Les 'signes' qui ne trompent pas...
Avant de s'attacher à des considérations plus 'artistiques', attardons-nous déjà un instant sur l'aspect purement stratégique d'une telle sortie. Car Orchid nous avait, rappelons-nous, déjà gratifié d'un The Mouths of Madness en demi-teinte cette année, et ce The Zodiac Sessions paru le 15 novembre (déjà leur 4ème sortie sur leur nouvelle écurie Nuclear Blast, après deux EP et un LP) n'est donc pas, loin s'en faut, un nouvel album. Même si cela aurait eu au moins le mérite de nous rassurer, mais nous allons y revenir...
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Il s'agit en vérité de la réédition des deux premières sorties de la formation, le mythique premier album Capricorn de 2011 (celui-ci se voyant propulsé fort logiquement en tête de la 'tracklist' !) et l'EP originel Through the Devil's Doorway qui l'avait précédé deux ans plus tôt. Tous deux étant parus sur le premier label indépendant du groupe (The Church Within Records) avec une diffusion plus confidentielle, il aurait été donc étonnant (même si l'on ne s'y serait peut-être pas attendu aussi tôt) qu'à la suite de leur signature chez un label au circuit de distribution plus que conséquent (!) - pour la sortie de l'EP Heretic l'année passée - ces derniers, forts de la notoriété nouvelle du groupe - n'en profitent pas pour rendre ces deux réalisations emblématiques dans la discographie d'Orchid accessibles à tout un chacun et pour leur propre compte cette fois (récupérant ainsi des droits dessus).
Nuclear Blast a donc bien fait les choses sur ce coup-là (au-delà du côté disons 'discutable' du procédé, mais on n'est pas non plus dans le secret des dieux...) en compilant le tout et en offrant un petit «ravalement de façade» à l'ensemble : tout d'abord via un nouvel 'artwork' toujours signé de la griffe du chanteur Theo Mindell - et toujours aussi 'vintage' ! - , ensuite en ayant recours à un petit « remastering » qui, disons-le tout de suite profite surtout aux derniers titres (ceux de l'EP de leurs débuts, dont la production était forcément plus limite faute de moyens) qui gardent quand même les contours gras et 'boueux' qu'on leur connaissait, Capricorn quant à lui ne perdant rien de son mordant initial - telle était la seule crainte que l'on pouvait nourrir face à ces « mangeurs d'âmes » que sont parfois les ingé-sons mandatés venant pointer après le consciencieux travail d'un tiers.
En revanche, pour ceux qui auraient espéré avoir ne serait-ce qu'un petit "bonus track" à se mettre sous la dent, circulez, y'a rien à voir ! On peut certes imaginer que d'ici quelques temps le label sera probablement bien inspiré de sortir une version 'Deluxe' de The Mouths of Madness avec en bonus ou sur un deuxième CD les deux EPs sortis entre temps (et encore tout frais, finalement), qu'il aurait été donc un peu incongru de faire figurer ici. Mais il est fort dommage qu'Orchid n'ait apparemment aucun titre inédit supplémentaire en réserve, voire une petite 'cover' de derrière les fagots ! Bref...
Pour le reste, comment vous décrire autrement une perle telle que Capricorn, si ce n'est en martelant que cet album est la « Bible » du groupe... Tout y est déjà, un son 'vintage' 100% AOC à en pleurer de bonheur, une décontraction insolente au service de compos pourtant plus que carrées, une saveur forcément 'Black Sabbath' de l'Âge d'Or plein les papilles (non, je n'ai pas dit "traces de poudre plein les nasaux" !...), à tel point que certains n'ont pas tardé - ça commençait déjà... - à crier au scandale à l'écoute notamment d'un "Black Funeral", certes relecture flagrante du "Hand of Doom" de Paranoïd (mais ô combien audacieuse toutefois dans ses fulgurantes envolées !).
Reste que, d'une part les influences de nos Américains sont loins de se limiter à ça : dans ses moments les plus 'doom' tels "He Who Walks Alone" ou "Electric Father", planent fortement l'ombre d'un Saint Vitus par exemple (et plus loin, un titre de l'EP comme "Eastern Woman" n'irait-il pas jusqu'à nous évoquer - et provoquer - un certain Trouble, tiens ?!)... D'autre part, serions-nous assez hypocrites pour bouder notre plaisir et aller trouver à y redire ?! Je suis certain qu'il se trouverait un paquet de déçus boudant en revanche le dernier Sabbath, et qui retrouveraient un brin d'espoir, la banane (mince je l'ai dit, je voulais pas, Monsieur le Juge !) et le sourire jusqu'aux oreilles à l'écoute de ces Zodiac Sessions ! Jusqu'à ce qu'on leur explique la méprise bien sûr...
Car cet opus est bien là la meilleure contre-attaque que l'on puisse adresser à tous ceux qui nous certifient que le 13 de la bande à Iommi (sans amoindrir ses autres qualités du reste...) serait un pur retour en arrière à l'esprit et au son des 70's et des quatre premiers albums ! Non, cent fois non, l'expérience acquise entretemps par les quatre d'Aston (minus Bill Ward) se faisait également et autrement sentir, et la nostalgie d'un 'revival' s'y soldait parfois par un rendu pâteux/pataud qui pouvait nous laisser sceptique quant à savoir si les vétérans avaient encore ou non en eux la fibre sacrée de l'époque, soyons honnêtes.
Ce n'est point le cas de ces Zodiac Sessions ressorties de leur placard, et qui sonneront toujours aussi fraîches qu'on les exhume dans 10, 20 ou 30 ans, tout en se situant authentiquement dans la lignée de l'héritage et de l'esprit vieux 'Sabbath', un peu comme s'il s'agissait là du chaînon manquant entre Sabotage et un Technical Ecstasy trop abrupt dans son changement radical de direction... On retrouve en effet ici l'agressivité et le côté sombre du premier cité - ce sentiment d'urgence peut-être - et la fougue insouciante plus juvénile des quatre premiers chefs d'oeuvre du 'Sabbat Noir', mais le tout alimenté de rythmiques vindicatives balancées telles un bras d'honneur de 'jeune péteux' (une « quenelle », dirait-on aujourd'hui pour faire 'tendance'...) à la façon Ricaine, ce qui n'est pas non plus sans nous évoquer les Kyuss dans leurs saillies les plus radicales...
Dès lors, comment résister à la « douche froide » du refrain (typé "Hole in the Sky" sur Sabotage) de "Capricorn" ? (qui est aussi d'ailleurs le titre d'un morceau de Motörhead, et on parierait bien un bon vieux Jack 'Single Barrel' que Papy-Lemmy himself - bon repos à lui, et qu'il nous enterre tous... - ne manquerait pas de dodeliner de la tête devant un 'groove' aussi « graisseux » !) De même, comment ne pas tomber en admiration devant l'implacabilité d'un "Eastern Woman" ou d'un "No One Makes A Sound", qui sont à classer dans la catégorie 'tubes' de tout bon dictionnaire de synonymes qui se respecte ? Ne succomberez-vous pas non plus à l'invitation au voyage d'un "Albatross" psyché en diable, auquel il n'y a pas une note à rajouter et qui parvient à nous emporter encore plus haut que celui de Baudelaire, allant même jusqu'à faire passer le surestimé "Planet Caravan" pour une simple séance de pipe à eau pour lycéens 'bohèmes' ?... En effet, malgré les fréquents emprunts à Sabbath, Orchid avait ce don hors du commun de donner à ses titres une autre vie et une identité bien à eux, ce qui fait que jamais on n'ira crier au total plagiat comme on aurait tendance à le faire sur l'éprouvant et bien mal-nommé The Mouths of Madness...
Ailleurs, les guitares mélodiques chaudes et racées (en dehors des 'leads' s'entend) tout comme l'ambiance dramatico-théâtrale ("Masters of it All") nous feraient d'ailleurs moins songer à Iommi qu'à la paire de fins limiers chez Blue Öyster Cult, voire le Uriah Heep de la période 'John Lawton' (la ligne mélodique précédant les couplets de "Capricorn" n'a-t-elle pas un petit quelque chose du toucher de Mick Box, genre "Sympathy" de l'ère Firefly ?!...) Miam, prenez et mangez-en tous, tiens !
La pochette originale du premier album...
Alors, comment expliquer ce qui a changé depuis chez Orchid, et qui fait qu'on ne trouve plus tant de cachet à leurs dernières sorties, si l'attitude du groupe, elle, est restée la même ? Il faudrait peut-être pour cela interviewer les ingésons et l'équipe des studios où ont eu lieu les prises de son pour ces différents enregistrements. Car plus que dans le compos en elles-même, toute la différence ayant trait aux moments de grâce et de 'magie' - plus encore au grain de 'folie' - se situe certainement là...
Car les sessions 'Zodiacales' étaient avant tout marquées par une dimension 'live' tout autant détendue qu'électrique, où chaque riff semble littéralement « jaillir », et où la voix possédée de Mindell nous captive de long en long, là où on sentirait aujourd'hui le frontman plus concentré, plus inhibé qu'imbibé, imprégné pardon! (jusqu'à en paraître distant, comme loin derrière...), et le groupe dans le même genre de posture moins prompt à se lâcher, plus sur ses gardes quant à la marche à suivre, tâtonnant désormais le terrain avec plus de prudence avant de faire le moindre (faux) pas, devenu ainsi presque aussi inoffensif qu'une petite bête craintive aux abois et repliée sur elle-même...
Car à l'inverse la 'tracklist' désormais mise bout à bout de ces premiers méfaits sonores - même si avec le recul Through the Devil's Doorway et ses titres vite expédiés tient davantage du 'brouillon' de ce qui allait suivre... - a tout de l'ultime playlist du rock, du stoner et du doom réunis tant elle coule d'elle-même avec une limpidité, une fluidité et un plaisir jamais remis en question (c'est à peine si on ne recommanderait pas un 'état second' pour pouvoir pleinement savourer un "Cosmonaut of Three" dans les meilleures conditions possibles !...), quand à l'inverse celle d'un The Mouths of Madness dans son intégralité ne s'arracherait qu'à grand-peine, et voit notre esprit distrait à plusieurs reprises.
Car c'est peut-être tout simplement là la différence entre un 'classique' qui ne mourra jamais et un album juste tout à fait correct (qu'on ne saurait trop "bâcher" du fait de la sympathie que l'on éprouve forcément pour un groupe doté d'un tel savoir-faire ancestral devenu si rare), mais qui sera à coup sûr relégué au rang de réalisation mineure dans la discographie du groupe une fois que celle-ci sera plus fournie, d'ici à quelques années.
Je n'apprends donc là rien de nouveau à ceux « qui savent », qui chérissent déjà l'édition originale de cet album et - moins nombreux peut-être - ceux qui ont également une tendresse particulière pour le premier EP fondateur. Lesquels peuvent donc continuer à bichonner régulièrement leurs vinyls d'origine (qui vont d'ailleurs voir encore leur cote monter, en toute logique), même si les fans 'die-hard' et les collectionneurs voudront forcément mettre de côté pour un jour écouter avec curiosité le relifting sonore (tout relatif) de leurs disques bien-aimés, et se délecter du chouette artwork de cette nouvelle mouture, ainsi que du plaisir de retrouver sur un seul et même support rien de moins que les meilleurs titres d'Orchid à ce jour, en espérant à l'avenir et même très vite qu'ils se recomptent de nouveau sur les doigts des deux mains... On ne se repose pas sur ses lauriers, Messieurs, si vous ne voulez pas que le bouquet d'orchidées se transforme trop vite en un lit de chrysanthèmes !
LeBoucherSlave
9/10
(pour ceux qui ne connaissent/possèdent pas encore)
5,5/10
(pour les autres... et pour l'opportunisme de la démarche)