"On avait envie d’une affiche qui sente un peu le gras"
Un nouveau festival verra le jour en région parisienne le 5 septembre. Il s'agit du Fall of Summer festival, qui réunit sur son affiche des groupes rares en France, comme Venom et Pentagram, voire même des groupes qui n'y ont jamais joué, comme Artillery ou Bömbers. Jessica Rozanes, qui est derrière ce festival, a accepté de parler de l'organisation d'un tel événement.
Bonjour et merci de nous accorder cette interview. Peux-tu tout d’abord te présenter ?
Je suis la programmatrice du Fall of Summer festival, je travaille à la Korporation, une entreprise sur Paris qui regroupe quatre établissements : Le Black Dog, bar et restaurant metal, le Klub, une salle de concert, la Mécanique Ondulatoire, une salle de concert plus orientée rock, et la Manufacture, un bar plus orienté rock. Nous avons donc deux orientation, une rock et l’autre metal et je m’occupe de la partie metal. Je me fais même appeler "la madame metal" par le patron.
Le Fall of Summer est le premier festival que tu organises. Comment t’est venue cette idée ?
Je pense que c’est une idée que tout le monde peut avoir. Tout passionné de musique, et surtout tout passionné de metal rêve de faire sa petite affiche idéale en se disant "un jour, je les ferai jouer". Dans la pratique c’est venu au cours d’une conversation avec mon patron, qui m’a dit qu’il avait un site exploitable. Je pense que tout fan de metal aurait accepté sans problème.
Parle-nous du site en lui-même.
Nous avions commencé à travailler très tôt sur un site à 60 km de Paris, pour lequel nous avions l’accord de la mairie. Nous comptions annoncer le festival en début d’année, donc bien plus tôt que ce qu’on a fait, Venom avait déjà confirmé sa présence, mais la mairie a posé son veto à cause des élections municipales. Du coup, on a dû retrouver un autre site dans l’urgence et nous avons pris un peu de temps à le choisir parce qu’on ne voulait pas que cela se fasse n’importe-où. C’est pour cela que la campagne de communication a commencé assez tard, après les élections, pour être sûr que ce ne soit pas un problème. Le maire a été réélu à 70%, ça devrait aller ! [rires] Si on arrive à continuer l’aventure, on est tranquille pour six ans.
Malgré la démocratisation des festivals metal en France, certaines municipalités sont-elles frileuses pour accueillir un tel événement ?
Pour le site de Torcy, on a eu la chance d’être aiguillé par le réseau des musiques actuelles de la région, donc nous n’avons pas eu trop de problème. C’est pas mal que le festival se fasse à Torcy, on y trouve plus de commerces et d’hôtels. Ce n’était pas le cas sur l’ancien site, qui était un peu reculé, du coup, la municipalité n’en aurait peut-être pas profité. Ce qui me plaisait dedans, c’était la présence de ruines de château. Faire jouer Pentagram dans des ruines de château, c’est quelque chose ! J’ai des groupes qui tombent en ruines, ça aurait fait une bonne thématique [rires] ! Mais le nouveau site nous convient, ceux qui s’en occupent sont contents de nous accueillir, d’autres événements s’y tiennent, pas forcément des festivals de ce genre, mais le terrain y est propice, avec la bonne puissance électrique. Nous sommes contents d’y aller, nous aurons une belle scène sur la plage, dos au lac de Torcy. Je ne pense pas que j’aurais beaucoup le temps de voir les concerts, mais j’imagine d’ici Ahab et Enslaved dans ce cadre et ça me fait rêver, j’espère que c’est le cas pour les festivaliers.
On n’a pas tant de festivals metal que ça en région parisienne, est-ce que ça t’a motivé à en faire ?
Oui, complètement. Comment ça se fait qu’on soit tant de personnes à habiter à Paris et qu’on n’ait pas plus de festivals comme ça ? C’est vrai qu’on a plein de concerts, mais c’est quand même sympa de pouvoir venir à la rentrée, les gens peuvent poser une journée, ou même venir en train après le travail, arriver vers 20h sur le site le vendredi soir et quand même voir Venom et compagnie, vu que les concerts finissent à 3h. C’est sympa pour les parisiens d’avoir quelque chose comme ça, mais nous essayons aussi d’attirer les provinciaux et les étrangers. J’adore me mélanger avec les étrangers et pouvoir leur montrer qu’on peut aussi faire des trucs sympas en France, comme ça ils voient que la scène évolue.
C’est une affiche assez conséquente, surtout pour une première édition. Est-ce un pari que vous avez pris ?
On a pris ce pari en se disant que c’était important de marquer les esprits. Il y a déjà beaucoup de "petits" festivals en France, nous faisons aussi beaucoup de petits concerts assez underground devant une centaine de personnes. Cette année nous avons notamment fait jouer le groupe de black metal brésilien assez culte Mystifier pour la première fois en France au Klub et nous avons fait complet, comme Exhumed ou Incantation, qui avaient été annoncés à la dernière minute.
Parle-nous de la direction artistique de l’affiche.
Les concerts qu’on organise sont surtout du doom, du black, du thrash et du death assez underground. Le festival reste dans cet esprit, mais un cran au-dessus. J’aime bien le heavy, mais on avait envie d’une affiche qui sente un peu le gras et qui reste old school et underground. Il y a beaucoup de bons groupes de heavy, mais on a préféré se concentrer sur notre direction précise, quitte à se restreindre un peu. On a tout de même Exumer et Artillery qui se rapprochent un peu du heavy et Venom, qui est un groupe de NWOBHM. Mais ça reste pas trop commercial, ni trop gentillet.
On trouve aussi parmi ces noms une concentration de groupes très rares en France. Est-ce voulu dès le départ ?
C’est ce qui me plait. Quand je regarde un flyer, j’aime voir des groupes que je n’ai jamais vu qui me donnent envie de venir au festival. C’est aussi en rapport avec la date de l’évènement. Les 5 et 6 septembre, il n’y aura plus de tournée, du coup, on ne dépend plus des groupes qui seront dedans. Ça coûte moins cher de les faire venir quand ils sont en pleine tournée, mais ils font aussi tous les autres festivals. Je ne dis pas que ces groupes ne sont pas intéressants, mais on a d’autres festivals qui font ça, comme le Motocultor, le Sylak ou l’Xtrem Fest. Leurs affiches sont différentes, mais on y retrouve beaucoup de groupes qui tournent cet été et qu’on peut retrouver au Summer Breeze, par exemple. Le but du Fall of Summer est donc de proposer quelque chose de différent. Ça va être un peu compliqué parce que tous les groupes viennent en avion [rires] mais on est à côté de l’aéroport et de Paris, ce qui est aussi pratique pour les festivaliers étrangers.
Est-ce que cette affiche a été difficile à constituer, as-tu eu des problèmes de refus ?
Certains groupes ne pouvaient pas parce qu’ils étaient en enregistrement, pour d’autres, la procédure a pris trop de temps et, finalement, l’un des membres n’était pas disponible. En revanche, certains groupes m’ont dit : "On ne peut pas venir cette fois-ci, mais ton affiche déboîte, on se voit l’année prochaine." Du coup, j’espère avoir les soutiens nécessaires pour mener à bien cette édition et pouvoir en faire une nouvelle, parce que j’ai quasiment une affiche du même acabit constituée pour l’année prochaine.
Quels sont les retours que tu as eus jusque-là ?
Nous avons de très bons retours, certains estiment qu’on est un peu fous d’avoir fait nos annonces si tard, mais on n’avait pas le choix ! On a de très bons retours des groupes, certains sont un peu rares, pas seulement parce qu’ils aiment se faire désirer, mais aussi parce qu’ils aiment choisir où ils vont jouer. Les membres de Venom, contrairement à leur réputation, ont été très agréables avec nous et ont été les premiers à trouver génial de participer à la première édition d’un festival, alors que les autres groupes ont tendance à te dire de les recontacter l’année suivante. Certains groupes assez importants nous ont contactés directement, ce qui m’a fait plaisir, en tant que programmatrice. Par exemple, quand Rotting Christ te dit "Salut, on est dispo !" ça donne envie ! Les potentiels festivaliers sont aussi contents, en France, mais aussi à l’étranger, on a des Russes, des Hollandais, des Suédois, des Irlandais qui ont apparemment envie de faire le voyage jusqu’en région parisienne.
As-tu déjà des ambitions pour l’avenir du Fall of Summer, pour le faire grandir par exemple ?
Les grosses machines ne sont pas trop mon truc. Je prends du plaisir à y aller, au Hellfest par exemple, mais si on a commencé à bâtir une identité, c’est aussi pour la préserver. On peut toujours augmenter la capacité, mais sans arriver à un truc complètement fou. On compte rester dans cette orientation, avoir que deux scènes pour que tout le monde puisse voir tous les groupes, peut-être en découvrir certains, sans que personne ne soit frustré. J’aime beaucoup le Keep it True, qui reste dans sa direction. Ils sont petits et complets chaque année, ils pourraient amener plus de monde, mais ils restent dans leur esprit. J’ai aussi l’habitude de faire des petits concerts, on m’a dit que j’étais folle de faire venir M.O.D. au Klub, c’est vrai que c’était complet plusieurs semaines avant, mais je préfère voir Billy Milano sur la scène du Klub, dans un concert à dix balles plutôt que de louer une grosse salle et faire un concert cher. Du coup, je reste dans cette logique avec un festival au prix abordable et à taille humaine. Je n’ai pas de grosse ambition à part lui donner une âme et que tout le monde s’y retrouve, les groupes, comme les festivaliers. Et même si on rate notre coup financièrement, paiera tout le monde et on s’engage pour que tout le festival se passe bien et que tout se passe bien. Ceux qui se demandent si ça vaut la peine de venir cette année et préfèrent attendre l’année prochaine, mieux vaut venir cette année pour être sûr qu’on fera un festival l’année prochaine.