Les ténèbres mises en musique
Le groupe de metal oriental français se prépare à sortir son troisième album, Sofia. Toujours dans l’optique de renouveler sa recette, Arkan base ici son album sur un sujet grave : la perte d’un être cher. Il délivre ainsi son album le plus sombre et le plus torturé. Cependant, il ne se laisse pas envahir par la douleur et exacerbe ainsi la richesse de sa musique, en la mettant au service du sujet abordé, laissant ainsi l’auditeur voyager dans les abysses du malheur…
Sofia est l’album sombre d’Arkan. Alors que Salam transpirait le positivisme et la lumière, son petit frère en est l’antithèse. Construit à partir d’une histoire personnelle douloureuse, celle de la perte d’un être cher, ce troisième album met en musique le deuil et tous les aspects sombres qui en découlent, de la détresse ("My Reverence"») au désarroi ("March of Sorrow") en passant par de nombreuses étapes introspectives qui tiennent l’auditeur en haleine.
La musique est mise au service de cette ambiance macabre. Point d’esbroufe instrumentale ou de démonstration absconse, chaque note est jouée dans cette optique. De la mélodie sombre qui revient à diverses reprises aux solos lacrymaux servis sur un plateau d’argent par Mus El Kamal, à la guitare électrique ou au oùd, tout fait référence à la douleur exprimée par chacun des musiciens du groupe. Ainsi, une ambiance sombre, déclinée en plusieurs formes, servie aussi avec la basse omniprésente de Samir Ramila et la frappe intelligente de Foued Moukid, traverse l’album de part en part et ne quitte pas les oreilles de l’auditeur pendant les 49 minutes qui le composent.
Cependant, Arkan ne perd pas son identité. Toujours à la croisée des genres, quelque part entre le metal et la musique orientale, le groupe fait pencher la balance comme bon lui semble, en plaçant de nombreux éléments acoustiques, mettant ainsi un solo oriental sur fond de rythmique metal ("Soiled Dreams") ou inversement ("Endless Way") sans que cela ne sonne de manière incohérente. Le groupe arrive ainsi à mélanger les cultures de manière naturelle et à faire varier sa formule, en passant d’influences death ("Wingless Angels") à doom ("Scar of Sadness") sans jamais se fixer de barrière quelconque.
Les morceaux sont écrits dans cette même optique. Si peu de titres ont une structure classique ("Hayati" et "Leaving Us") les autres racontent une histoire dans leur déroulement, avec des ponts et des breaks inattendus, rendant permettant ainsi à l’auditeur de se plonger lui-même dans l’univers sombre et torturé proposé, se laissant ainsi porter par le flot perpétuel de sons, qui s’apparentent au Styx, augmentant ainsi la porosité entre le monde réel et l’au-delà. On notera aussi certains morceaux formant un tout, comme le dyptique "Soiled Dreams" et "Deafening Silence", ou encore les quatre morceaux de fin, dont l’ensemble est sobrement intitulé "Sofia".
Pour coller à l'ambiance du disque, le chant de Sarah Layssac se veut plus sombre, voire malsain sur certains passages, notamment "Deafening Silence" avec ses vocalises fantomatiques et ses chuchotements inquiétants. Si la gravité du sujet envahit son interprétation, on remarque qu’elle est toujours capable de servir des envolées vocales magnifiques, notamment sur "Soiled Dreams". Son chant a définitivement pris le dessus sur celui de Florent Jannier, qui ne growle que sur trois morceaux du disque, offrant ainsi des dialogues intéressants, qui servent toujours le propos de l’album, notamment sur "Wingless Angels".
Avec Sofia, Arkan raconte une histoire à travers ses paroles, mais aussi à travers sa musique. Les compositions sont ancrées dans un concept cohérent de bout en bout. L’histoire est torturée et malheureuse tout en restant poignante. Le groupe captive, non seulement pour son savant mélange entre musique orientale et metal extrême, mais aussi par le sujet abordé. Avec un tel disque, Arkan montre une fois de plus qu’il suit son propre chemin, faisant un album personnel sur tous les plans.
Photo : © 2013 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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