Dans le registre des groupes au nom improbable, je demande Lenore S. Fingers. Si l'on en croît la biographie de notre charmant combo, ce patronyme provient de la fusion entre le « Lenore, The Cute Little Dead Girl » de Roman Dirge et … Salad Fingers. Si on m'avait dit que je trouverai une formation s'inspirant de ce personnage, jamais je ne l'aurai cru. Et pourtant, ce jour est bel et bien arrivé. Mais laissons ces considérations sur le nom de ce quintette et faisons place aux présentations. De nationalité italienne, le groupe ne semble pas respirer la joie de vivre, que ce soit au travers des photos promo ou de la pochette. Alors, jouerait-on dans le registre du doom ? Pas vraiment. Inner Tales, leur premier méfait, nous apportera ainsi les éclaircissements nécessaires sur une légitime interrogation : nouveau talent prometteur, ou formation à jeter aux oubliettes ?
La première chose que l'on se dit, c'est que Patrizio et Federica ont certainement beaucoup de doigté, tant l'opus semble tourné autour de cet instrument Ô combien merveilleux qu'est la guitare, idéal pour pratiquer du metal qui plus est. Où est l'entourloupe ? Une grande partie de celles-ci ne sont pas électriques, et une large propension est offerte à sa sœur acoustique, ce qui offre un rendu tout à fait intéressant aux compositions délivrées par la formation. Un titre comme « Cry of Mankind » combine habilement ces deux éléments, ce qui permet d'ailleurs d'instaurer une ambiance légère et mélancolique du plus bel effet. Pour autant, la patience de l'auditeur pourra être mise à rude épreuve car le morceau progresse lentement, ne se bouscule jamais et ne brûle pas les étapes. Le calme avant la tempête ? Pas vraiment non plus. L'apothéose de la piste ne peut pas être qualifiée de passage énervé ou particulier puissant, seulement plus intense en émotion. Le solo final n'est pas hors de propos par ailleurs et permet de conclure sur une note plus que positive. Ceci est appréciable ? Le groupe le sait, voilà pourquoi cette formule est déclinée sur une très grande partie du disque.
Je vous l'avais dit que ça ne sentait pas la joie de vivre...
Ce concept de montée en puissance après un début très planant sera répété plus d'une fois, et c'est un peu dommage que Lenore S. Fingers en fasse un automatisme. L'idée est très bonne si bien utilisée, et de ce côté là, pas de soucis à se faire, ces jeunes gens s'en tirent très bien dans cet exercice. Seulement, plus de parcimonie dans l'écriture de tels titres aurait peut-être été bien plus judicieux, afin de ne pas laisser l'effet de surprise s'estomper et recycler cette recette qui, sur la fin, semblerait presque éculée. Qui plus est, l'erreur que commettent nos italiens est de, tout simplement, commencer par le titre le moins convaincant de l'ensemble et donc se tirer une balle dans le pied : « The Last Dawn » n'est pas mauvaise, mais peine à emballer. Seule la conclusion séduit. « Victoria », qui succède à cette piste, est nettement plus réussie, et bien que les chœurs masculins ne soient pas d'une très grande beauté, le titre tire son épingle du jeu grâce à la performance vocale de Federica Lenore Catalano, mais aussi par sa construction, différente des autres morceaux présentés. Plus punchy mais gardant toujours cette aura dramatique, voilà qui nous prouve qu'ils ont plus d'un tour dans leur sac !
Le chant est une composante tout aussi essentielle que ces guitares, par ailleurs. Et notre chanteuse, qui officie seule derrière le micro, possède énormément de ressemblances avec l'icône néerlandaise Anneke Van Giersbergen saupoudrée d'une petite pointe de Dolores O'Riordan. Les timbres sont très similaires, mais la frontwoman italienne réussit tout de même à s'affirmer tout au long de cette galette grâce à sa prestation pleine de charme et de sensibilité. Même sur des titres moins bien écrits tels « The Last Dawn » ou la semi-ballade « To the Path of Loss » traînant un peu trop la patte, son interprétation convainc, et offre de l'intérêt à ces pistes moins attrayantes de prime abord. Heureusement pour elle, les références à The Gathering s'arrêteront là, car sur un plan musical, les similitudes ne sont pas plus présentes que ça.
Difficile cependant de trouver qu'un titre se démarque complètement dans le lot. Le côté homogène d'Inner Tales possède ses défauts, et si rien n'y est toxique comme une amanite phalloïde, on ne peut s'empêcher de regretter l'absence d'un véritable hymne. Bien sûr, « Victoria », « Cry of Mankind » ou encore « Doom » sont de très bons morceaux, avec de véritables instants de grâce, mais il manque encore quelque chose pour donner une saveur plus particulière à l’œuvre. En jouant parfois trop sur des atmosphères similaires et des structures semblant répétitives sur la durée, les italiens se pénalisent alors qu'il y a pourtant matière à obtenir une mixture délicieuse.
Lenore S. Fingers délivre tout de même un premier effort satisfaisant. Si l'offrande aurait pu éviter certaines erreurs et automatismes, Inner Tales reste bien produit, composé et chanté. Non seulement, le boulot y est bien fait, mais en plus, les musiciens semblent passionnés et réussissent à retranscrire cette mélancolie qu'ils souhaitent tant faire transparaître au travers des sept pistes (plus une intro et une conclusion) offertes. On mettra les quelques faiblesses sur le compte du manque de maturité inhérent à bon nombre de jeunes groupes, mais cet essai est concluant. La suite se fait donc attendre de pied ferme, en espérant qu'ils ne déçoivent pas !