Entretien avec les membres d’Illuminati

La Grosse Radio a récemment fait la découverte de ce bijou qu’est The Core, le premier album d’Illuminati. Etant donné la qualité indéniable de leur musique, nous avons souhaité interroger le groupe sur la genèse de l’album, ainsi que leurs projets  musicaux à venir, pour ce qui est la première interview d’Illuminati pour un média français. Nous avons rencontré un groupe soudé, passionné et surtout plein d’humour.

Salut à vous trois! Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions pour La Grosse Radio. Nous allons commencer par une brève présentation : pouvez-nous nous raconter comment cette aventure a débutée ?

Andrei : Salut ! Tout d’abord nous avons commencé à jouer ensemble au début de l’année 2008. Je connaissais déjà Petre, nous avons grandis dans la même ville et avons passé une partie de notre enfance ensemble à jammer, écouter du metal et à découvrir les secrets de la guitare. Quelques années plus tard, j’ai rencontré Matei lors d’un concert hommage à Chuck Shuldiner (Death) au cours duquel je jouait avec mon groupe de l’époque, Intolerance ;  il m’a tout simplement bluffé par sa passion pour cette musique complexe qu’est le Death technique. Depuis cette époque nous sommes restés ensemble et avons développé une connexion spirituelle et artistique.

Matei :  « Bonsoir » (en français dans le texte). En ce qui me concerne, je m’appelle Matei et je joue de la basse et de la batterie (en plus d’autres instruments divers) sur The Core. Pour compléter ce que vient de dire Andrei, durant ce concert hommage à Chuck, j’ai été ébloui par ses capacités guitaristiques durant le soundcheck. Il m’a rappelé des guitaristes tels que Mike Davis (Nocturnus), Michael Estes (Acheron), Muhammed Suicmez (Necrophagist) ou Ron Jarzombeck (Watchtower). C’était assez incroyable. Je lui ai donc dit qu’il venait de devenir mon guitariste préféré de toute la Roumanie. Un an après nous étions impliqués dans un tribute à My Dying Bride et c’est là que j’ai fini par rencontrer Petre.

Petre : Pour ma part, je suis Petre Iftimie et je joue de la guitare dans Illuminati ainsi que dans Taine (un autre groupe de death progressif). Avec Andrei, nous nous connaissons en effet depuis le lycée, mais notre première collaboration musicale remonte à 2008 ; il m’avait envoyé des riffs qui plus tard ont fini sur le morceau "The Core". Nous étions à la recherche d’un batteur à l’époque et cette quête a pris fin lors de la rencontre avec Matei sur le tribute à My Dying Bride. Nous avons été impressionnés par ses qualité de batteur et sa créativité et avons commencé à travailler ensemble.

A l’écoute de The Core, on identifie facilement les influences, notamment la scène Death technique des années 90.  Ecoutez vous exclusivement ce type de musique ou bien êtes vous aussi influencés par d’autres styles ?

Petre : Non, je n’écoute pas que ça et d’ailleurs je pense que les gens ne devraient pas se cantonner à un seul style de musique. La scène dont tu parles a bien évidemment joué un énorme rôle dans mon éducation musicale et j’apprécie toujours Pestilence, Gorguts, Atheist ou Cynic. Ces groupes m’ont ouvert les yeux et m’ont donné envie d’amener mon niveau de guitare et ma façon de composer à un niveau plus élevé. De plus, leur travail a apporté énormément d’un point de vue artistique en général. Mais en dehors du Death metal progressif, j’écoute aussi beaucoup d’artistes fusion comme Frank Gambale ou Allan Holdsworth, du djent, du punk, mais aussi des choses comme de la dubstep ou de la pop. En gros, un peu de tout, puisque la diversité musicale est toujours enrichissante dans ton travail.

Matei : De mon côté, c’est plus ou moins pareil ; à un moment, j’ai énormément écouté du death Prog et du Thrash metal. Puis je me suis intéressé au jazz. Puis je suis rentré de plein fouet dans l’histoire de la musique en général et je me suis mis à écouter tous les styles musicaux. Mais durant la composition et l’enregistrement de l’album je suis revenu aux fondamentaux pour retrouver l’atmosphère qui m’avait tant plu sur ces albums. Je souhaitais en effet que mon jeu de batterie sonne authentique sans en faire trop. Je ne suis peut être pas le batteur le plus précis du monde, mais au moins j’ai de bonnes intentions ! (rires).

Je dois admettre que j’ai été très impressionné en voyant la liste d’invités sur votre album. Tout d’abord, comment avez-vous réussi à les contacter et à les convaincre ? Sont-ils venus en studio enregistrer leurs parties ou avez-vous procédé à des envois de fichiers par mail ?

Andrei : Tout le mérite revient à Matei !

Matei : Oui, j’étais déjà ami avec la moitié d’entre eux et j’ai convaincu l’autre moitié en leur révélant  la liste des guests déjà prévus  (même si ces derniers n’avaient encore rien confirmé) afin de les impressionner. C’est une sorte de tactique bien rôdée dans l’industrie musicale (rires), mais bien entendu, ils n’auraient pas accepté s’ils n’avaient pas apprécié la musique.

Petre : Tout s’est ensuite déroulé par échanges de fichiers.

Avez vous écrit chaque chanson avec une voix particulière en tête ? Par exemple sur Gulliver’s Extraordinary Journey la voix de Dan Mongrain colle particulièrement au morceau et on a l’impression d’entendre une nouvelle chanson de Martyr.

Matei : Bonne question ! Je dois admettre que j’aime la voix d’Andrei, mais pour certains passages, j’avais d’autre voix en tête. J’ai tenté d’analyser les influences sur chaque morceaux et d’imaginer la voix de certains vocalistes pour chaque chanson. La partie chantée par Dan Mongrain est en 5/4 et est plus axée sur la technicité des riffs que sur quelque chose de progressif, ce qui est quelque chose régulièrement fait par Martyr. Donc j’ai plus facilement imaginé sa voix que celle de Luc Lemay par exemple, qui sonne vraiment mieux et plus possédée sur les passages plus lents (comme pour "Domino Spine"). Toutes les paroles étaient écrites bien avant de choisir les interprètes et c’est là toute la complexité de la chose pour déterminer qui allait chanter quoi.

Petre : Lorsque nous avons écris l’album, il ne me serait jamais venu à l’idée que nous puissions collaborer avec ces invités, qui sont en quelque sorte nos idoles. Tout cela est venu bien après l’écriture des morceaux.

Comment composez vous, sachant que Matei est à la fois batteur et bassiste? N’est-ce pas trop compliqué de jammer juste tous les trois dans ces conditions ?

Andrei : La majeure partie des riffs a été composée chez nous, chacun de notre coté, puis nous nous sommes mis d’accord pour donner une certaine logique et une structure aux morceaux.  Mais afin de trouver les transitions entre les différentes parties, nous avons choisi de jammer. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à trouver un bassiste assez impliqué pour prendre part au processus créatif.

Matei : En plus de la batterie et de la basse, je joue également de la guitare, mais je ne peux pas rentrer en compétition avec ces deux virtuoses ! (rires). Avant d’enregistrer les morceaux, nous avons déjà joué en live avec un bassiste, et ce durant trois concerts (Sep, du groupe Taine, dans lequel Petre joue également). Mais ça a toujours été compliqué pour nos bassiste d’apprendre et de s’approprier des riffs aussi alambiqués. Du coup nous avons toujours répété en tant que trio. Dans un premier temps, j’essayais d’apprendre les riffs de guitare et de les reproduire à la basse, et une fois ceux-ci acquis, j’ai tenté différentes choses, car je ne voulais pas que la basse soit identique à la guitare, mais seulement en plus grave. C’est un peu l’approche qu’a Tony Choy sur "Unquestionable Presence" et cela m’a en partie influencé. Sur l’album, j’ai l’impression que mes parties de basse sont meilleures que mon jeu de batterie.

Pensez vous que la liste d’invités sur l’album vous a donné une meilleure visibilité et vous a permis de mieux le vendre ?

Petre : C’est certain qu’une telle guest list attire l’attention de pas mal de gens qui n’auraient pas pris le temps de s’intéresser à nous et c’est certainement ce qui les a motivé à cliquer sur le bouton Play sur notre bandcamp, tout comme à acheter l’album.

Andrei : Cette liste d’invité n’avait pourtant pas comme objectif de nous faire de la pub pour vendre l’album ; c’était surtout un moyen de s’assurer que nous faisions une musique de qualité. Si ces musiciens n’avaient pas aimé les chansons, ils n’auraient pas choisi d’y participer, pas vrai ?

Matei : C’est sûr que cette liste est la principale raison pour laquelle nous sortons des frontières de notre propre pays. C’est aussi la raison de cette interview (rires). Mais comme l’a dit Andrei, avant de penser à une quelconque publicité, nous avons pensé à nous même et à combien ça serait cool d’avoir ces musiciens sur nos morceaux ! En ce qui me concerne, je suis un immense fan boy, ce qui m’a permis de rencontrer énormément d’artistes. C’était avant tout un rêve devenu réalité.

Ces invités sont pour la plupart des musiciens et chanteurs reconnus, qui ont une carrière déjà bien établie. Vous ont-ils donné quelques conseils pour survivre dans cette jungle qu’est l’industrie musicale, ainsi que des conseils concernant la production de l’album ?

Andrei : Je pense que tout le monde aurait besoin de conseils pour survivre dans cette jungle! (rire).

Petre : Concernant la production de l’album, elle a été réalisée par Tymon, donc c’était un bon début ! Je ne me rappelle pas qu’il nous ait donné des conseils en particulier, mais je suis content qu’il ait été aussi impliqué dans cet album.

Matei : Le fait que de jeunes musiciens comme nous ait eu l’opportunité de jouer avec leurs idoles montre déjà que l’industrie musicale peut être extrêmement ouverte , malgré les pressions financières. N’importe quel musicien te dira « ne fais pas ça ! » mais les artistes avec lesquels nous avons travaillé sont les personnes les plus humbles que j’ai rencontré et leur soutien est le meilleur conseil qui soit. Peut être se sont-ils rappelé leurs débuts en nous voyant. Concernant la production, comme l’a dit Petre, Tymon s’est proposé de lui-même pour produire l’album et nous a permis de découvrir tous les aspects de la production. Et nous le remercions bien évidemment pour cela !

Comme nous l’avons dit tout à l’heure, Matei, tu joues de la basse et de la batterie sur l’album. Quelle formation envisagez-vous pour les concerts ? Si tu devais choisir, privilégierais-tu la basse ou la batterie ?

Matei : Nous avons déjà fait quelques concerts à l’issue de la sortie de l’album et nous avons joués en trio avec des samples.

Andrei : L’ordinateur est notre quatrième membre en fait ! (rires)

Matei : Nous avons également eu recours à des invités sur certains morceaux, notamment deux membres de Taine, Andy (qui a chanté sur "Mentally blind" de Death) et Ady « Nepo » , mon batteur roumain préféré, qui a assuré les percussions sur "Sea of Consciousness" et "Domino Spine". Tudor, un ami clavieriste est venu nous assister sur "Mentally Blind" et "God of Emptiness" (Morbid Angel). Mais toujours aucun bassiste. L’idée d’intégrer un claviériste me plait bien. Quand à l’instrument que je préfère, je me pose très souvent la question et la réponse est évidente ! il s’agit bien évidemment de la flute à bec ! (rires). Sérieusement, si nous trouvions un bassiste ça serait chouette. Si nous recrutions un batteur, comme Ady, je ferais la basse. J’aime bien les deux instruments mais je me sens plus à l’aise à la batterie. C’est comme être sur un trône, comme un Roi ! (rires) Le Roi Ubu ? Hé ! J’ai fais une référence à la culture française et Alfred Jarry! (rires).

Toujours à propos du live, je suppose que les guests ne seront pas présents lors des prochains concerts. Andrei, ça ne te fait pas peur de chanter leurs parties vocales ?
Andrei
: Non, je ne vais pas tenter de les copier, mais le faire à ma façon.

Petre : Nous avions déjà joué ces chansons en live avant la sortie de l’album, même si certaines choses ont changé depuis l’enregistrement. Mais lors du concert promo, Andrei a bien géré !

Matei : Peut être que les groupes des membres invités nous embarqueront pour les prochaines tournées. Trois groupes (Exivious, Gorguts et Pestilence) viennent de sortir leur album cette année. Alors qui sait ? Et peut être que lors d’une tournée commune ils accepteraient de faire une apparition. Mais c’est vrai que c’est compliqué pour Andrei de chanter et de shredder en même temps, d’autant plus que les morceaux ont des signatures rythmiques complexes.  Mais pour l’instant il s’est toujours bien débrouillé.

Y’a-t-il un concept derrière The Core ? Et pourquoi avez-vous choisi de placer ces interludes entre chaque morceau ? Résultent-ils de sessions d’improvisation ?

Petre : Le concept, c’est que les Illuminati ne sont pas nécessairement des gens puissants et riches, ils peuvent être n’importe qui et n’importe où, un peu comme des mendiants observant les moindres détails de la vie de tout le monde. Ils possèdent des informations qui pourraient permettre de changer le monde s’ils le voulaient.

Andrei : Nous avons choisi de mettre ces interludes pour amplifier le concept de The Core. L’album n’est pas prévu pour être un voyage linéaire mais plus une expérience musicale. Nous avons mis deux dialogues en roumain pour que l’auditeur s’interroge. L’effet de surprise nous a toujours plu dans la musique, et le roumain a un charme, une sonorité typique des langues latines.

A propos de la Roumanie, je ne connais pas du tout cette scène métal, particulièrement dans le domaine du Death Metal. Pouvez vous nous en dire un peu plus sur cette scène ?

Petre : Et bien, comme je l’ai évoqué plus tôt, je joue également dans un groupe de metal prog, Taine, qui tourne depuis 1993 et que j’ai rejoint cette année. Sinon, j’aime bien également Psycho Symphony, Dorededuh, White walls, ou Subliminal Damage, pour n’en nommer que quelques-uns. En Roumanie, nous avons de bons groupes, mais le public semble bloqué quelque part dans le passé. J’aimerais beaucoup que cette scène prenne de l’ampleur et j’espère que les jeunes seront plus ouverts d’esprit que leurs ainés.

Vous avez choisi d’enregistrer, de produire et de distribuer l’album vous-même. N’est-ce pas compliqué de gérer tous ces aspects, en plus de la musique ? Espérez-vous signer avec un label dans le futur et quelle est votre vision de l’industrie musicale ?

Matei : Tout d’abord il est important d’apporter un produit fini à un label. Beaucoup d’entre eux n’acceptent pas les liens sur le net. La raison principale pour laquelle nous souhaitions un label, c’est surtout pour avoir de l’aide pour distribuer l’album. Mais en ce qui nous concerne, c’est de notre faute puisque nous n’avions pas de démo et avons choisi de faire directement un album complet. D’autre part, nous sommes en négociation avec un gros label en roumanie pour s’occuper de la distribution de l’album, tout en gardant le contrôle sur notre musique. Nous avons envoyé l’album un peu partout, et n’avons plus qu’à attendre et espérer.

Pourquoi avoir choisi de révéler l’album via Youtube ?

Andrei : C’est la méthode  la plus simple, tout le monde y a accès.

Matei : Au réveil, tout le monde a le même réflexe, ouvrir son pc, aller sur facebook, consulter ses mails et trainer sur Youtube. Cela permet d’avoir un visuel pour accompagner une musique. Nous avons posté une nouvelle chanson tous les quatre jours, comme une campagne publicitaire. Cela avait pour but de créer un effet boule de neige. Une fois une chanson et un guest révélé, tout le monde souhaitait découvrir le suivant.

Sur la version cd de The Core, vous avez choisi d’enregistrer une reprise d’Atheist (« Unquestionable Presence »). Pourquoi cette chanson en particulier ? Avez-vous eu des retour de Tony Choy et Kelly Shaefer sur cette reprise ?

Andrei : ça n’était pas trop compliqué de choisir, j’avais déjà appris les parties de guitare de ce morceau et Matei connaissait les parties de batterie. Dans un premier temps nous avons décidé de le reprendre en live, puis l’idée de l’enregistrer a fait son chemin. Tony et Kelly ont d’ailleurs été très flattés de cette reprise, qui est une assez bonne réinterprétation du morceau.

Matei : La première chanson qui m’a fait basculer dans le metal progressif est "Mother Man" (Atheist). Mais pour nos concerts, nous voulions reprendre "Stigmatized" de Pestilence, ainsi qu’une chanson d’Atheist. Au début je n’étais pas capable de reprendre "Mother Man", donc nous nous sommes rabattus sur "Unquestionable Presence". Nous avons également enregistré "God Of Emptiness" de Morbid Angel, mais pour des questions légales nous n’avons pas pu la mettre sur l’album (David Vincent est assez exclusif concernant les droits de Morbid Angel). Mais c’est une reprise assez cool, peut être qu’un jour elle refera surface, qui sait ?

Planifiez-vous de tourner en France à l’occasion ?

Petre : ça serait vraiment sympa de jouer en France et on ne sait jamais, nous serons peut être un jour amenés à y tourner.

Matei : Mon rêve de jouer avec des artistes que j’admire est devenu réalité, alors rien n’empêche que mon rêve de jouer au Hellfest se réalise ! Le Hellfest est mon festival préféré en Europe, et de loin. J’y suis venu quatre fois en spectateur depuis 2007. Et même si ça n’est pas au Hellfest, ça serait un honneur de jouer en France ! Les choses sont toujours en pourparler concernant les concerts, donc qui sait ? pourquoi pas !

Pour finir, comment convaincriez-vous nos lecteurs français d’écouter votre album?

Matei : Tout d’abord, c’est super de pouvoir répondre à une interview pour un webzine français, merci à vous ! Le meilleur moyen de convaincre des gens d’écouter un album, c’est de les menacer ! (rires). Donc si vous ne souhaitez pas écouter The Core, des chauves souris viendront vous pondre des œufs dans le […] . Plus sérieusement, des musiciens comme Richard Christy (Death, Control Denied) ou Steve Flynn (Atheist) ont plébiscité notre album. Donc si vous faîtes confiance à ces légendes, écoutez l’album ! Et nous vous en seront sincèrement reconnaissants !

Andrei : J’ajouterai simplement que The Core est bien plus complexe qu’il n’y parait et qu’il vaut le détour. Merci à vous, on adore la France et sa scène avant-gardiste !

Petre : Et continuez à écouter la grosse radio ! 

Photographies : Laura Brat

 



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