"Ce n’est jamais facile, c’est au musicien de rendre la guitare facile !"
Lors du beau concert de Death DTA à Paris, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Paul Masvidal, guitariste de légende dans Cynic et ayant fait partie de Death à l'époque de l'album Human, entre autres. Le bonhomme ayant une carrière bien remplie, nous sommes avons essayé d'en aborder les aspects les plus importants tout en se concentrant bien sûr sur ces deux groupes qui l'ont rendu célèbre !
Donc, le nouvel album de Cynic arrive enfin à nos oreilles. Il me semble que, encore une fois, tu as déclaré que la musique avait été très travaillée, que chaque note présente dans l’album avait été pensée. N’as-tu pas peur d’une certaine perte de spontanéité avec une telle méthode de composition ?
Je ne pense pas, parce que quand je dis que c’est très travaillé, il y a aussi une forte dose d’inconnu qui entre en jeu dans le processus. Même si nous travaillons énormément nos compositions, il y a beaucoup de choses inattendues qui se produisent lorsque nous les développons. Donc je n’ai vraiment aucune idée de ce que ça va donner et comment ça va sonner jusqu’à la fin de l’écriture, car beaucoup de nouvelles choses apparaissent au cours du travail de composition.
Encore une fois, vous avez travaillé avec Sean Malone à la basse. Vous avez aussi choisi une œuvre de Robert Venosa pour illustrer l’album. Ainsi, n’importe qui pourrait penser que Cynic ne change pas vraiment avec les années. Qu’est-ce qui a le plus changé avec les années dans Cynic, selon toi, notamment d’un point de vue musical ?
Hum, lorsque le premier album de Cynic a été composé, j’avais la vingtaine. Aujourd’hui, j’ai le double de cet âge, et j’ai eu énormément d’expériences dans la vie qui, selon moi, vont avoir des conséquences sur ce que je fais artistiquement. Je crois que chaque album est comme un instantané des deux années de ma vie qui ont précédé sa sortie. D’un autre côté, chaque album a une part de sa sonorité qui lui appartient, et qui n’est pas liée au temps. Pour moi, Cynic est devenu plus mature et évolué avec les années. Je suis aussi devenu un meilleur musicien et compositeur avec l’âge. Et je sens aussi que ma voix est devenue plus polie et maîtrisée.
Justement, parlons des voix dans Cynic ! Une de vos signatures musicales est l’utilisation du vocoder et autres procédés de voix synthétique. Est-ce que ce choix a été une manière de palier un manque de confiance dans le fait de chanter de ta part ?
A nos débuts, c’était exactement ça ! Je suis passé du growl au chant, et je me suis rendu compte que j’étais terrifié par ma voix. Je n’étais pas à l’aise avec le fait de chanter. Et c’est là que je suis tombé sur le vocoder, et je me suis dit que ça fonctionnerait parfaitement pour cacher ça. D’un autre côté, j’aimais beaucoup les sonorités qu’on pouvait obtenir avec le vocoder. Ca ne sonnait pas comme quelque chose d’humain, et ça m’a beaucoup plu. Ce choix a donc été un mélange d’insécurité et de créativité, cette créativité étant le résultat direct de mon manque de confiance au chant ! [rires]
Le détail amusant est que, à cette époque, l’utilisation du vocoder et des voix synthétiques était encore assez originale, ou en tout cas, ça ne s’était jamais entendu dans le métal. Et de nos jours, on peut entendre des voix synthétiques un peu partout dans le top 50 et la musique pop. Qu’est-ce que tu penses de ce phénomène ?
Je ne sais pas trop. En un sens, je suis content que ces procédés aient fait leur chemin dans la culture mainstream. Il était inévitable que cela arrive un jour. Rien que du fait que c’est un outil numérique, et qu’aujourd’hui, nous vivons dans un monde d’ordinateurs. Mais c’est amusant, déjà à l’époque, j’essayais de conserver une qualité analogue dans l’utilisation du vocoder. Donc même si ça sonnait comme une voix robotique tout droit sortie d’un ordinateur, j’ai toujours essayé d’y apporter une touche humaine.
Quand peut-on espérer revoir Cynic en Europe ?
Nous sommes en train d’y travailler. Rien n’est officiellement prévu à l’heure actuelle, mis à part un concert au festival Graspop.
Laissons donc Cynic un instant. Tu es aussi ici pour faire un hommage à Death et à l’héritage musical de Chuck Schuldiner. Qu’est-ce que ça te fait de rejouer ces chansons après tant d’années ?
Oh, c’est une sacrée expérience ! Je ne pensais pas le faire à nouveau, pour être honnête. C’était il a si longtemps, et … Je me sens comme un adolescent, à nouveau ! Jouer ces chansons, c’est comme redevenir un gamin, car c’est littéralement ce que j’étais quand j’ai joué dans le groupe. C’est une chose intéressante de le faire et de voir ce que je ressens quand je joue du Death. Je m’amuse beaucoup, c’est vraiment un plaisir !
Selon toi, quelle est la plus grande qualité de la musique de Chuck ?
Je pense que Chuck a choisi une voie qui était la sienne. Il avait ses riffs, ses mélodies ou même encore son approche vocale. Tout cela constitue sa signature musicale, qui est vraiment unique. Et je pense que c’est le cadeau que Death a fait à la scène métal. Il a apporté quelque chose d’unique. Et j’insiste particulièrement sur son approche des riffs, tu vois le « da da da da da » avec la grosse caisse qui double les riffs de guitare, c’est vraiment son « son ». Et il avait même une sensibilité presque pop, dans sa manière de composer qui était vraiment unique à l’époque, qui a je pense, contribué au succès de Death, avec beaucoup couplets/refrains, etc…
Et de l’autre côté, quel serait le défaut principal de sa musique, selon toi ?
Hum, je ne sais pas trop… On pourrait dire le fait qu’il change souvent de musiciens pour chaque album, mais de l’autre côté, je pense que ces changements répétés ont contribué à renouveler le son de Death. Je n’ai pas l’impression que sa musique ait tant changé que ça avec les années, mais les différents musiciens, avec leur sensibilité, ont aidé à ce que cette formation sonne différemment. Je pense que Death fait partie de ces groupes extrêmes qui ont eu une longue carrière tout en restant sur la même formule, sans s’en éloigner. Le son de Chuck a effectivement changé avec les années, et peut être plus que d’autres groupes de la scène. Je ne sais pas si c’est un défaut, mais voilà, Chuck connaissait son public, et il en est resté proche. Il est resté dans un périmètre de sécurité, pour ainsi dire.
Quel est ton album préféré de Death et pourquoi ?
C’est bête à dire, mais je pense que c’est Human. J’ai grandi en écoutant leurs premiers albums et été ami du groupe pendant toutes ces années. Ensuite, nous avons fait Human, et j’étais déterminé à faire l’album le plus cool jamais fait, parce que je jouais dessus ! [rires] C’est un délit de favoritisme, mais le fait est que je n’ai pas vraiment écouté les albums de Death sortis après avoir quitté le groupe. Je sais qu’Individual est cool, et que Symbolic a été une étape important pour Chuck. Mais de ma perspective, le sommet a sans doute été Human.
Est-ce que tu sais quel sera le line up de Death DTA pour les festivals l’année prochaine, notamment le Hellfest ?
Il y a des chances que cela soit le line-up actuel. En fait, ça sera soit le line up de cette tournée, soit avec les autres gars, dont Gene Hoglan.
Laissons Death maintenant. Tu as produit l’album de chansons d’enfants de Jim Carrey pour son livre « How Roland Rolls » . Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ?
Oh, beaucoup d’inspiration. Jim Carrey est un vrai artiste, et en quelque sorte un peu visionnaire. Et c’était énorme de passer ces journées avec lui pendant un mois entier pour travailler. C’était vraiment un moment de création joyeuse, très inspirant. Jim est un mec incroyable.
Comment l’as-tu rencontré ?
Je suis le directeur musical d’une organisation à but non lucratif qui s’appelle Gate. C’est une abréviation pour « global alliance for transformational entertainment », et mon ami John est le directeur de cette structure, et il était le producteur exécutif du livre de Jim Carrey. C’est un vieil ami de Jim, donc quand il a eu l’offre, il m’a appelé et c’était décidé. J’avais déjà rencontré Jim Carrey par le biais de John, d’ailleurs. Jim Carrey est d’ailleurs un des fondateurs de Gate.
Quels sont les groupes qui tu apprécies vraiment ces dernierts temps, tous styles confondus ?
Dans le métal moderne, j’adore Animals as Leaders. Tosin Abasi est un ami, et je trouve qu’ils font vraiment quelque chose de nouveau. Il y a aussi Between The Buried and Me qui font des choses très intéressantes et ils ont clairement quelque chose de spécial. Mais c’est amusant, je viens de finir cet album avec Cynic, et pendant tout un temps, je n’ai pas écouté de musique, parce que j’en avais déjà trop dans la tête ! [rires] Ce n’est que maintenant que je m’y remets… J’ai adoré le nouvel album de David Bowie, il est vraiment très classe. Et je suis aussi un grand fan d’un groupe américain qui s’appelle Of Montreal, et qui est justement très influencé par David Bowie, particulièrement son approche expérimentale. Ils ont une approche progressive très intéressante. J’aime aussi Anciients, groupe qui a tourné avec Death DTA aux USA. Ils ont un son vraiment cool, un peu Opethien !
A part Cynic, as-tu des projets prévus dans un futur proche ?
Oh oui, plein ! Je suis actuellement en train de travailler sur un album que je fais avec mon amie Amy Correia qui avait chanté sur Carbon Based Anatomy. C’est un album assez méditatif et minimal, qui sonne comme du folk ambiant. Le projet s’appelle House of Spirits. J’espère l’avoir terminé fin janvier, on est en train de travailler sur le mixage et d’autres détails. Ensuite, tu sais, rien que le fait de travailler comme musicien professionnel à Los Angeles prend beaucoup de temps ! J’ai toujours des millions de choses sur le feu ! C’est une période très active ! [rires] Je travaille aussi pour la télévision ou les jeux vidéos. Il y a d’ailleurs un projet en cours dont je ne peux pas parler, mais vous devrez en entendre parler vers le début de l’année. Donc oui, je fais beaucoup de choses qui me permettre de me nourrir ! [rires]
Est-ce que tu as toujours des rêves, en tant que musicien ?
Oh oui, bien sûr ! C’est ce qui me donne de l’énergie ! Je vis dans un état constant d’anxiété, tentant d’atteindre quelque chose. Je suis très motivé par le fait de rendre chaque moment meilleur que le précédent en tant que musicien. Rêver dans l’instant présent, appelons ça ainsi !
Ton travail reste très axé sur la musique. Est-ce que tu te verrais faire quelque chose de radicalement différent, dans le cinéma ou les jeux vidéos par exemple ?
Oui, pourquoi pas ! Mais je pense n’avoir de talent qu’en musique. Je ne sais pas vraiment comment faire autre chose ! [rires] Mais on ne sait jamais ! Par exemple, j’adore écrire. Je tiens des journaux depuis que je suis un petit garçon. Je m’amuse en écrivant. Mais c’est plus quelque chose de personnel.
Comment arrives-tu à rester si affuté sur scène ? As-tu un truc ?
Je ne sais pas. Je dors très mal en ce moment ! [rires] Et parfois, je ne suis pas précis, je te le garantis. Chaque concert est l’inconnu. Parfois, je sors de scène et je me dis « c’était horrible ! ». Le public ne l’entend pas, mais moi, je le vois bien ! Après je ne sais pas, je crois que je suis mon pire critique. Après, en tant que musicien professionnel, tu as un niveau de croisière qui reste presque toujours acceptable, et même ton pire jour restera meilleur qu’une personne lambda. Le fait est que je m’exerce encore énormément à la guitare. Ce n’est jamais facile, c’est à nous de rendre la guitare facile et faire que ça ait l’air facile ! Je pense aussi que mon style de vie joue un rôle là-dedans. Ce que nous mangeons, comment nous dormons, à qui nous parlons. Ca affecte notre vie et notre travail, nos relations… Donc j’essaye de faire de l’exercice et du yoga en tournée, sans quoi je me transformerais en zombie ! [rires] Heureusement, après la tournée, je vais prendre une semaine de vacances à Madrid, j’ai hâte !
Dernière question, as-tu un mot pour nos lecteurs et vos fans français ?
Nous avons toujours apprécié la France, et particulièrement Paris, où les concerts se passent toujours bien ! Nous avons hâte de venir avec Cynic. Et ce soir, le concert risque d’être incroyable. Merci !
Interview par Tfaaon
Photos n°1 et n°3 : © 2013 Olivier GESTIN / INTO The Pit Photographe
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