2010.. 4 ans après 2006, 8 ans après 2002, 12 ans après 1998... Quel est cet évènement qui revient ainsi cycliquement et qui déchaîne les passions ? Un coup de boule à celui qui me répond la Coupe du Monde de Football. Je parle de musique ici... et même s'ils aiment bien le ballon rond, les allemands de Blind Guardian excèllent avant tout dans l'art du metal puissant et mélodique. Voilà que, comme c'est le cas depuis le mythique Nightfall in Middle-Earth, les teutons ont une nouvelle fois attendu une double paire d'années pour venir rassasier leurs ouailles avec un CD. At the Edge of Time, nouveau délice circulaire, viendra trôner sur les étals à partir du 30 juillet prochain par le biais du label Nuclear Blast.
At the Edge of Time, en bascule avec son temps, du passé au présent, venant aussi titiller un futur encore à écrire. Hansi Kürsch et sa troupe ont ici voulu s'amuser avec cette incontrôlable notion et tenter de la maîtriser contre vents et marrées. Excercice périlleux, un peu à l'image de l'histoire d'un groupe qui n'a jamais cessé d'expérimenter et d'évoluer, fédérant ou dispersant au passage ses fidèles brebis.
Rappelons tout de même que la formation a débuté en mode thrash speed (sous le nom de Lucifer's Heritage) et a persisté longuement dans ce style avant d'ouvrir ses horizons vers un heavy power mélodique maîtrisé, et d'intégrer éléments symphoniques ou même progressifs sur les trois précédents albums. Une telle évolution n'étant pas si courante dans le milieu, on pouvait se demander en quoi nos cousins germains allaient démarquer ce nouvel effort des précédents...
Ce nouveau brûlot s'ouvre directement sur cette évolution, cette nouveauté attendue, Blind Guardian s'offrant ici pour la première fois les services d'un véritable orchestre symphonique, transformant le titre d'ouverture "Sacred Worlds" en hégémonie du "bombastic metal". Démarrer ainsi l'album par une pièce aussi grandiloquente, il fallait oser... Blind Guardian est même allé plus loin, concluant le CD avec un morceau tout aussi épique, voire même plus ! On serait tenter même d'annoncer que "Wheel of Time" ouvre une nouvelle (énième) ère pour le groupe, ceci sera à vérifier dans l'avenir. En attendant, si la première ébouriffe par ses arrangements dignes d'un "And Then There Was Silence" ou d'un "Fly" revigoré, l'ultime nous explose en pleine figure et laisse l'auditeur pantois devant telle démonstration artistique. "Shalom", comme disent les Hansi en choeur, l'opus terminant ainsi sur un chef d'oeuvre aux accents orientaux que n'aurait certainement pas renié Orphaned Land...
Deux monuments. Un pilier au commencement, un autre au final. Mais qu'est-ce que l'album comporte donc en son sein pour se munir ainsi de telles clefs de voûtes ? Du Blind Guardian, damoiselles et damoiseaux, du pur, du vrai... De tout temps, de toute époque, de toute inspiration... Tout pour plaire à tout le monde croyez-vous ? Ce ne sera pas si simple, soyez-en sûrs.
Nous nous retrouvons noyés entre influences old school, apports récents et volonté d'aller de l'avant. Ce At the Edge of Time s'avère ainsi assez compact et diffus, enchaînant les pistes sans grand répit et dans des univers parallèles ou diamétralément opposés. Il est bon ici d'intégrer un avertissement en bonne et du forme : en ayant cherché à satisfaire tous ses fans, la bande de Krefeld va peut-être ici les déboussoler. Etonnant non ? Il ne faut cependant pas s'arrêter à une première écoute qui pourrait bien en rebuter certains, trop conservateurs ou trop concentrés sur une idée fixe.
Le single par exemple, sur lequel la plupart s'extasieront (à raison) car bombardant du speed fast assez trashisant à l'ancienne (avec au passage une batterie au top, Frederik Ehmke est désormais fort bien intégré au groupe) sur une production léchée au goût du jour : il ne faut certainement pas croire qu'il représente l'album de quelque manière que ce soit. Allons même plus loin, cet excellent "A Voice in the Dark" est quasiment unique dans ce disque, n'ayant pour écho qu'un "Tanelorn (Into the Void)" où Hansi Kürsch s'époumone comme au bon vieux temps et où le duo André Olbrich/Marcus Siepen groovent leurs guitares à foison, ainsi que le reveilleux "Ride Into Obsession", dévastant tout sur son passage entre mélodie et puissance. Pour le reste, nous ne sommes pas dans le même ton...
"Road of No Release" remportera très certainement les suffrages de la "nouvelle vague". Son thème présente des caractéristiques qui auraient pu figurer sur les A Twist in the Myth ou autre A Night at the Opera. Un bon moment entre émotion et envolée lyrique venant ici parsemer une mélopée s'inscrivant dans une tonalité assez dark et progressive. Il a du coffre, ce titre, un peu comme ce "Valkiries" quelque peu unique et sorti tout droit d'un beau mélange hypnotico-mélodique... mais celui-ci devrait trouver moins d'adeptes parmi les fans, du moins sur les premières écoutes. A ne point sous-estimer donc...
L'album souffrira aussi selon certains d'un rythme assez "étrange" et d'un enchaînement de titres peut-être quelque peu surprenant. Beaucoup soulignent déjà la présence d'une ballade folk celtique en son centre comme étant une petite erreur, pas certain cependant que ce "Curse My Name" aie pu être placé autrement dans une logique quelque peu spéciale mais pas si insensée que cela si on se met à la place du quatuor allemand. Ce petit "interlude" sonne ici le glas d'un doute aussitôt dissipé : oui, Blind Guardian sait toujours composer de belles "folk songs". Après un "Skalds and Shadows" quelque peu quelconque ou un "The Maiden and the Minstrel Knight" outrepassant ce qualificatif, "Curse My Name" rivalise ici très facilement avec les "The Bard's Song - In the Forest" ou autres "Lord of the Rings" d'antan, bien qu'étant particulièrement différente. A vrai dire, cette musique s'avère originale et d'un dynamisme plein d'entrain, la présence d'une basse propre et bourdonnante en son coeur n'y étant certainement pas pour rien. Un vrai petit bijou.
En y regardant de plus près, cette 9ème livraison studio aurait pu s'avérer parfaite. Ou presque. La présence d'un "War of the Thrones" bien mignon mais particulièrement longuet et plutôt fade comparée à "Curse My Name" peut être sujet à un léger questionnement, et ce même si son piano possède un charme des plus envoûtant. Quant à "Control the Divine", elle pourrait très bien demeurer comme "l'incomprise" du CD et ce même suite à plusieurs écoutes répétées. Son affiliation à l'époque Imaginations from the Other Side ne fait aucun doute et la rend fort intéressante, mais ce manque d'un petit je-ne-sais-quoi la rend au bas mot quelconque et presque bancale sur certains points. La sauce ne prend pas autant qu'elle l'aurait dû, un refrain manquant d'explosivité peut-être ?
Et alors me diriez-vous ? Confus cet album on dirait ? Il n'y a point de réponse toute faite à cette question. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Cohérente confusion, fragile solidité, chef d'oeuvre à reconstruire selon ses affinités, complexe mais peut-être "trop" facile d'accès... At the Edge of Time pourrait être affublé de tous les paradoxes possibles et imaginables. Mais il fera date, très certainement, dans la discographie du groupe. A ne pas renier ni à sous-estimer en tous les cas. Battez-vous à l'écoute et laissez-vous un maximum de recul pour l'apprécier, et vous ne serez pas déçus.
Ma note : 8.5/10
Interview avec Hansi Kürsch, chanteur de Blind Guardian
La Grosse Page de Blind Guardian