"Sinbreed est une expérience très intéressante pour moi"
Après avoir passé la quasi-totalité de sa carrière au sein de Blind Guardian uniquement, Marcus Siepen a prêté sa guitare à un autre groupe, Sinbreed, pour l'album Shadows. Il a ainsi pu partager son expérience, sa vision de la musique et des deux groupes et aussi apporter des précisions sur l'avenir proche de Blind Guardian, qui promet d'être bien rempli.
Bonjour Marcus et merci de nous accorder cette interview. Que penses-tu du résultat de ton premier album avec Sinbreed, Shadows ?
J’en suis très content ! C’était une expérience très intéressante pour moi, parce qu’après 25-30 ans avec Blind Guardian, j’ai pu faire, pour la première fois, faire quelque chose avec des gens différents. C’était comme un apprentissage pour moi, parce que Flo Laurin a une manière de jouer de la guitare très différente de la mienne et aussi différente d’André Olbrich (Blind Guardian), avec qui je suis habitué à jouer. La composition était aussi différente pour moi parce que, pour la première fois, j’ai essayé d’éviter de faire des choses que j’aurais faites en temps normal avec Blind Guardian. Cela n’aurait aucun sens de rejoindre Sinbreed pour faire la même chose que mon autre groupe ! Donc c’était une bonne expérience pour moi et je suis heureux du résultat. Chaque membre du groupe a composé, Frederik Ehmke (batterie) a écrit une chanson, Alexander Schulz (basse) a fait quelques trucs, Herbie Langhans (chant) aussi, tout comme Flo, de toute évidence, et j’ai travaillé sur trois chansons.
Quelles sont les choses que tu as voulu éviter dans tes compos ?
Tout ce qui sonne typiquement comme Blind Guardian, comme les couches d’harmonies à la guitare, les arrangements spécifiques… J’ai essayé de rester à l’écart de cela. Dans mon écriture, j’ai fait en sorte d’écrire des chansons plus directes. Par exemple, un enchaînement de parties que j’utilise dans une chanson de Sinbreed pourrait presque faire une intro pour Blind Guardian ! [rires]
Tu as dû changer ta manière de composer. As-tu dû changer ton son ?
J’ai un peu expérimenté avec des amplis différents et de nouveaux effets, mais je pense qu’au final, l’album doit marcher comme un tout, du coup, je n’ai pas insisté pour travailler avec le matériel que je voulais, mais je me suis adapté aux besoins des chansons. Je pense, en revanche, que je ne lâcherai jamais ma Les Paul, j’y suis trop attaché.
Tu disais que tu n’as joué que dans Blind Guardian pendant 25-30 ans. Qu’est-ce qui a fait que tu as accepté de jouer dans Sinbreed ?
En fait, ils m’ont demandé. [rires] Beaucoup de gens m’ont demandé si je voulais faire un projet solo ou rejoindre un autre groupe, depuis que Demons & Wizards (autre groupe de Hansi Kürsch de Blind Guardian) a commencé. Je répondais à chaque fois que je ferais sûrement quelque chose d’autre un jour, si j’avais assez de chansons qui ne collent pas à Blind Guardian, je les ressortirais d’une autre manière. Mais il n’y a jamais rien eu de vraiment planifié. Il se trouve que Blind Guardian est assez satisfaisant pour moi. Concernant Sinbreed, on tournait en Amérique du Sud avec Blind Guardian et Frederik m’a dit qu’il jouait avec Sinbreed après et que les gars avaient besoin d’un autre guitariste pour le live. Je connaissais l’album, je l’aimais bien, donc j’ai dit oui. J’ai profité de quelques jours off pour apprendre le set, nous avons joué et c’était fun, j’aime bien les gars, j’aime la musique, du coup, quand ils m’ont demandé si je comptais rester, je leur ai dit oui. Donc ce n’était pas quelque chose qui me travaillait depuis longtemps, c’est juste arrivé.
Certes, Sinbreed et Blind Guardian sont différents, mais appartiennent à la même scène heavy. As-tu déjà pensé à faire quelque chose de complètement différent ?
Je n’ai jamais rien prévu de tel, mais il se trouve que j’écoute aussi de la musique qui n’a rien à voir avec Blind Guardian. Pour moi, il n’y a que deux type de musique, celle que j’aime et celle que je n’aime pas. Le genre ne m’intéresse pas. J’aime Pink Floyd, Dire Straits et la carrière solo de Mark Knopfler, Joe Bonamassa, Jethro Tull, Bad Religion… Quelques fois, je prends ma guitare et je jamme sur quoi que ce soit qui me vient à l’esprit, cela peut être quelque chose d’inhabituel. Parfois j’enregistre des idées, mais je n’ai jamais pensé à faire un album de blues, par exemple, je ne sais pas si j’en serais capable. Je me considère comme un guitariste de metal, je peux jouer d’autres choses, mais le metal est ce que je fais le mieux, qu’il soit speed, thrash, mélodique, progressif… C’est là où je sens le mieux, et je pense que tu es meilleur quand tu fais ce qui vient de ton cœur. Je pourrais essayer de faire un album de blues un jour, mais rien n’est prévu.
Dans les derniers albums de Blind Guardian, le gros des chansons était écrit par André. As-tu profité de Sinbreed pour exprimer des idées que tu n’as pas pu caser dans Blind Guardian ?
Non, nous ne sommes pas limités, aussi bien dans Sinbreed que dans Blind Guardian, donc je peux faire tout ce que je veux. La seule règle qui existe dans Blind Guardian, c’est que les autres doivent aussi aimer ce que tu proposes ! [rires] J’ai d’ailleurs écrit quelques trucs pour le prochain album de Blind Guardian comme j’ai fait pour Sinbreed, donc non, il n’y a rien que j’ai transféré d’un groupe à l’autre.
Pourquoi avoir intitulé l’album de Shadows ?
Cela vient de la deuxième chanson. On a aimé les paroles, du coup on l’a appelé ainsi. C’est un titre simple, mais il reste en tête. Les paroles sont une idée de Flo, il en parlerait mieux que moi parce que je n’en écris pas du tout. Je n’ai jamais essayé d’ailleurs. Peut-être que j’essaierai un jour, mais je n’ai aucune expérience en la matière. Je parle avec ma guitare, c’est mon langage.
Beaucoup d’albums de heavy metal ont une ou plusieurs ballades. Pas Shadows. Une raison à cela ?
C’est juste qu’on n’en a pas écrit. Nous n’avons pas fait de plan pour savoir dans quelle direction on allait. La première chanson qu’on a écrite est Reborn en 2012, on la jouait déjà en live. Mais après ça, on s’est juste assis et écrit ce qui nous venait à l’esprit. Cela ne vient donc pas de quelque chose de réfléchi. Il y a une intro à la guitare acoustique qu’a imaginée Frederik. Ce qui est drôle, c’est qu’il ne joue pas de guitare, et que la batterie n’est pas l’instrument le plus mélodique. Il a donc programmé une guitare avec je ne sais quel logiciel et Flo et moi l’avons interprété avec de vraies guitares. Donc c’est le seul moment "ballade". Mais cela ne me manque pas, je ne considère pas cela comme une obligation. Il y en aura peut-être une la prochaine fois.
Quels sont vos projets de tournée concernant cet album ?
Nous n’avons rien de défini pour l’instant. Nous avons eu une grosse conférence via Skype il y a quelques jours pour parler des offres qu’on a reçues. Le problème est qu’il faut adapter tout ça au planning de Blind Guardian, puisqu’il y aura quelques concerts cette année. Il y aura des concerts avec Sinbreed, mais on ne sait pas encore quand. Nous aimerions également venir en France, je sais que le public de Blind Guardian est bon en France, du coup, je suis plein d’espoir pour Sinbreed.
Avez-vous pensé à faire une tournée en commun avec les deux groupes ?
Pitié, non ! [rires] Ma réponse est la même que celle d’Hansi quand on lui a demandé s’il comptait faire de même avec Blind Guardian et Demons & Wizards. Normalement, un concert de Blind Guardian est assez long, du coup, ajouter une heure à tout ça est assez fatigant ! [rires] Si c’est dans le cadre d’un festival où Sinbreed joue l’après-midi et que Blind Guardian joue quelques heures plus tard, c’est bon, mais je n’aime pas l’idée de jouer une heure avec Sinbreed, puis prendre un verre, réaccorder ma guitare et enchainer avec deux heures Blind Guardian. Je suis trop fainéant pour ça !
D’ailleurs, Blind Guardian risque d’être occupé prochainement, peux-tu nous en parler ?
Nous avons deux albums en préparation. Le premier est ce qu’on pourrait appeler un album "normal", et nous finissons aussi notre projet orchestral qu’on a commencé il y a des siècles [rires]. Nous sortirons d’abord le premier pour pouvoir commencer à tourner, mais nous voulons vraiment finir les deux en même temps, parce qu’une fois qu’on sera en tournée, on ne pourra pas avancer sur le projet.
A propos du projet orchestral, vu que tout le groupe travaille dessus, y aura-t-il du metal dedans ou sera-t-il simplement orchestral ?
On pense toujours à plusieurs options. Le gros du projet sera seulement orchestral avec Hansi qui chante dessus. Du coup, pas d’André, de Frederik ou moi. Toutes les chansons sont de nouvelles chansons de Blind Guardian, ce ne sera pas Nightfall in Middle-Earth joué par un orchestre, les mélodies sont typiques du groupe, c’est juste qu’il n’y aura pas d’instrument metal. Cependant, il y aura au moins quelques-unes des chansons qui marcheraient dans un contexte metal. Du coup, on compte en adapter certaines avec le groupe qui jouerait, on travaille dessus. Mais l’objectif principal de ce disque reste l’orchestre.
Qu’est-ce que ça fait de travailler sur deux albums en même temps ?
En fait, on a une manière de travailler un peu spéciale. D’habitude, les groupes composent, enregistrent et partent en tournée. Ici, on enregistre une fois qu’on a fini deux ou trois chansons, puis on retourne à l’écriture, et ainsi de suite. Ainsi, tu respires entre les phases d’écriture et d’enregistrement et tu peux travailler sur d’autres choses en parallèle. Il y a moins de pression, c’est plus confortable de travailler ainsi.
Est-ce aussi plus confortable de laisser 4 ans entre chaque album ?
En fait, ce n’est pas qu’on prend du temps. Ça peut y ressembler et à chaque album, la question est posée, mais ce n’est pas qu’on est fainéants. At the Edge of Time est sorti en 2010, on a ensuite tourné pendant deux ans. On n’écrit pas en pleine tournée, parce que quand tu joues deux heures par soir, le set est imprimé dans ta tête. Un set contient environ 18 chansons par soir, mais on répète une quarantaine de chansons par tournée, comme ça on peut changer de temps en temps, ainsi, c’est toujours intéressant pour nous, parce que si tu joues toujours les 18 mêmes chansons, tu t’endors au bout d’un an. C’est aussi plus intéressant pour un bon nombre de nos fans qui viennent voir plus d’un concert par tournée. Donc on a 45 "vieilles" chansons en tête à chaque tournée. Avant de commencer à écrire, il faut les retirer de ton esprit, donc quand tu rentres chez toi, tu ne dois rien faire pendant un mois. Après ça il faut écrire ! Chez nous, ça prend entre un an et un an et demi. Entretemps tu enregistres. En tout, ça fait deux ans pour tourner et deux ans pour bosser sur un disque. Voilà ce qui explique les quatre ans d’écart entre chaque album. Donc nous ne sommes pas fainéants, notre musique est assez dense et complexe et ça prend du temps pour l’écrire. Il y a des groupes qui sont plus rapides, mais il s’agit de notre rythme de travail. Sinon, on peut écrire un album en deux mois, mais la qualité serait revue à la baisse et nous ne voulons pas de cela. Je pourrais même t’écrire un album en une journée. Le soir, je te rends 10 chansons. Tu ne les aimeras pas, mais bon ! [rires]