mais je n’ai pas trouvé de groupe qui correspond à ta question ! Si je dois tout de même mentionner un groupe, ça serait Gorguts, et leur dernier album Colored Sands, qui est vraiment superbe. C’est très contemporain et très bien pensé. J’aime aussi Anciients. Encore un groupe signé chez Season of Mist, mais je te jure que c’est une coïncidence ! [rires] Le nouvel album de Karnivool est assez sympa aussi. Je ne pensais pas qu’ils feraient quelque chose d’aussi peu accessible. Avec quelques écoutes, on peut vraiment l’apprécier.
Pour le mastering de l’album, Exivious avait demandé sur sa page Facebook ce que les fans aimeraient comme mastering. Quel était l’avis du groupe sur ce sujet ?
En fait, j’étais intéressé de savoir si les fans auraient aimé un mastering compressé et très fort, ou un mastering plutôt dynamique et old school. Finalement, on a choisi un équilibre entre les deux options. L’album n’est pas doux, mais il n’est pas non plus très fort. Si tu joues le dernier album de Metallica et notre album, Liminal va sonner plutôt silencieux en comparaison ! Mais, on peut aussi espérer qu’il sonnera mieux ! [rires]
Vous avez participé à la très acclamée et réussie tournée Omnivium, avec Obscura, Spawn of Possession et Gorod. Que peux-tu nous dire là-dessus ?
Oh, c’était dément ! C’était notre première tournée avec Exivious, donc juste le fait de pouvoir tourner était génial. Et on s’est bien marré, parce qu’on était tous dans le même bus, et c’était un bon regroupement d’amis. D’ailleurs, je remercie encore Obscura de nous avoir proposé de venir sur cette tournée ! Ils sont vraiment sympas, ils font de la bonne musique, et c’était super d’avoir cette opportunité.
La question de guitariste : Tu utilises l’Axe FX, à la fois en studio et en live. Est-ce que tu penses donc que l’utilisation d’un ampli n’est plus vraiment pertinente de nos jours ?
C’est une question très difficile. Je pense qu’utiliser un ampli sera toujours pertinent. Pour moi, c’est juste qu’utiliser l’Axe FX me permet d’économiser beaucoup d’argent en matériel. Tout ce que je peux émuler avec l’Axe FX, je n’ai pas besoin de l’acheter, a priori. Et de l’autre côté, je suis plus habitué à utiliser ce genre de technologie qu’un bon vieil ampli. J’ai grandi avec ce genre d’outil, donc c’est une démarche naturelle pour moi. Je n’aime pas trop le son d’un ampli branché sur un baffle.
Dernière question : as-tu un mot pour vos fans français et nos lecteurs ?
Merci à tous ceux qui ont précommandé l’album. On vient de finir de s’occuper des précommandes, et il y en a beaucoup qui viennent de France ! Et j’espère qu’on pourra venir jouer chez vous bientôt, parce que c’est toujours très sympa de jouer en France !