En voyant leur look, leur logo avec un ornithorynque et, surtout, leur nom, tu te dis qu'ils ont quand même le sens de l'humour chez Duckbill Crisis ! Né par la volonté de la chanteuse Aurore Dominguez (OverEden, ex-Horkan) et du claviériste Damien Dhiers (Heonia), le duo devient rapidement quatuor (ne manque d'un batteur, mais les batteurs c'est comme les bassistes, tout le monde s'en fout -ne me frappez pas amis batteurs et bassistes, je vous aime beaucoup-), et n'a qu'une idée en tête : vous hanter jours et nuits avec leur musique délurée. Et si vous n'avez pas peur, alors Mister Who, premier méfait et EP des quatre fantastiques, risque de vous donner des cauchemars pour vos nuits à venir …
Duckbill Crisis semble vouer un culte à la recherche de l'originalité. Le quatuor français décide ainsi de ne pas faire les choses comme tout le monde et surprend d'entrée de jeu avec « Junkies Love Disco », qui mélange metal et … funk. Et le résultat est réellement déconcertant aux premières écoutes, tant ce qu'ils proposent est étrange. Pour le coup, impossible de dire que la formation se repose sur les bases du metal symphonique pour balancer un mélange convenu et sans inspiration. Il y a, et ce tout au long de ce premier EP, un véritable travail de fond sur l'aspect décalé de leur musique, qui, sans rejoindre les rangs d'un Akphaezya ou d'un Pin-Up Went Down (la touche extrême étant bien plus absente chez les lillois que chez leurs compatriotes), leur permet déjà de poser une première pierre à l'édifice de leur personnalité. Une voie qu'on ne peut qu'encourager à creuser, parce qu'il y a un sérieux potentiel là-dedans !
Une fois la musique intégrée après un nombre répété d'écoutes, il est plus simple de se rendre compte des qualités et des défauts de la joyeuse bande. Et dans la seconde catégorie, on ne peut que regretter un son qui peine à mettre en valeur tout le potentiel du groupe. Problème certes commun quant il s'agit d'un premier-EP / d'une première auto-prod, il est nécessaire de passer outre ce détail pour pleinement apprécier Mister Who. Mais dans la première, on retiendra surtout le chant d'Aurore Dominguez, qui s'en tire très bien dans son rôle de frontwoman. Sa voix, juste et variée, arrive à prendre de multiples facettes qui conviennent bien aux ambiances des titres et n'en fait jamais trop. Et, encore une fois, les comparaisons avec les deux formations françaises déjà citées ci-dessus paraissent difficiles car la chanteuse évolue dans un registre assez différent. Aurore réussit à faire mouche en se lançant dans des délires schizophrènes avec bien plus de parcimonie que ses excellentes consœurs, préférant utiliser un répertoire différent. Ses intonations plus lyriques sur « Back to Gehenna », par exemple, touchent leur cible sans grande difficulté et permettent à la jeune femme de montrer qu'elle a plus d'une corde à son arc. Le growl, en revanche, laissera plus dubitatif. Sans remettre en question les capacités de Damien Dhiers, c'est son utilisation qui ne semble pas toujours judicieuse. Sur « Junkies Love Disco » en particulier, il casse totalement l'ambiance et ne trouve pas sa place, là où le chant féminin seul aurait pu s'en tirer que cela n'aurait pas fait tâche.
Coucou petit lecteur, tu veux venir jouer ?
Le duo trouve bien plus facilement sa place sur « Blue Babies », une piste où Aurore surprend, entre une voix presque innocente et une fin de refrain où elle se lâche, possédée par on ne sait quel démon. Incarnant son rôle à la perfection, ce titre gagne énormément d'intérêt et séduit. Si le manque de mordant est bien plus à mettre sur le coup de la faiblesse de la guitare qui, elle, sonne ainsi à cause de la production, le morceau est rehaussé en intérêt et nous laisse entrevoir tout le potentiel de Duckbill Crisis. Grosse mention spéciale pour « Back to Gehenna » également, plus traditionnelle mais relativement réussie, dosant très justement entre une certaine sobriété et le grain de folie inhérent à la formation, lui donnant toute sa personnalité. En règle générale, cet EP ne cherche jamais à en faire de trop dans les expérimentations farfelues, et la grande force du combo est, justement, d'arriver à allier un aspect plus accrocheur avec des touches très inattendues. Les incursions les plus étranges sont bien foutues et s'accrochent toujours dans le contenu de la musique. Les cassures trop importantes sont rares et le groupe a un véritable fil conducteur qui aide ainsi l'auditeur à se laisser happer par leur musique. Visiblement, le sujet est fort bien maîtrisé pour eux.
Pourtant, avec tous ces bons points de leur côté, il manque encore un petit quelque chose à Duckbill Crisis. Les titres sont assez agréables, jamais bêtement convenus et ennuyeux, mais ils n'accrochent pas tous l'oreille : « Junkies Love Disco » est amusante mais plate, et cette entrée en matière ne permet pas aux lillois de partir sur les meilleures bases. De même pour « Funny Dogs », aux idées intéressantes mais pas assez explorées. L'éponyme « Mister Who » est bien plus aboutie et nous laisse terminer l'écoute sur un morceau de qualité (avec un refrain bien écrit et surtout une complémentarité vocale qui, cette fois, n'est jamais mise à mal).
Mister Who est un EP très prometteur, qui laisse entrevoir une énorme marge de progression et, surtout, un combo qui a de la suite de les idées ! S'il reste encore des imperfections (surtout la production et l'utilisation du chant masculin), on espère de la part de Duckbill Crisis un premier album digne de ce nom. Le groupe français a les armes pour se démarquer et imposer sa propre personnalité et son univers dans une scène où ces qualités semblent, à l'heure actuelle, primordiales. Mais il semblerait que ce soit bien parti pour eux !