Helter Shelter ?
La carrière d’un groupe peut prendre différentes formes. En schématisant grossièrement, on pourrait dire qu’aux deux extrêmes, elle peut être plus ou moins rectiligne, avec un ensemble d’albums proches musicalement, ça et là quelques changements à chaque fois mais pas de bouleversements. A l’opposé, une carrière musicale peut avoir la forme d’un zig-zag, avec des albums partants dans des directions bien différentes à chaque fois.
Dans le cas d’Alcest, on pourrait parler d’une courbe, avec un glissement progressif d’un style vers un autre. On pouvait déjà le ressentir sur les Voyages de l’âme, mais c’est aujourd’hui certain : Alcest a abandonné le métal.
Ainsi, Shelter marque un net adoucissement des compositions du groupe. Les envolées épiques, amplis à fond et cheveux dans le vent seront rares. On en retrouve tout de même dans la dernière partie de « Voix Sereines », presque unique moment de l’album où on entendra de la guitare avec distorsion. Il faut bien reconnaître que ce choix n’est pas une surprise et qu’Alcest avait révélé ce changement d’orientation avec le single « Opale », qui résume bien la direction musicale de Shelter, mélange de post rock et de shoegaze.
Pour le reste, on constate que le style de composition n’a pas changé. Les guitares distillent toujours des mélodies simples mais accrocheuses, soutenue par une section rythmique elle aussi sobre et efficace. Le chant a gardé la place qu’il a depuis longtemps dans Alcest, n’étant pas plus en avant que les instruments mais au même niveau, et vous aurez du mal à comprendre ce que chante Neige sans avoir les paroles sous les yeux. La durée moyenne des chansons a diminué, donnant à Shelter un aspect plus direct et accessible, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.
La production fait également partie des multiples qualités de cet album. Le groupe a travaillé avec l'ingénieur du son Birgir Jón Birgisson (Sigur Ros, etc...), et ça s’entend, particulièrement au niveau des guitares qui ont un son cristallin et ciselé. Sur l’entêtante et mélancolique « Away », on retrouve Neil Halstead (Slowdive) qui assure le chant avec brio, ainsi que le quatuor de cordes Amiina, que les fans de Sigur Ros ou Yann Tiersen connaissent déjà, et qu’on entend dans d’autres chansons de Shelter comme « Délivrance », qui vient conclure l’album avec une touche planante et délicate.
Shelter est donc un beau voyage teinté de mélodies pop et dénué de tout élément métal sans que cela dérange l’écoute ou apporte de l’ennui à l’auditeur. Le changement de style n’a cependant pas été synonyme d’idées neuves. Il est dommage que le groupe ne fasse pas plus preuve de personnalité, avec des compositions qui sont certes solides et d’une bonne qualité globale, mais se rapprochant dangereusement de ce que proposent depuis des années les groupes phares de la scène post rock et genres assimilés comme Mogwai. On peut déjà sentir qu’Alcest a du mal à se renouveler, et seul l’avenir pourra dire si ce nouveau cap est une vraie réussite artistique. Nos homologues de la rédaction rock répondront certainement à cette interrogation avec le prochain album.