Igor Achard, chanteur du groupe Abinaya

"Le metal te permet de revenir à tes racines et rester tolérant vis-à-vis du monde qui t’entoure"

De retour après cinq ans d'absence avec "Beauté Paiënne", les quatre français d'Abinaya cultivent depuis plus de dix ans un grand amour pour le metal, les sonorités tribales et les anciennes croyances. À l'occasion d'une journée de promotion à Paris, Igor Achard, chanteur et guitariste de la bande, s'est livré au jeu de l'interview.

Salut Igor, votre nouvel album Beauté Païenne est disponible depuis le 19 avril dernier, comment te sens-tu?

La promo démarre super bien ! A notre grande surprise c’est d’adord à l’étranger que ça fait du bruit. On a eu la chance de se retrouver dans deux  CD sampler de Terrorizer et Zero Tolerance deux mags londoniens. Et nous sommes le seul groupe chanté en français sur ces deux CD, t’imagines? J’ai halluciné. J’ai envoyé un son à la rédactrice en chef de Terrorizer, elle a écouté, trois minutes après elle m’a dit « c’est ok ». Forcément on a de la visibilité dans les médias français, actuellement dans Metallian et normalement le mois prochain dans Rock Hard. Cette bonne promo nous assure sept dates en Angleterre en octobre, nous avons rencontré un booker anglais qui a pu nous programmer. On va ouvrir à Colmar pour The Black Dahlia Murder, carrément une chance pour un groupe français comme nous. Donc voilà tout va bien, on est dans la continuité de Corps mais on va encore plus loin.

Abinaya, Beauté Païenne, Metal Ethnique, Igor Achard

Du coup cinq ans après un Corps excellent et salué par la critique française et étrangère peux-tu nous présenter Beauté Païenne?

Déjà, nous avons pris notre temps, c’est vrai que c’est une question récurrente: pourquoi cinq ans ? Replica nous mettait pas mal la pression. Mais avec les gars, nous voulions être totalement satisfaits du résultat. On ne voulait pas composer des kilomètres, mais composer de façon à ce que nous n’ayons que des pièces originales. Pas de déclinaisons de deux titres émergeants tu vois ? Je ne voulais surtout pas faire un Corps bis. C’est entre autres pour ça que j’ai radicalement fait évoluer ma voix. L’origine de cette évolution vient de deux choses. D’abord, sur la tournée de Corps, nous avons partagé la scène avec des groupes extrêmes. Avec notamment Vader qui dans le chant growl est le top du top. Aussi avec Benighted et Julien Truchan qui est une démonstration technique de chant growl. Et après avoir partagé la scène avec ces chanteurs, il te reste inconsciemment quelque chose dans les cordes vocales. Et la deuxième chose, inévitable je pense, c’est qu’à force de faire des festivals ma voix c’est «baritonisée ». Sur Corps j’avais tendance à être comparé à un type comme Bertrand Cantat. Bon j’ai beaucoup de respect pour le type et pour Noir Dez, mais ce n’est pas mon influence principale je ne vais pas te mentir (rires).

Comment s’est passé l’enregistrement ?

Nous avons travaillé avec Kévin Pandele, l’ingé son de Corps, on avait adoré, il fait des riffs herculéens et il a vraiment sorti ce côté massif que l’on voulait. Ce qui est original c’est qu’il est parisien à la base et qu’il est parti à Philadelphie pour ouvrir son propre srudio, le Damage Room Studio. Et donc je suis allé le rejoindre. Il baissait tellement ses prix studios que j’ai pu me payer le billet, par contre pour les autres gars c’était trop cher. Ils ont donc enregistré en France à Planet Live puis nous ont envoyé les sons. Et moi là-bas j’ai fait les solos, les riffs, toutes les voix et Kévin a tout mixé sur place. Et quand tu es un petit frenchi comme moi, enregistrer aux USA c’est un bonheur, probablement l’un de mes meilleurs souvenirs.

C’est vrai que l’album est assez varié, j’adore personnellement la troisième piste "haine".

Effectivement c’est une fureur ce morceau. C’est d’ailleurs lui qui ouvre notre set. Simple, brut de décoffrage. On a vraiment pas mis longtemps à le mettre en boite, en trois semaines il était prêt.

D’ailleurs « seulement » huit pistes dont une de moins de cinq minutes, pourquoi ce choix ?

Avec Corps on avait quelques singles de 3 min 50, mais là on a voulu se laisser aller, ne pas faire du calibrer. On a quand même fait un radio edit de "Beauté Païenne" de cinq minutes. Après, cela s’est fait tout simplement, nous avions environ 45 minutes avec huit morceaux. On est assez maniaques, il faut que les morceaux soient aussi bien taillés pour la scène que le CD. Un album cela te suit toute ta vie il ne faut pas l'oublier.

Cela vous tenait à cœur de garder cet esprit tribal appuyé par des paroles tournant majoritairement autour de la spiritualité ?

Oui énormément. Tu sais beaucoup considèrent le metal comme une musique de grosses brutes imbibées de bière, mais non. Cette dimension culturelle mystique, notamment le paganisme ancien, nous tiens à cœur car, à mon sens, le metal ramène des valeurs  comme ce paganisme ancien. Regarde Amon Amarth, Behemoth, Tyr… Et je pense qu’aujourd’hui nous sommes dans un monde où l’extrémisme religieux est omniprésent et provoque de nombreuses tensions. Je trouve que le paganisme ancien ramène à une certaine tolérance lorsqu’il est couplé au metal. C’est ce que ne pigent pas les extrémistes qui te martèlent à coup de grandes paroles en te disant que tu vas t’éloigner de tes racines si tu continus à t’enfoncer dans cette société cosmopolite, abâtardie et a pensée unique et que tu vas dépérir. Mais pour moi non, s’ouvrir encore plus sur ce monde et ce qu’il propose et notamment par le biais du metal te permet justement de revenir à tes racines et rester tolérant vis-à-vis du monde qui t’entoure. Oui vraiment pour moi le metal amène ça dans la culture. C’est pour ça que nous avons choisi le titre Beauté Païenne, la beauté esthétique sur les corps que nous avons quand même pas mal perdu avec le christianisme par exemple.  On aurait pu appeler ça "Beauté de tolérance"  quand j’y réfléchi. Il y a des siècles on adulait des dizaines de dieux et qu’il y en ait un de plus ou un de moins on s’en fichait. C’était une belle forme de tolérance.

Du coup sur quoi t’appuis-tu pour écrire tes textes et travailler tes morceaux ? Tu as des auteurs ou des ouvrages de prédilections?

Tu sais à la base je suis prof d’histoire donc la lecture d’œuvres de Jean Pierre Vernant ou Lévi-Strauss donc oui ça m’aide. Regarde Sepultura qui sont allés vivre dans une réserve pour l’écriture de Roots, je n’imagine pas comment ils ont vécu cette expérience. Je crois qu’il n’y a plus que le metal qui amène de tels comportements et une telle envie de recherche, c’est tellement cérébral. Et c’est ça qui m’intéresse.

Ces influences tribales sont également portées par Nicolas Heraud, votre percussionniste, qui semble tenir un rôle singulier dans ton groupe. Peux-tu nous parler un peu de lui ?

C’est un pilier du groupe. On avait fait un tout premier album dans les années 2000, on était dans un univers blues rock beaucoup plus harmonique mais il y avait déjà des percussions, Nico est donc vraiment là depuis le début. André (basse) et l’autre Nicolas (batterie) sont arrivés en 2003/2004. De par sa présence on nous catalogue assez rapidement comme un groupe à la Sepultura mais on sait nous démarquer aussi. C’est un peu notre Angus Young à nous sur scène. A la base c’est un danseur et souffleur de feu. Il a travaillé dans la compagnie de Bartabas. Il saute, il danse, il rampe. C’est un pilier, sur album comme sur scène.

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Du coup dix ans après votre lancement « officiel » et un line up qui n’a pas bougé, quel regard portes-tu sur ta carrière et celle d’Abinaya?

Un bilan super positif, c’est notre vie. Le bilan c’est que nous avons eu l’honneur de partager la scène avec des groupes internationaux ce qui est une certaine fierté. On se considère aussi comme des francs-tireurs. Nous n’avons pas encore rencontré d’autres groupes s’étiquetant de « metal ethnique ». Ce terme est important pour moi, c’est cette idée d’aller chercher ses racines, indiennes, scandinaves ou indouistes. C’est ça Abinaya, c’est une quête, cette éternelle idée de vouloir revenir aux sources. Et je suis content de défendre l’idée que le metal soit aussi quelque chose de spirituel et pas quelque chose que l’on doit pointer du doigt. Après tout, au XIVème siècle ce que l’on appelait le diable c’était les anciens Dieux à cornes et pas le Satan que l’on connait aujourd’hui. C’est ça qui me plait avec Abinaya et le metal. Je place le metal haut sur l’échelle (rires).

Toujours pas la tentation de chanter en anglais?

Comment te le dire ? On réussit à l’étranger, on nous organise des tournées en Angleterre… Pourquoi se prendre la tête ? Bon cela dit je n’oublie pas cette idée non plus. Kévin me l’avait suggéré à Philadelphie et m’a demandé de revenir vers lui si je voulais faire une version anglaise. Ce n’est pas éloigné, mais après tout, ça fonctionne. On est apprécié en France, en Grèce, en Angleterre, en Allemagne ou encore Italie et tout ça en chantant en français. C’est vrai que dans le metal on peut avoir des complexes à chanter en français, mais je pense que c’est plutôt une curiosité pour le public.

Etant donné que tu soulèves cette idée : plus je fais d’interviews de groupes français plus ces derniers me disent qu’après une période creuse, la scène française est de plus en plus belle. Qu’en penses-tu?

Je le pense aussi, on a de plus en plus de beaux groupes qui se montent et qui émergent. Mais je crois qu’en France, là où ça sature, le goulot d’étranglement, c’est au niveau des bookings et des structures. Je vois le booking que nous avons eu pour notre tournée anglaise à venir… On a juste à payer l’essence. Et ce n’est même pas dans des pubs, c’est dans des salles. Il y a un professionnalisme dans les pays anglo-saxons que nous n’avons pas ici. En France il y a trop de copinage et d’amateurisme au niveau du booking qui, je pense, fait en sorte que le metal français, pourtant foisonnant et bouillonnant, émerge difficilement.

Puisque nous parlons de scène, parlons de celles à venir pour Abiniya. D’ailleurs quels sont vos relations avec le public ?

Notre jeu de scène est surtout entretenu par Nico (percussions). Moi de mon côté, je suis au chant et à la guitare les pieds sur les retours et je bouge quand je le peux. Mais encore une fois c’est Nico qui fait le boulot, parfois il s’amuse à ramper entre mes jambes, il fait des bons de presque deux mètres. Avec le public c’est super. On sort du Rock Metal Camp de Limoges c’était super. On a vendu pour plus de 200€ de CD, tout est parti ! Et là il va falloir casser la taule pour Black Dahlia Murder, je les ai vu ouvrir pour Amon Amarth, un des trucs les plus brutaux que j’ai jamais vécu. D’ailleurs je pense qu’ils nous ont choisis grâce à Terrorizer où ils étaient aussi chroniqués. Leur manager a dit « c’est aux que l’on veut » et ils nous auront!

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Déjà des idées pour l’avenir ?

Faire un max de festivals déjà. Après mon rêve perso… Jouer au Bataclan (Paris), voir le nom d’Abinaya sur la façade, même en tout petit (rires) ! Et surtout partir à l’étranger, il y a une petite tournée qui se dessine au Canada où il y a deux trois radios qui diffusent nos compos. Après on repartira sur l’écriture, notre passion, c’est inévitable.

Les derniers mots sont pour toi…

Déjà un grand merci à La Grosse Radio Metal qui est avec nous depuis le début. Je me souviens lorsque vous aviez mis Arawaks dans la programmation suite à aux votes, ça faisait chaud au coeur. Après pour les fans et le public, merci de nous soutenir dans cette belle histoire. N’hésitez à venir nous voir en fin de concert pour discuter de tout, des Arawaks ou ce qui vous interpelle. C’est un bonheur de rendre les gens curieux lorsqu’ils écoutent nos paroles. Abinaya signifie "transmettre" en langue indienne, je crois que c’est un bon mot de fin.
 



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