Il est de bon ton de faire du doom en ce moment, et les labels ne s'y trompent pas. Le regain d'intérêt pour le genre, les majors en ont conscience et signent à tour de bras des formations plus ou moins compétentes mais qui bénéficient d'une grosse promotion au moment d'une nouvelle sortie ou de l'annonce d'une tournée. Pour faire simple, le business marche bien et les groupes ne vont certainement pas s'en plaindre, à juste titre. Nouvelle signature de Napalm Records (décidément), les Anglais d'Alunah ont l'air, sur le papier, d'un combo supplémentaire dans cette mêlée, que rien ne distingue des autres. Et pourtant, c'était sans compter sur la parution de l'excellent White Hoarhound, deux ans plus tôt, positionnant nos jeunes britanniques parmi les musiciens les plus prometteurs de la scène. Cet Automne est donc une saison idéale pour de nouvelles escapades bucoliques en compagnie du quatuor qui nous offre son troisième disque, nommé Awakening the Forest.
Le groupe possède une signature très particulière, qui distingue réellement leur musique d'une grande partie de la scène doom. Bien qu'il y ait une présence marquée de la section rythmique et de la base metal, l'ensemble de l’œuvre est empreint d'une véritable douceur, d'un côté apaisant qui rend l'écoute de cette offrande très agréable. Pourtant, Alunah est bien dans un registre metal, délivrant des riffs plombés et lourds, comme les codes stylistiques l'obligent. Ces guitares, tenues par Sophie et David, forment souvent les structures des pistes et l'auditeur navigue dans l'univers rêveur du combo grâce à elles, tant ces instruments sont placées au centre du disque. Elles ne recherchent pas la prouesse technique, par ailleurs. Simplement à trouver la bonne mélodie, le riff qui transporte, qui invitera à accompagner les Anglais dans leur voyage au cœur de la nature, une thématique très présente dans leur musique. Cette recette s'avère payante, tant l'effet clair-obscur y est maîtrisé et pourtant simple, spontané. La formule toute en ambivalence nous plonge dans ces atmosphères envoûtantes, qui, cerise sur le gâteau, diffèrent de celles de l'opus précédent. Maintenir le cap sans tomber dans un schéma éculé n'est pas toujours évident, les attentes étaient ainsi élevées mais Alunah prouve sa capacité à relever ce défi avec succès.
Par ailleurs, la voix de Sophie Day constitue encore et toujours un atout de taille, tant celle-ci colle parfaitement à l'optique dans laquelle ces compositions sont écrites. Conteuse, berçante, la chanteuse est là pour guider, donner la main et faire découvrir les paysages dessinés au travers des diverses pistes. Il est vrai que le chant doux et sobre de la frontwoman est assez inhabituel dans le genre, s'éloignant d'un grand nombre de stéréotypes et sortant des carcans auxquels il est possible d'être confronté. Elle est partie intégrante de la forte identité d'Alunah, qui, au fur et à mesure des albums, parvient à se construire une personnalité de plus en plus forte. Ne vous attendez pas à être impressionnés par de quelconques capacités hors du commun, le registre vocal de Sophie n'étant pas illimité. Mais dans son rôle, l'Anglaise est impeccable, et sait remplir ses fonctions à merveille. Sa prestation se veut donc à l'image de la musique, et l'harmonie de ces deux éléments est constamment dosée avec justesse par le combo. Cette facette rêveuse n'est, au fond, pas si éloignée de l'approche d'un Subrosa, bien que sur le plan instrumental, les deux formations divergent totalement, la facette sludge étant absente chez les quatre britanniques.
Ainsi, l'accent est placé sur la cohésion entre les créateurs de cet opus, ce qui donne une osmose très agréable. Cette mise en commun des talents de chacun permet d'aboutir à des morceaux d'excellente facture, formant un ensemble homogène, et distinct à la fois. Les titres semblent fondre les uns dans les autres, et ce dans le bon sens du terme. L'enchantement est complet du début à la fin et chacun des six morceaux apporte sa contribution non négligeable. « Heavy Bough » se distingue par son côté catchy, son refrain mémorisable, tandis que l'éponyme « Awakening the Forest » compte bien plus sur une ambiance apaisée et contemplative, où la présence de belles harmonies vocales orne les lignes de chant d'une aura mystique. Chaque morceau trouve une ficelle qui lui est propre pour se démarquer, sans pour autant éclipser les autres pièces. C'est ce qui fait la force d'Alunah depuis White Hoarhound, et visiblement, les musiciens le savent pertinemment.
Un intrus s'est glissé sur la photo. Pouvez-vous le trouver?
Chaque écoute d'Awakening the Forest dévoile quelque chose que l'on aurait pu occulter précédemment. Le disque est riche, et sa durée de vie conséquente révèle le travail d'orfèvre d'Alunah en matière d'écriture. Voilà donc une œuvre de plus à placer dans le panier des grandes réussites de l'année. Qu'on se le dise, les Britanniques ont du talent à revendre et ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Encore trop méconnu, le groupe réussit à asséner deux excellentes réalisations d'affilée. Amateurs de doom, ne passez pas à côté de cette offrande d'une grande sensibilité.
Note finale : 8,5/10