Si le nom de Darkestrah n'est jamais venu chatouiller vos douces et chastes oreilles, vous avez raté votre vie, ni plus ni moins. Oui je sais, c'est dur mais c'est comme ça. Mais comme toute erreur n'est pas irréparable, il existe peut-être une solution miracle pour vous repentir de cet immonde pêché.
Déjà, quelques précisions sur la formation du jour, qui a une particularité : nos confrères metalleux proviennent du Kirghizistan. Si ça, c'est pas de l’exotisme ! Nos nomades constructeurs de yourtes officient pourtant dans le registre plus ou moins apprécié du black metal, leur permettant ainsi de s'asseoir sur une légère réputation « underground », d'où leur relocalisation en Allemagne. Dans ce contexte, il est également à souligner le départ d'Anti, composante importante pour le combo. On retrouve ainsi Ragnar à la guitare et Cerritus à la basse, ce qui aura son petit impact sur la musique, mais vous en saurez plus en temps et en heure.
S'il fallait résumer Darkestrah en un mot : Epos. La troisième galette kirghize est un délice, tout simplement, ne contenant pourtant qu'un unique morceau de trente trois minutes … qui passent à la vitesse de la lumière. Se jeter dessus n'est pas recommandé, c'est exigé, au risque de passer à côté d'un incontournable. Et faut dire que la suite, The Great Silk Road, est absolument alléchante également. Inutile de dire que ce disque tourne encore très régulièrement chez votre serviteur. S'il a fallu patienter cinq longues années entre la sortie de ce dernier opus et The Great Silk Road, les amateurs ont pu se mettre Khagan sous la dent, un EP sympathique (à défaut d'être inoubliable) avec, merci messieurs et madame, une piste éponyme à tomber. Cinquième offrande de la part du quintette, ÐœÐ°Ð½Ð°Ñ porte sur ses épaules la lourde tâche de succéder à deux albums d'une qualité incroyable.
Autant briser le suspens immédiatement : ce disque tient toutes ses promesses. Un successeur plus que digne, une continuité parfaite … ou presque. Certaines caractéristiques qui forgent toute la personnalité si intrigante de Darkestrah se retrouvent sur cette mouture. A commencer par la sensation plus qu'intense de dépaysement offerte par le combo, apparaissant via de multiples facteurs. Déjà, la présence des instruments traditionnels inhérents à la culture kirghize réussit à faire son petit effet. Sans jamais tomber dans le kitsch, dans la surenchère et se risquer à paraître ridicule, les cinq jeunes (ou peut-être pas) musiciens incorporent cet ingrédient qui semble à présent indispensable, dans le but de rajouter un soupçon d'authenticité à cette mixture au goût intense. Ces petites touches ne sont pas réellement omniprésentes, mais uniquement là pour appuyer le déploiement des diverses ambiances qui font de Darkestrah la formation qu'elle est aujourd'hui (l'instrumentale « КыргызÑтан », le début de « МанаÑ-Батыр »). Mais si les retrouvailles avec ces éléments que l'on connaît si bien sont toujours plaisantes, on ne peut dire qu'il n'y a pas renouvellement de leur musique (crainte pourtant justifiable après Khagan) …
A défaut de trouver une photo promo ...
Et sans doute le départ d'Anti n'y est pas étranger, car jamais la musique de la formation n'a semblé aussi épique, aussi lourde et axée sur la création de ces atmosphères qui octroient à la musique délivrée tout ce charme. En réalité, on pourrait même affirmer que les compositions se sont globalement bien affranchies du carcan BM dans lequel on pouvait les enfermer pour proposer un panel désormais bien plus large et plus varié sur ce МанаÑ. Jamais les ambiances chamaniques n'auront été aussi centrales (« МанаÑ-ÐœÑтитель », « МанаÑ-Батыр » et ses bruits de sabre, ses chevaux, son chant de gorge …), pour trancher avec la férocité des cavalcades de riffs, bien moins nombreuses mais aussi beaucoup plus précises et créatives. La guitare est à présent bien plus lourde et lente, jouant le rôle d’accompagnatrice des ambiances, mais jamais reléguée au second plan, sa contribution étant évidemment une nécessité pour instaurer tout ce cadre. Elle n'est bien sûr par la seule actrice de cette grande réussite.
L'offrande n'est pas dispensée de rares longueurs, qui s'estompent face à la majesté des ambiances. La musique, désormais plus atmosphérique, se rapproche ainsi bien plus de ses racines pour nous offrir une véritable image de carte postale du Kirghizistan. Et encore, c'est très réducteur. C'est plutôt un long trajet dans de superbes décors, qui nous fait voyager les yeux fermés. Le travail aux claviers de Resurgemus est dantesque. Cette composante est, sur МанаÑ, bien mieux intégrée que par le passé, comblant tous les vides qui risqueraient de se former par la structure des pistes, souvent longues et riches. Mais quelle intensité ! Qu'importe la forme qu'ils vont y mettre, Darkestrah a ce don pour diversifier son propos et occuper le temps qui lui est imparti sans ennuyer. Les superbes parties de violon de « МанаÑ-ÐœÑтитель » ne sont pas sans évoquer ce fantastique point d'orgue offert sur « Khagan » par ce même instrument. Ces envolées instrumentales sont d'autant plus audibles que la production n'a jamais été aussi bonne, possédant une grande clarté sans être trop propre, lisse et fade. Ainsi, tout ressort magnifié, pour une plus grande cohérence du résultat final.
Ce disque est également une belle occasion de constater les progrès vocaux de Kriegtalith, qui officie toujours au poste de chanteuse et offre un panel bien plus large qu'à ses débuts. S'essayant désormais au chant clair, force est de constater que la frontwoman maîtrise extrêmement bien cet exercice, avec un timbre grave évoquant tout de suite Masha (Arkona). Son approche du chant extrême est également différente. Elle semble moins linéaire, tout en gardant ce côté expressif qui forme une partie de son identité vocale. On a ainsi moins l'impression d'entendre une vieille sorcière mourante nous conter les histoires de son peuple. La guide y est plus rassurante, bien que son chant possède une empreinte mélancolique de grande beauté (flagrant sur la fin de « ПамÑÑ‚ÑŒ »).
Finalement, un long discours n'est pas forcément la façon la plus passionnante pour susciter l'envie de se plonger dans la beauté de МанаÑ. Mais s'il est une sortie qu'il ne faut pas manquer cette année, c'est bien celle-ci. En épurant sa musique, en accentuant la dimension épique et l'aspect traditionnel de son propos, Darkestrah gagne en simplicité mais, surtout, évite la répétition. Remettant ainsi en cause sa propre œuvre passée, se lançant dans un registre qui, s'il ne constitue pas une énorme révolution, reste tout de même une exploration vers de nouveaux horizons, la troupe kirghize impressionne une fois de plus. Je ne sais pas s'il est possible d'effectuer une comparaison qualitative entre Epos, The Great Silk Road et ÐœÐ°Ð½Ð°Ñ tant ils possèdent tous les trois leur propre aura. Ce qui est certain, c'est que les kirghizes en mettent plein la vue. Comment s'offrir un voyage au Kirghizistan à prix réduit ? Écoutez donc Darkestrah.