Et les masques tombèrent
À l’image de son groupe, rarement un album aura autant fait parler de lui et ce avant même sa sortie. Désiré, rejeté, ovationné et critiqué dès ses premiers titres diffusés sur la toile, .5 : The Gray Chapter débarque enfin, envoie un méchant coup de poing dans la gueule de ses détracteurs et broie net le scepticisme de certains fans. Peut-on aller jusqu’à dire que le cinquième album de Slipknot est celui qui aura mis tout le monde d’accord ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain en revanche, c’est que les neuf masqués prennent tout le monde à contre-pied et livrent une œuvre des plus surprenantes.
Cela fait mine de rien quinze ans que Slipknot s’est taillé une place de choix dans le monde du metal. Quinze ans déjà que les yeux de ceux venus s’offrir un Follow The Leader , un System of a Down ou encore un Significant Other ont inévitablement bloqué sur cette pochette rouge. Quinze ans déjà que ces neuf mecs masqués ont bouleversé de nombreuses oreilles à coup de "Wait And Bleed", "Spit It Out" et autres "Surfacing". Quinze ans que le cultissime Slipknot est sorti.
Quinze ans plus tard, que reste-il de Slipknot ? Et bien finalement, pratiquement tout. La même impatience à l’annonce d’un nouvel album, la même extase à son arrivée, le même visuel basé sur les masques et donc toujours les mêmes débats. Car oui, Slipknot est un groupe qui a construit sa réputation sur le débat. Fruit de toutes les haines et de toutes les passions, la bande de Des Moines peut encore se vanter de faire parler d’elle. Dès la sortie de son premier album, Slipknot s’était attiré les foudres d’un public exigeant* qui ne jurait que par Sepultura, Slayer et autres mastodontes.
* traduction : la rage d’une caste de metalleux casse-burnes et faussement élitistes
Putain quinze ans!
Le principal argument de ce public était en général : « Mé Slipknot c comerssial, si y zavez pa leur maske il serer pa conus ». Il faut dire qu’à l’époque, rares étaient les groupes de metal et hard rock à mettre en avant un côté « visuel ». Seuls de tous petits groupes à peine connus comme Mudvayne, Mushroomhead ou Gwar avaient osé franchir le pas. Un groupe avait tout de même réussit à se faire un nom outre-Atlantique mais limitait, et limite toujours, ses prestations scéniques à quelques caves de bars mal fréquentés. De mémoire ce groupe s’appelait KISS. Et ce sont bien sûr ces détracteurs qui affirment que Ghost serait aussi populaire aujourd’hui sans avoir mis en avant un visuel développé.
Après, reste évidemment la source de tout débat musical à savoir… la musique. Mais il faut être honnête, depuis quinze ans Slipknot est LE groupe sur lequel il faut cracher pour cracher et nombreux sont ceux qui continuent à descendre la bande juste « pour pa me fère jetter par lé vré mettaleux !! ». Fin de l’ironie, place à l’essentiel : .5 : The Gray Chapter.
Le 20 octobre 2014 marque donc la fin d’une attente de plus de six ans et met un terme à une série de doutes insupportables. Entre la mort du bassiste Paul Gray, le renvoi du symbole Joey Jordisson, l’éviction de James Root de Stone Sour et surtout une dernière production à la qualité plus que discutable, les doutes sont plus qu’omniprésents. Les membres de Slipknot peuvent-ils prendre le risque de sortir un nouvel album en 2014 ? La réponse est oui.
Un défi que les Knots ont, partiellement, relevé avec intelligence. Après un All Hope Is Gone très moyen donc, (trop peu d’originalité, trop de longueurs, moins technique, plus « vite fait » que Vol. 3 (The Subliminal Verses)) une chose était urgente pour Slipknot : faire le ménage. Epurer les compositions de certaines lacunes et revenir à certaines bases en prenant quelques risques.
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5 : The Gray Chapter commence en douceur avec "XIX". Une douceur toute relative car il s’agit d’une composition occulte, mettant mal à l’aise et vraiment très sombre. Le ton semble donné. Sentiment répété lors de l'intro mélodique de "Sarcastrophe" puis, tout part d’un coup : roulements des fûts de Jay Weinberg (ou pas), les guitares massives et speed, les percussions, les scratchs de Sid Wilson et le hurlement de Corey Taylor. Tout est là, pas de chichi, pas de chant clair, du groove, du bruit, du Slipknot. S’en suit "AOV", aux riffs très rapides et aux airs de death metal type Arch Enemy. Un refrain en chant clair, dans la lignée d’un "Duality" ou d’un "Left Behind", vient apporter la "Slipknot touch" pour le plus grand plaisir des fans de Corey.
Arrive ensuite un "The Devil In I" très lourd dont la construction rappelle inévitablement du Stone Sour, ce qui ne déplaira pas aux fans de ce groupe. Même constat pour "Killpop" qui s’avère être majoritairement… pop, bien que parsemé de chant hurlé et doté d’un final des plus bourrins. Après l’écoute de "Skeptic "et "Lech", dont on retiendra l’efficacité, arrive le répit avec « Good Bye ».
Le morceau que tout le monde redoute ou espère, que tout le monde va détester ou adorer : la balade. Et bien là encore, la surprise est présente notamment grâce à cette ambiance pesante et envoûtante. En dépit du fait que cette compo se termine sur une double grosse caisse véloce et quelques cris, elle demeure un excellent break. Et il faut au moins ça pour encaisser le très bon "Nomadic" et ses soli heavy/thrash totalement inédits dans la musique de Slipknot et pourtant tout à fait crédibles.
L’interlude psyché "Be Prepared For Hell" offre un ultime repos avant la claque "The Negative One", petit frère de "Disasterpiece", et l’outro à l’ambiance qui prend derechef aux tripes, "If Rain Is What You Want". À noter également que l’édition spéciale propose deux titres bonus:" Override", qui, malgré certaines bonnes idées et un riff aguicheur, reste dispensable et "The Burden" qui sent bon le Deftones sans inventer la poudre.
Voici les mots qui reviennent après une écoute attentive de .5 : The Gray Chapter : catchy, puissant, groovy, maitrisé, novateur (un peu), direct. Sans prétendre au titre de meilleur disque de Slipknot, il reste une valeur sure du combo et se place aux côtés de Iowa pour sa violence et de Vol. 3 (The Subliminal Verses) pour son atmosphère. Une excellente surprise, en somme.
Ultime point à aborder : la prod. Bénéficiant d’un son très massif, la galette fait honneur aux musiciens qui ont pris de la bouteille. En témoignent les soli de James Root et Mick Thomson, les percussions de Shawn Crahan et Chris Fehn, beaucoup plus audibles que par le passé, ou encore les sons apportés par les platines de Sid Wilson et les samples de Graig Jones. Quant à la grande question « Est-ce que celui, dont on est sûr à 90% qu’il est Jay Weinberg, qui remplace Joey Jordisson à la batterie égale le talent de ce dernier ? » chacun se fera un avis, mais il n’y a vraiment pas grand-chose à reprocher à ce niveau là. Reste à saluer les performances de Corey Taylor, à qui l'âge semble réussir, et une maitrise du chant clair bien plus grande qu'auparavant.
Avec cette sortie, Slipknot donne le sentiment d’être un groupe ayant pris son temps, ayant réfléchit à ce qu'il serait intéressant de garder de ses productions précédentes tout en apportant une touche rendant l’ensemble un brin original et, surtout, très cohérent. Aux dernières nouvelles, on appelle ça la maturité.