"Avec Edguy, tu as deux titres pour le prix d’un !"
A l'occasion de la sortie de Space Police - Defenders of the Crown, Tobias Sammet, chanteur et tête pensante d'Edguy, a expliqué à La Grosse Radio le processus de création de l'album, la volonté du groupe de se démarquer par rapport au reste de la scène et a aussi évoqué les points marquants de sa carrière, avec un certain amusement.
Bonjour Tobias et merci de nous accorder cette interview. La dernière fois qu’on s’était parlé, il y a de ça un an, tu n’avais pas commencé à travailler sur Space Police – Defenders of the Crown. Maintenant, il est fini. Comment ça se fait ?
Je ne le sais pas moi-même ! Je suis revenu de la tournée avec Avantasia en août 2013 et j’ai suggéré directement aux gars qu’on se mette à faire un nouvel album. Je savais qu’ils attendaient et qu’ils allaient m’en parler, mais je voulais être celui qui a l’initiative ! Donc nous avons commencé entre fin août et début septembre et avons réservé le studio pour novembre. A ce moment-là, je n’avais aucune chanson de prête, du coup, nous avons eu deux mois pour écrire et il fallait enchainer avec l’enregistrement. Nous savions qu’en cas de problème, il y avait possibilité de remettre la date d’enregistrement à plus tard. La qualité est la priorité numéro un. S’il nous faut plus de temps, on le prend. Mais il se trouve que c’était aussi un bon défi de nous forcer à nous mettre dans le processus de composition. Ce qui m’a aidé, c’est de ne pas avoir le temps de réfléchir à deux fois à mes chansons, s’il fallait changer ceci, assembler ces deux parties. J’écrivais une chanson et si je la sentais bien, c’était cool et je passais à la suivante. J’ai écrit sept chansons, la première que j’ai finie était "Sabre & Torch". Je l’ai arrangée avec Sascha [Paeth, producteur du groupe], même pas avec le groupe. J’étais habitué à cette méthode, parce que, dans ma tête, j’étais toujours dans l’univers d’Avantasia, et c’est comme cela qu’on procède. Cela ne veut pas dire que j’ai écrit des chansons comme dans Avantasia ! Travailler comme ça m’a permis de finir plus vite cette première chanson. Une fois que la première est prête, le reste est plus simple, parce que tu as un élément sur lequel te reposer et tu peux définir la direction artistique ainsi que le rythme de travail à adopter. A partir de là, l’album s’est écrit tout seul.
De coup parmi les trois autres chansons présentes dans l’album, deux sont écrites par le guitariste Jens Ludwig et une autre est une reprise, "Rock Me Amadeus". Edguy n’avait pas inclut de reprise dans un album depuis Hymn, dans Vain Glory Opera (1998). Pourquoi en mettre une maintenant ?
Je suis un grand fan de Falco, en plus, cette chanson est très étrange, ce n’est pas le genre de chanson qu'un groupe de power metal va reprendre d’habitude. Du coup, c’est un défi qu’on s’est mis en tête. Au début, on voulait faire "Der Kommissar", qui était le single précédent de Falco. Mais Sascha nous a dit que "Rock Me Amadeus" était bien plus flamboyant, ironique et mégalomane. En plus le refrain est vraiment un hymne. Du coup, on avu que Sascha avait raison. C’est tellement original et fou que ça correspond parfaitement à Edguy, du coup, on l’a mise sur l’album. De nombreux autres groupes n’oseraient pas mettre une telle chanson sur disque. De nos jours, beaucoup de groupes tentent de montrer qu’ils sont metal et passent leur temps à s’interroger sur ce qui correspond à un groupe de metal. En fait, ils passent plus de temps à parler de metal qu’à en jouer. Nous ne nous demandons pas si ceci est assez metal ou si cela ne l’est pas… Nous faisons quelque chose parce que nous y croyons, que ce soit à la mode ou pas, que cela fasse partie de ce qu’on a le droit de faire ou non. C’est ça, le vrai esprit heavy metal : faire quelque chose parce que tu veux le faire. Point. C’est ce que nous avons fait avec "Rock Me Amadeus". Evidemment, le label nous a suppliés de la retirer, mais nous l’avons gardée. On aurait pu la retirer, l’album aurait quand même duré 52 minutes. On ne l’a pas mise parce qu’on manquait de temps avec les chansons, mais parce qu’on a trouvé qu’elle avait sa place dessus.
Un autre élément non conventionnel est le titre de l’album, Space Police – Defenders of the Crown. Où avez-vous été le chercher ?
On avait commencé à travailler sur Defenders of the Crown. Cela avait un aspect monumental, mais c’était aussi un peu ironique, parce que c’est drôle de prendre une grosse voix et de dire "nous sommes les défenseurs de la couronne du heavy metal". On a toujours fait les choses à notre manière, pas mal de gens ont mis en doute le fait qu’on soit un vrai groupe de heavy metal, parce qu’on fait des choses que les autres ne font pas. Mais un groupe doit savoir passer outre son image et ce qu’on attend de lui. On fait ce qu’on veut et c’est comme ça qu’un groupe doit marcher. Du coup, on peut se permettre d’avoir un titre comme Defenders of the Crown. Mais ensuite, nous avons trouvé le titre Space Police et j’ai trouvé que c’était aussi un super titre, ce n’est pas le genre de titre que d’autres groupes de metal utiliseraient pour un album. Je me suis dit que c’est une bonne raison pour avoir un tel titre ! Comme on n’a pas pu nous décider, on a choisi les deux. Cela n’a pas vraiment de sens, il n’y a pas de concept derrière, ce sont juste deux titres combinés. Avec Edguy, tu as deux titres pour le prix d’un ! [rires]
La pochette est aussi du même acabit. Comment l’avez-vous choisie ?
Nous avons un artiste américain qui s’est aussi occupé d’Age of the Joker. Nous avions le choix avec une autre pochette, faite par un français, Jean-Pascal Fournier, qui s’était occupé de la pochette de The Metal Opera pt.1 d’Avantasia. Il a fait une belle peinture, mais nous avons choisi la pochette la plus ridicule, parce qu’on voulait quelque chose de flashy et inhabituel. Encore une fois, nous nous sommes demandés : "Est-ce qu’un groupe de heavy metal peut faire ça ?" C’est différent, mais c’est courageux, là est le propos du heavy metal.
On remarque que l’album a une direction plus heavy qu’avant, est-ce voulu ?
C’est juste arrivé, rien n’était prévu à l’avance. Je pense qu’une des raisons vient de l’album précédent, Age of the Joker (2011). Avec cet album, nous avons voulu nous adoucir et ne pas participer à cette "loudness war" que se font les autres groupes, avec des albums plus forts, plus heavy, plus polis, plus artificiellement exagérés, avec plus de compression et moins de dynamiques. Nous avions voulu faire l’inverse en prenant une démarche old school, façon Dio. On ne voulait pas être à la mode. Je ne dirais pas rétro, parce que c’est un terme très à la mode de nos jours, mais ça correspond un peu à notre démarce pour Age of the Joker. Du coup, on a fait ça, je suis très content de ce disque, très dépouillé, avec un son organique et nous n’avions pas besoin d’aller plus loin dans cette direction. Avec Space Police – Defenders of the Crown, nous ne nous sommes pas fixés un but, nous n’avions pas besoin d’avoir une méthode de production spéciale. On s’est juste dits : "faisons un bon album d’Edguy". Un album qui englobe ce que nous avons fait dans le passé, mais qui nous représente aussi en l’an 2014. Mais nous n’avions pas décidé de faire un album plus heavy que d’habitude. Je me suis rendu compte de cette direction quand j’avais fini "Sabre & Torch". Des chansons comme "Realms of Babayaga", "Shadow Eaters" ou "Defenders of the Crown" suivent cette direction. Mais on ne peut pas vraiment prévoir la direction que nous allons prendre. Certains pensent que nous essayons de revenir à l’époque de Hellfire Club (2004). C’est vrai que certaines chansons peuvent s’y rapporter, mais nous n’avions besoin de revenir nulle part, c’est juste arrivé naturellement. Mais si les fans de Hellfire Club sont contents, je suis content ! [rires]
Tu avais déclaré que cet album réunissait tout ce qui rendait Edguy unique. Quels sont ces éléments ?
Honnêteté, diversité, authenticité. Tu as aussi le cadre sonore, avec de grosses mélodies accrocheuses qui te donnent la chair de poule sans être trop cheesy. C’est dur de ne pas franchir cette frontière, mais nous y sommes arrivés. "Defenders of the Crown" est l’exemple de l’hymne power metal, avec son refrain facile à reprendre. Nous avons essayé de retransmettre le côté épique de films comme Quo Vadis ou Ben Hur, avec ces chœurs énormes. Malgré cette volonté, ça sonne frais et spontané, ce n’est pas forcé. C’est dur pour moi de définir tout ce que représente Edguy, mais je pense que cela va au-delà d’un simple genre musical. Nous avons trouvé notre propre moyen de nous définir. Nous avons réussi à faire ça parce que nous avons toujours fait ce qu’on a voulu faire. Nous ne nous sommes jamais dit "non, nous ne pouvons pas mettre une autre ballade sur l’album, ou mettre une autre chanson où ça crie, parce que ce serait trop heavy pour les fans de ballades…".
Etant donné que les lignes vocales semblent plus poussées, as-tu dû toi-même pousser tes techniques ?
Non. Parfois, on a passé du temps sur certaines chansons. Pour "Sabre & Torch", les paroles sont assez agressives, du coup, Sascha n’a pas arrêté de me demander de chanter de manière plus agressive. Ça m’a tellement embêté que je me suis mis à chanter de manière vraiment agressive ! Cet album contient certaines de mes parties les plus puissantes… Pourtant, une chanson comme "Defenders of the Crown" est très facile à chanter. J’ai dû mettre ¾ d’heure à l’enregistrer, sans compter les chœurs. Pareil pour "Space Police". Je pense que cet album montre aussi la diversité de mon chant. Tu as des titres très opératiques, très power metal, comme "Defenders of the Crown", mais tu as aussi des trucs plus bluesy comme "Realms of Babayaga", même si la chanson est assez heavy en elle-même. Tu as aussi des parties plus dramatiques, comme sur "The Eternal Wayfarer". Je suis très content de ce que je fais avec ma voix sur cet album. Pas que je veuille me jeter des fleurs, chacun décide de ce qu’il aime et de ce qu’il n’aime pas.
Les paroles ont aussi l’air diversifiées. Quels sont les thèmes que tu emploies ?
Il y a pas mal de trucs différents effectivement. On a du spirituel avec "Shadow Eaters" et "The Eternal Wayfarer", "Alone with myself" est une chanson personnelle sur le fait d’être isolé émotionnellement et tu as aussi les thèmes typiquement metal qui te donnent la pêche, comme "Saber & Torch" ou "Love Tyger". D’ailleurs, elle ne parle pas du tout d’amour, elle parle de la volonté de divertir, poussée par un bon coup de testostérone. Il y a plein de choses différentes, avec des interprétations différentes.
Qu’est-ce que ça fait d’être dans un groupe qui n’a pas changé un seul de ses membres en 16 ans ?
Même les membres qui puent ne veulent pas partir, c’est atroce ! [rires] Si nous ne nous entendions pas aussi bien, on n’aurait pas pu accomplir tout ça ensemble. Mais je pense que plus ce processus dure longtemps, plus forts sont les liens entre les membres. On ne peut pas arrêter tout ça d’un coup parce qu’il n’y a pas de grave problème entre nous. Bien sûr, des fois le ton s’élève et tu as envie d’en envoyer un en orbite, mais c’est normal, il faut juste sortir de la pièce, se concentrer, puis revenir et discuter au calme. Ça arrive dans toutes les familles. Je pense que nous sommes assez intelligents pour apprécier ce qu’on a accompli. De plus, nous sommes de vrais amis, je pense que ça fait la différence par rapport à certains autres groupes.
Quelles attentes as-tu par rapport aux prochains concerts en France ?
Ça me fait du bien de revenir après trois ans. Ça fait aussi plaisir de refaire notre propre tournée. Entretemps, on a fait la première partie de Slash en Amérique du Sud, de Deep Purple en Allemagne… C’était bien de jouer dans de grandes salles comme ça, mais ce n’est pas la même chose que de jouer ton concert, avec tes éléments de show et de savoir que la scène t’appartient, c’est comme si tu jouais pour des gens dans ton salon. C’est dans cet environnement que je me sens le mieux.
L’année dernière tu as pu amener Avantasia sur scène pour la première fois en France. Qu’est-ce que ça fait ?
Ça fait beaucoup de bien ! Il s’est passé beaucoup de choses en France avec Edguy, c’est l’un des premiers pays qui nous a accueillis les bras ouverts. On a toujours eu beaucoup de couverture, on a fait pas mal de festivals, à Evry, à Strasbourg. C’était dommage qu’on n’ait pas pu amener Avantasia plus tôt, du coup j’étais content qu’on puisse jouer au Hellfest. C’était un peu triste qu’on n’ait même pas pu faire la moitié du concert, une heure et demie, ce n’est rien pour Avantasia, mais au moins, les gens ont eu une idée de ce que c’est. Ça dure plus de trois heures normalement. J’espère qu’on pourra amener ça dans une grosse salle un jour en France. On ne peut pas faire ça en club malheureusement. C’est assez cher à mettre en place. Pas que je sois obsédé par l’argent, mais je ne veux juste pas en perdre.
Photo d'ambiance : © 2014 Thibault Devirgille
Photo live : © 2013 Nidhal Marzouk / Yog Photography
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.