Il y a des jours qui semblent tout ce qu'il y a de plus normaux. Rien ne semble se profiler à l'horizon, la routine du quotidien s'installe gentiment lorsqu'on décide soudainement à faire une nouvelle découverte, conseillée par un(e) ami(e), comme ça, au détour d'une conversation. Sans grande conviction, on lance la lecture … avant de recevoir une baffe magistrale dans la tronche. La formation grecque Aenaon, qui m'était alors totalement inconnue jusqu'ici (comment ça, honte à moi et à ma progéniture que je n'ai pas?), vient de me faire cet effet Ô combien surprenant et pourtant jouissif avec leur nouvelle mouture, intitulée Extance, et décrire la qualité de l’œuvre est une tâche bien difficile mais dont on va tenter de s’acquitter au mieux. Car cette galette est concurrente directe au rayon d'album de l'année, ni plus ni moins.
Classer directement cette offrande dans le rayon black metal n'est pas erroné, mais cependant reste bien réducteur tant les inspirations du combo sont variées. Le quintette est en quête d'expérimentation, de folie, et n'hésite pas à piocher un peu partout pour garnir sa mixture d'une épaisse couche de prog, qui n'est pas sans rappeler des noms plus connus et respectés dans nos contrées, tels Ihsahn, Enslaved ou Sigh. Il est vrai qu'on peut trouver, dans la musique pratiquée par les cinq grecs, des réminiscences de ces pointures, mais ce qui fait la force d'Aenaon est de parvenir à trouver sa propre voie, en conservant une maîtrise et une cohérence au sein du disque qui force le respect.
Aenaon réfléchit : comment intégrer du chant diphonique sur le prochain album?
Car l'écoute pourrait sembler bien déroutante, tant les ambiances sont variées et étranges, happant littéralement l'auditeur par leur saveur particulière. Et chaque piste trouve le petit élément qui lui donne cette saveur si consistante, ce goût de de revenez-y, allongeant ainsi encore et encre la durée de vie déjà pourtant importante de ce Extance. Les chœurs et le break jazzy de « Deathtrip Chronicle », l'apport du chant clair de Sindre Nedland (In Vain) sur « Der Mude Tod », la rage du chant de Tanya Leontiou, frontwoman des excellents Universe217 sur « Funeral Blues » … toujours en quête d'idées nouvelles, Aenaon tente, ose, expérimente et fait mouche à chaque fois. Traînant son auditeur entre moments calmes, torturés, sinistres, barrés, l'oreille ne sait plus forcément où aller chercher devant une telle profusion d'éléments et d'instruments divers. Notons la présence régulière d'un saxophone qui, à chaque intervention, ne tombe jamais comme un cheveu sur la soupe. Bien au contraire. Imbriqué comme il se doit au sein de l'opus, celui-ci est un superbe contributeur aux atmosphères développées. Quand on vous dit que le combo n'est jamais en manque de bonnes solutions pour vous emporter loin …
Pourquoi, après tout, ne pas partager la réussite comme il se doit? Ce doit être ce qui est passé par la tête de nos cinq musiciens au moment de composer leur méfait et, outre les invités déjà sus-cités, d'autres se font un plaisir de venir apporter leur pierre à l'édifice. Et devinez quoi? Ceux-ci sont intégrés comme il se doit, ne faisant jamais pot de fleur ou faire-valoir. « Land of No Water », par exemple, laisse s'exprimer le chanteur japonais Mirai Kawashima (Sigh), qui tire définitivement son épingle du jeu. Au rayon des invités de marque, soulignons également la présence d'Haris, claviériste d'Hail Spirit Noir, autre formation grecque déjantée et inventive. Et se confronter à ces guests de choix ne fait pas peur un seul instant au frontman Astrous qui s'en tire comme un chef, de son chant rageur et Ô combien expressif. Celui-ci délivre une performance remarquable du début à la fin et force est de constater qu'il est légitime de le complimenter pour la qualité de sa prestation. Oui, que voulez-vous, il y a des groupes comme ça …
La composition? Aucun problème, Aenaon connaît, et sait comment rendre une piste à la fois complexe et envoûtante. La pièce finale, « Palindrome », passe à une vitesse folle en dépit des douze minutes affichées au compteur. Rien d'étonnant d'arriver à un tel résultat : intense d'un bout à l'autre, sans remplissage ni retombée comme un soufflé, passant de rythmiques typiques au black metal à des teintes plus tribales, des guitares aux relents psychés, rien n'arrête la formation grecque dans son processus créatif et tant mieux, d'ailleurs, parce que tout cela est si bien fait qu'il aurait été dommage pour eux de rester en retenue et de ne pas oser mélanger tout cela. Pour être tout à fait honnête, chaque morceau mériterait d'être cité. Mais pour éviter de tomber dans le track-by-track, disons tout simplement que, sans renier le black metal, tous les titres réussissent à prendre des allures séduisantes. « Closer to Scaffold » est imposant et ne laisse pas indifférent, et se classe aussi parmi les instants à écouter absolument, au risque de passer à côté d'un grand moment d'intensité.
Voilà une œuvre comme on aimerait en entendre plus souvent. Diversifiée, incorporant des touches de nombreux styles musicaux sans jamais tomber dans l'approximatif, riche et savamment écrite, cette galette se doit d'effleurer votre oreille. Extance est un manifeste du talent d'Aenaon, qui fout une raclée monumentale avec cette cohabitation prog, black, jazz, psyché, rock, et plus encore. La bonne surprise de cette année, donc, qui ne devrait pas vous laisser de marbre. Messieurs, merci encore.