Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Iced Earth ne se sera pas tourné les pouces depuis l'éviction bien négociée de son légendaire chanteur 'cheveux-de-braise' Matthew Barlow, et son remplacement (ô combien salutaire, et salué comme il se doit depuis) par le Canadien Stu Block (ex-Into Eternity). Après le rassurant - mais plus récréatif qu'autre chose - Dystopia en 2011, ainsi qu'une flopée de dates autour du globe qui n'ont fait que confirmer le professionnalisme de leur nouveau 'frontman' (et enfanté le correct Live In Ancient Kourion), il était désormais temps pour la formation américaine de transformer l'essai, voire d'enfoncer un peu plus le clou. Mais l'initiative ne tient au final pas toutes ses promesses avec Plagues of Babylon, attendu ce 6 janvier chez Century Media.
Pourtant, c'est une impression agréable et réconfortante qui nous accueille de prime abord : celle que Stu n'est plus seulement ce remplaçant de luxe capable de nous imiter Barlow ou Tim Owens sur un simple claquement de doigts comme autant de clins d'oeil aguicheurs, mais bel et bien un élément à part entière, désormais complètement à sa place au sein de la mécanique bien huilée et en marche vers la bataille qu'est Iced Earth. D'une part, on aurait presque le sentiment qu'il a toujours été là tant il se fond aujourd'hui complètement dans le décor et l'alchimie du groupe, d'autre part ce même groupe aujourd'hui n'avait pas sonné aussi 'heavy' depuis un petit moment !
'Heavy' (ce "Democide", belle baffe dans la gueule à lui seul !...), mais aussi à nouveau « sombre » - qualificatif qui manquait quelque peu à son prédécesseur, alors que le thème de l'album s'y prêtait largement - à tel point qu'on retrouverait presque aujourd'hui quelques touches d'un Burnt Offerings dans la tonalité générale à certains moments-clé ("Cthulhu" et "Among the Living Dead" en tête, même si leurs thèmes et leur ton menaçant ne les auraient pas fait dépareiller non plus sur un Horror Show...). Bref, le programme paraissait trop beau, la partie semblait déjà gagnée.
Seulement voilà, Schaffer retombe également dans ses vieux travers de Framing Armageddon, à un peu trop s'apesantir sur son sujet, avec à la clé pas mal de longueurs, à l'image de cette interminable intro de mauvaise augure... Plus encore, c'est à vouloir proposer autant de titres - 13 pour une durée de 62 minutes - alors même que cet album n'est, de leur propre aveu, qu'à moitié conceptuel, le reste relevant de simples morceaux isolés, que le groupe finit malheureusement par faire retomber l'intensité et la passion (éclipsant de fait cette volonté évidente d'exploiter une diversité qui est tout à leur honneur), avec en outre des moments franchements dispensables : le pesant et saccadé "Resistance" - pourtant audacieux et plein de fougue dans ses couplets (avec même quelques résonances Dio ou Iron Maiden...) - souffrant quelque peu du manque d'ambition de ses mélodies et de son refrain (malgré un break inquiétant du meilleur effet). Syndrôme qui touche également un "The End" qui nous ferait presque penser qu'on en est effectivement pas loin, ou "Peacemaker", dont le titre ne suffira clairement pas à dissiper la grogne légitime chez le fan ou le simple auditeur à ce stade... "Parasite" peine tout autant à décoller, malgré ses bonnes idées de départ, vite 'parasitées' elles aussi !
Là ne sont pas les seuls points de grogne et autres baisses de régime notables hélas... On en revient à cette première impression favorable de plus grande affirmation de Stu Block en tant que personnalité à part entière. Pourtant, il est encore un domaine crucial - où même un Tim Owens était parvenu à marquer sa singularité - dans lequel le nouveau vocaliste ne semble, lui, pas encore avoir tout à fait trouvé sa voix : celui des 'ballades'. Et cela tombe mal pour lui, vu que Schaffer a justement jugé opportun d'en inclure deux, qui ne resteront pas cette fois dans les annales du groupe... Un comble quand on connaît leur importance dans le coeur des fans ! Ce n'est donc malheureusement pas avec l'anecdotique "If I Could See You" ou la zozotante "Spirit of the Times" que les Américains vont détenir là un nouveau "Watching over Me", "Ghost of Freedom" ou "The Clouding"... Pourtant, les accalmies ponctuelles (et bienvenues) sur d'autres morceaux tels qu'encore une fois "The End" (ainsi que l'interprétation plutôt convaincante que Block parvient à donner en 'live' sur des classiques comme "I Died For You") tendraient à nous prouver qu'il aurait tout à fait le potentiel et la profondeur de voix requis pour l'exercice.
Si les autres musiciens assurent en grands pros qu'ils sont, on ne retrouve jamais complètement la même flamboyance qu'avant dans les soli de Troy Seele (à l'exception peut-être de "Cthuhlu"... en revanche qu'est-ce que c'est que ces espèces de faussetés sur l'intro de "Peacemaker"?!), mais plus grave encore : la section rythmique laisse à penser que les derniers arrivants ont été relégués ou se sont cantonné à des postes de simples « requins de studio », n'ayant pas franchement eu à coeur de s'investir plus que nécessaire. A ce titre, le plus inquiétant reste le jeu de batterie - sec comme un coup de trique et inexpressif au possible - du 'mercenaire' brésilien Raphael Saini dont le CV aurait pourtant plutôt tendance à forcer le respect (élève de Kollias de Nile et de l'émérite John Macaluso, mais également des deux batteurs du clan Angra !). On ne saluera donc jamais assez son remplacement dans le line-up de tournée par l'actuel Anthrax et ex-Slayer/Testament (encore une fois, sur les tournées...) Mr John Dette, qui laisse à présager de bonnes choses. En revanche, on ne peut que regretter plus amèrement encore le départ du précédent et remarquable bassiste Freddie Vidales vers des cieux incertains avec Ashes of Ares. Un double sentiment de gâchis pour l'heure...
Ce jeu des plus 'détachés', froid et « mécanique » va hélas de pair avec une production certes compacte et puissante, mais bien trop 'crue' là encore pour endosser l'ampleur épique que l'on retrouve habituellement chez Iced Earth. La rigueur allemande des Principal Studios (responsables de nombreuses déflagrations sonores de Grave Digger, Rage ou Kreator pour ne citer qu'eux...) nous fait regretter sur ce coup la chaleur organique - pourtant parfois contestée - du Morrisound américain où ont été produites les meilleures oeuvres du groupe. Enfin, je n'ai pas parlé du 'boss' Schaffer en personne : là encore, si l'on reconnaît toujours sa patte inimitable, il semble parfois bridé lui aussi par une production qui tend à le camoufler derrière les simples exécutants lui servant de musiciens accompagnateurs (à l'exception de l'émérite Stu Block, se donnant lui toujours à fond...), et ainsi à trop canaliser son énergie jusqu'à l'atténuer dans le mix général de l'ensemble.
Pourtant, il ne faudrait pas focaliser seulement sur ces déceptions. C'est que dans le même temps, l'entrain épique des compos les plus entraînantes (le morceau-titre amputé de son intro, les trop rares refrains dignes de ce nom tels "The Culling" où notre Block note de remarquables percées...) feraient presque planer sur le disque le spectre d'un Demons & Wizards (à quand une suite au projet, d'ailleurs, Jon ??!!...), voire d'un mix entre The Glorious Burden et Night of the Stormrider.
C'est que, malgré tout, on aurait voulu pouvoir affirmer que ce Plagues of Babylon était un cran au-dessus de son prédécesseur et encourager l'effort notable de réjuvénation du groupe (ainsi que d'affirmation de leur chanteur en 'frontman' incontestable), en lui attribuant du coup une note plus élevée que la dernière fois. Mais l'on doit bien se rendre à l'évidence que si les meilleurs moments de ce disque aujourd'hui s'avèrent plus costauds, matures et aboutis que n'importe lequel du plus 'facile' et expéditif Dystopia, celui-ci faisait preuve de plus de cohésion de bout en bout, sans aucun temps mort.
Epurée de cette bonne moitié de titres plus anecdotiques, si le groupe (et notamment sa section rythmique) avait su enclencher un peu plus l'accélérateur (allez donc plutôt écouter nos compatriotes d'Anemi en comparaison !...) - ainsi que retrouver la flamme niveau inspiration pour nous pondre enfin de nouveau une belle trilogie conceptuelle en fin d'album comme Iced Earth s'en était toujours fait une spécialité - , s'il n'y avait pas eu enfin le handicap de cette production pour le moins étrange, cette dernière offrande aurait pu être un peu plus irréprochable.
Saluons tout de même les petits 'guests' qui vont bien, choisis parmi les bons potes de Schaffer à commencer par son compagnon d'écriture dans Demons & Wizards, un Hansi Kürsch (Blind Guardian) malheureusement cantonné à de simples choeurs çà et là au milieu de la mêlée (mais tout à fait identifiables notamment sur un "Among the Living Dead", cf en bas de cette chro...), ainsi que Russell Allen (Symphony X) et Michael Poulsen (Volbeat), qui se font davantage entendre sur un surprenant "Highwaymen", lequel sent malheureusement un peu trop la 'fête de la bière' (n'y aurait-il pas eu un peu trop d'excès en terres teutonnes?!...) et le délire improvisé en studio (même les voix paraissent surmixées et comme simplement «posées» sur une bande impersonnelle au possible...), impression confortée par les rires graveleux qui viennent conclure l'album sur une "Outro" quelque peu incongrue et sur une sensation de trop peu : malgré l'arsenal déployé, on restera hélas sur notre faim. En somme, de quoi faire "pester", oui, et une 'plaie' avérée, certainement, s'il y avait encore besoin de vous en convaincre ! Espérons que cette dernière ne restera pas ouverte trop longtemps, sinon l'infection gagnerait vite et c'est le métal US tout entier qui se verrait amputé d'un membre des plus essentiels à sa bonne marche...
LeBoucherSlave
6,5/10