Jorgen Munkeby, leader de Shining (Norvège)

Lors du passage à Paris de la tournée réunissant The Ocean, Hacride, Shining et Tides From Nebula, la Grosse Radio a pu s'entretenir avec Jorgen Munkeby, leader du groupe norvégien. Ensemble, nous avons notamment évoqué :

- l'origine du nom du groupe
- les raisons qui l'ont poussé à jouer du saxophone
- pourquoi avoir mélangé black métal et jazz ?
- sa collaboration avec Ihsahn
- son avis sur les E.W.I
- une prochaine tournée européene en tête d'affiche

Pourquoi avoir choisi un tel nom, est-ce un hommage à Stephen King ou Stanley Kubrick ?


Oui, en partie. Nous avons choisi ce nom il y a plus de 10 ans. Quand tu choisis un nom de groupe, tu as en général plein d’idées différentes, et c’est le nom le moins naze qui l’emporte ! Et c’est exactement ce qu’on a fait. Mais j’aime le film : il a une atmosphère sympa et il est flippant tout en gardant une certaine vision artistique et sérieuse. A cette époque, nous étions un quatuor de jazz acoustique, et nous faisions énormément d’improvisation et c’est un autre parallèle avec le film, puisque le « shining » est un pouvoir que certaines personnes ont dans l’histoire. Ces personnes, à savoir le petit garçon et l’homme noir, « brillent ». Ils peuvent voir certaines choses que d’autres ne peuvent pas voir. Et ils ont aussi la capacité de communiquer entre eux par télépathie. Et le truc en improvisation, c’est que tu es toujours en train d’essayer de prévoir ce que les autres vont faire ensuite, sans qu’ils te le disent, car ça se fait spontanément. Donc voilà un autre rapport entre le groupe et le film, mais tu sais, après un moment, ce n’est plus qu’un nom, et tu ne penses plus vraiment ce qu’il évoque.

Est-ce que tu crois au « shining » ? Est-ce que tu crois que des gens comme dans le film existent dans le monde réel ?

Si tu me demandes si je crois en ce genre de superstitions, je te répondrais que je suis agnostique. Je ne sais pas. Je suis assez convaincu que ça n’existe pas, mais si un jour je vois que ça existe, ça ne me dérangera pas ! En gros, à 70% « je n’y crois pas. » et à 30 % « ça pourrait exister. ». Mais ce n’est pas quelque chose qui me turlupine, et je n’ai jamais rien vu qui ne pouvait être expliqué.

Comment en es-tu arrivé à te mettre au saxophone ?

C’est une bonne question ! Quand j’étais jeune, j’écoutais du métal. Pantera, Sepultura, Death, et des groupes suèdois comme Entombed. Et quand j’ai eu 9 ans, j’ai eu envie de jouer du saxophone, et je ne sais pas pourquoi. Je n’avais jamais écouté de jazz… Donc en fait je n’en sais rien !

Parce que tu aimais l’instrument, et que tu voulais en jouer, tout simplement ?

Oui j’avais envie, mais tu sais, quand tu es jeune, il y a des chances que tu n’aies aucune idée de ce que l’instrument peut faire… Mais je suis content d’avoir fait ce choix ! J’avais aussi envie de jouer de la batterie, et je suis aussi content d’avoir pu le faire ! Je suis tout même satisfait d’avoir finalement choisi un instrument… mélodique.
 

Shining, Jorgen Munkeby, interview, 2013, Paris,

De plus, qu’est-ce qui t’a donné l’idée de former un groupe de métal avec le saxophone comme élément clé de la musique ?

J’ai déjà dit que quand j’étais jeune, j’écoutais du métal. Mais quand le groupe s’est formé, j’étudiais le jazz à l’académie norvégienne de musique. C’était en 1999, et les personnes qui jouaient dans le groupe à l’époque étaient toutes dans cette école. Et on jouait du jazz. Puis, petit à petit, on a commencé à graduellement ajouter de plus en plus de rock, puis de métal dans notre musique. Après avoir étudié le jazz pendant une dizaine d’années, j’ai commencé à m’intéresser à nouveau au métal et au rock. J’ai alors redécouvert ce que j’écoutais plus jeune, mais aussi d’autres groupes de métal. Et ensuite, j’ai essayé de mélanger ces deux styles de musique que j’aime : le métal et le jazz. Et nous avons expérimenté ça pendant des années, et en 2010, avec Blackjazz, je crois avoir trouvé le mélange qui me satisfait.

Certaines personnes pensent que les artistes ne devraient pas expliquer leur art. Tu as sorti une version de votre dernier album, One One One, avec des commentaires audio de chaque chanson. Que penses-tu de cela ?

Je pense qu’il faut le formuler différemment : les artistes ne devraient pas AVOIR à expliquer leur art. Je pense que ce n’est pas obligatoire de l’expliquer, mais, personnellement, j’aime apprendre. Je veux apprendre toute ma vie. Et en général, plus j’en apprends sur quelque chose, et plus j’apprécie cette chose. Et je réfléchis beaucoup à ma musique, tous mes choix sont mûrement pesés. J’aime aussi en parler. Et je crois qu’il y a plein de gens comme moi qui aiment apprendre plein de choses sur ce qu’ils écoutent ! Et s’ils ne veulent rien savoir, ils n’ont qu’à ne pas écouter mon commentaire audio ! Il y a aussi des personnes qui pensent qu’apprendre sur la musique et apprendre la théorie en enlève une part de sa magie. Je ne fais pas partie de ces gens-là ! C’est la même chose avec la nature, certains considèrent que le fait d’apprendre comment se produit un arc en ciel va le rendre moins beau. Mais je pense personnellement que ça le rend encore plus beau ! Je n’ai donc pas peur de dire comment la musique de Shining se crée. Car elle est crée, ce n’est pas Dieu qui claque des doigts et la fait apparaître par magie ! J’ai passé un an dans un studio à y réfléchir et à tout bidouiller. Et je pourrais avoir 30 versions différentes de chaque chanson. Ca aurait pu se passer autrement.   

Tu as collaboré avec Ihsahn sur deux de ses albums : After et Eremita. Est-ce qu’il est facile de travailler avec lui ?

Oui, c’est très facile ! J’ai rarement vu quelqu’un avec qui il est aussi facile de travailler. C’était un vrai plaisir, et c’est quelqu’un de très ouvert d’esprit. Il avait quelques idées en tête, ce qui est bien, car quand je travaille sur l’album d’un autre, il est bon que je sache ce qu’il veut obtenir. Il m’a donc donné quelques idées mélodiques, et pour le reste, j’étais complètement libre. Je suis venu à son studio, on a joué un peu, et le résultat a été excellent ! Et il a réussi à incorporer mon jeu à sa musique d’une manière très naturelle. Parfois, quand on me demande de jouer sur une chanson, il y a un espace déterminé sur lequel je dois jouer, et c’est tout ! C’est en quelque sorte forcé ! Mais, sur After en particulier, le sax’ fait vraiment partie du tout, il arrive et repars plusieurs fois, et tout cela d’une manière naturelle. 
 

interview, Jorgen Munkeby, Shining, 2013, Paris,

Est-ce qu’il y a d’autres artistes avec lesquels tu aimerais collaborer de cette façon ?

Oui, probablement des centaines ! Je suis intéressé de jouer avec tout musicien qui est bon dans ce qu’il fait. Mais en général, ceux avec qui j’ai envie de collaborer sont ceux qui sont meilleurs que moi. C’est la meilleure opportunité, car ça me permet d’apprendre. Parfois, je suis meilleur qu’eux sur certains points et eux sont meilleurs que moi sur d’autres. Je peux apprendre de leurs points forts. Mais je peux tout de même mentionner Nine Inch Nails. J’adorerais travailler ou tourner avec eux. Hum… Il y en a tellement… On pourrait passer une demi-heure là-dessus !

Est-ce que le titre de la chanson « The Madness and The Damage Done » est un hommage à la chanson de Neil Young « The Needle and The Damage Done » ?

Oui, ce titre est directement tiré de la chanson de Neil Young. Il y a aussi un album de The Jesus and Mary Chain qui s’appelle comme ça. [ NDLR : Nous ne l'avons pas trouvé ! ] Je ne l’ai jamais écouté mais je me rappelle avoir entendu ce nom dans ma jeunesse. Et j’ai ensuite entendu parler du titre « original » avec la chanson de Neil Young. J’ai beaucoup de titres dont je prends les mots pour ensuite en retourner le sens.

Comment as-tu découvert les Electronic Wind Instruments ?

J’ai entendu cet instrument pour la première fois avec le saxophoniste Michael Brecker. Il a joué de l’EWI pendant 20 ans. Je ne suis pas sûr mais je crois qu’il en utilisait surtout dans les 80’s ou les 90’s. C’est un grand musicien, et il jouait extrêmement bien de cet instrument. Je croyais que c’était facile d’en jouer, alors j’en ai acheté un. Je me trompais ! Mais je me suis énormément entraîné et j’arrive maintenant à en jouer. J’adore cet instrument, mais je n’en ai pas pris pour cette tournée. Je ne le prends plus souvent ces derniers temps, car on a tellement de matériel à prendre sur la route…

C’est donc un instrument difficile à jouer ?

Oui carrément ! C’est l’instrument le plus difficile auquel j’ai jamais joué ! Le saxophone est un instrument acoustique, et même s’il y a un travail de doigté, c’est assez simple : demi ton par demi ton ou à l’octave du dessus. Et il tendra à aller vers l’octave supérieure même si tu n’utilises pas la clé d’octave.  Mais avec le EWI, l’instrument ne fait que reproduire ce que tu fais avec les doigts. Le doigté doit être extrêmement précis. C’est moins vrai pour le saxophone. Voilà pourquoi je pense que le EWI est plus dur que le sax’.

A ce moment, Jorgen se saisit d'un radis.

- "Comment appelle-t-on ça en français ?
- Un radis !
- Radis ! C’est très bon !
- Ouais, tu as une bonne prononciation !
- Merci ! "

 

Shining, Jorgen Munkeby, interview, 2013, Paris,


Comment faites-vous pour donner des concerts si intenses chaque soir ?

Je ne sais pas. On essaye de vivre sainement. C’est vrai que nos concerts sont épuisants. Mais nous sommes un groupe qui fait attention. Quand on est en tournée, on demande au promoteur où se trouve la piscine ou la salle de gym la plus proche. Certains musiciens du groupe vont pas mal en salle de sport. Je n’ai pas besoin de faire ça personnellement, car je me dépense beaucoup lors de nos concerts. Quand on joue en ouverture d’autres groupes, on a un set de 40 minutes, ce qui est moins fatiguant qu’un set de 1h15. Mais c’est vraiment épuisant, et on est ruisselant de sueur quand le concert est fini. Et à chaque fois qu’on arrive dans une nouvelle salle, on espère qu’ils ont une douche. On ne boit pas, ou presque pas. Je ne suis pas straight-edge, je bois de l’alcool, mais peu. Depuis le début de cette tournée, je n’ai pas bu une seule bière ! Tout ce que tu mets dans ton corps qui le fatigue va à l’encontre de ce que tu veux faire. Dans notre bus, il n’y a pas de drogue, et juste quelques bières !

Déjà la dernière question : as-tu un mot pour nos spectateurs et vos fans français ?
[il répond dans un français hésitant, mais juste]

Ouais ! Mes amis… Les français ! C’est un plaisir d’être de retour en France ! Nous n’avons jamais beaucoup joué ici, mais à chaque fois qu’on vient, c’est génial ! Nous espérons que ce concert va être super, et nous sommes actuellement en train de réserver des salles pour une tournée en avril et nous espérons pouvoir faire au moins deux concerts en tête d’affiche en France !

 



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