Que ce soit un effet de mode ou non, il est évident que la scène stoner / doom occulte commence à être de plus en plus exposée et reconnue. Ce qui n'est pas forcément un mal, d'ailleurs, vu que la qualité est souvent au rendez-vous. L'autre tendance du moment, à la grande tristesse des misogynes, c'est de coller une femme au micro. Et là encore, on réussit à trouver des talents qui bénéficient enfin d'une reconnaissance accrue. Subrosa, Hela, Witch Mountain, Mist, Mount Salem, la liste est longue et les bonnes sorties s'accumulent. Comment réussir à s'imposer dans ce milieu ? Vaste question. Car certaines formations n'auront peut-être pas la même publicité en dépit de capacités égales, peut-être même supérieures à composer des pièces de qualité. Tout cela pour en venir à Season of Arrows, jeune groupe américain fondé en Janvier 2014 et offrant déjà un premier disque éponyme repéré par le label The Path Less Traveled Records. Rien que ça ! Encore peu connu et médiatisé, ce quintette s'engouffrant dans cette vague possède-t-il autant d'atouts que les noms pré-cités ?
L'opener « Submersible » donne fortement envie de répondre oui, tant la pièce est une réussite. Les guitares parviennent à appesantir l'atmosphère tout en gardant un groove qui rend la composition très accrocheuse. Ainsi, cette entrée en matière fait ressortir des qualités qui laissent entrevoir un potentiel énorme. L'ensemble du disque sera toujours marqué par cette volonté de créer une ambiance tout en gardant une dimension prenante, offrant ainsi une succession de pistes ancrées dans une mouvance stoner / doom aux influences diverses, allant de passages plus psychédéliques à des riffs très rock. On réfutera cependant toute trace d'originalité, tant la musique délivrée par les américains marche dans les pas de certains vétérans. On identifiera aisément les ténors de Black Sabbath sur un « Ox Blood » qui ne trompera personne quant à la source de certaines idées trouvées par le groupe. Cependant, la qualité d'exécution présente est réelle, et les musiciens font déjà preuve d'une réelle expérience, qu'ils mettent parfaitement au service de la musique en contribuant toujours à faire de chaque pièce un très bon moment, évitant la démonstration technique à outrance. Cela dit, cette cohésion n'a rien d'étonnant quand on sait que certains membres de Season of Arrows jouent ensemble depuis 1998.
Du coup, si la première piste donnait déjà de bons espoirs, la suite des événements ne fait que confirmer tout le bien que l'on pense d'eux. Les compositions s'enchaînent mais tirent leur épingle du jeu grâce à leur diversité, et à la qualité intrinsèque de chacune. Beaucoup de groupes officiant dans le style qui nous intéresse pêchent par l'aspect monolithique et linéaire de leurs morceaux, piège que le quintette évite en variant les tempos avec beaucoup d'intelligence et de dextérité. « Sleepwalkers », par exemple, nous emporte avec sa puissance et ses riffs stoner très inspirés, donnant un bon coup d'accélérateur à la mouture, ce qui contraste avec une piste au tempo plus en retenue comme « Soul of the City », où la frontwoman y joue un rôle primordial quant à l'ambiance qui se construit. Et s'il n'est pas étonnant de compter ainsi sur l'impact de la voix féminine, c'est parce que Stormie Wakefield possède un organe Ô combien envoûtant.
Un groupe mystérieux
Season of Arrows sait qu'il compte dans ses rangs une chanteuse de grand talent et l'utilisation du chant est très intéressante. Toujours placé en retrait, celui-ci ne manque pourtant pas d'impact grâce à sa qualité et aux capacités de sa détentrice, qui n'hésite jamais à moduler comme il se doit, à savoir faire preuve de puissance, de sobriété, à inquiéter comme elle sait rassurer, le tout avec maîtrise. Si son timbre n'est pas le plus unique de la scène, évoquant bien souvent sa consœur finlandaise de Jess and the Ancient Ones (flagrant dans « Soul of the City »), Stormie s'impose très aisément néanmoins, dégageant beaucoup de charme et d'émotion par son implication. Les cinq musiciens peuvent ainsi se targuer d'avoir une maîtresse de cérémonie très en forme, ce qui est souvent un point crucial quand on officie dans le genre.
Si ce choix peut déstabiliser au départ, on ne le comprend que plus aisément par la suite, le tout étant aidé par une production qui fait son effet, jamais proprette ou à l'inverse brouillon. Cette galette contient par ailleurs une pierre angulaire, répondant au doux nom de « Columns » et culminant à plus de six minutes, pendant lesquels les éléments se déchaînent : la guitare joue entre excitation et accalmie, la performance de Stormie est brillante, prenant une facette mystérieuse et sensuelle mais montrant aussi sa capacité à donner de la voix et à chanter avec puissance, et la structure, variée, offre une bouffée d'air frais par ces ralentissements et accélérations. L'autre pièce de longue durée, « Trace Elements », est très bien écrite également, mais légèrement moins marquante. Ceci dit, difficile d'y trouver réellement à redire, et seul une conclusion un peu plus faible, « Rival », viendra mettre un peu d'ombre au tableau. Pas foncièrement mauvaise, cette fin d'album déçoit un peu par ce titre un brin mollasson et moins inspiré que les autres, et ce malgré d'excellentes idées mais une exécution un peu trop à la peine.
Ce détail mis à part, Season of Arrows délivre un premier jet éponyme de très bonne tenue. Comptant non seulement sur une Stormie Wakefield qui rayonne à son poste de chanteuse, mais également sur de nombreuses pistes fort prenantes, la barre est déjà placée très haut pour une première mouture. Maintenant, la chance joue beaucoup dans le succès, et je ne peux qu'espérer pour ces cinq américains qu'ils réussissent à faire parler d'eux grâce à cet opus solide et mature. D'autant plus que sur une scène où bon nombre de talents commencent à faire leur apparition, notre groupe du jour a largement les armes pour sortir de la masse. Ne reste qu'à les utiliser judicieusement.
